Un train léger peut en cacher un autre…
Dans l’idée louable de sauver les petites lignes menacées, le gouvernement sollicite l’industrie ferroviaire française pour développer un train léger. Derrière ce concept peut se cacher le meilleur comme le pire, ainsi que l’ont montré divers exemples en France et à l’étranger.
Thucydide l’avait dit, l’histoire est un perpétuel recommencement. Ayant vécu au Ve siècle avant notre ère, cet historien grec n’a jamais voyagé dans un train léger, mais sa célèbre citation pourrait à merveille s’y appliquer. Qu’une menace vienne à planer sur le devenir des petites lignes et, tout comme les champignons après la pluie, l’idée ressurgit. Mais qu’entend-on, au juste, par « train léger »?
L’économie, fondement de la réflexion
De longue date, les constructeurs ferroviaires ont eu coutume de pratiquer la chasse aux kilos, afin de réduire la consommation de leurs matériels roulants, pourtant faible par nature puisqu’une roue d’acier sur un rail du même métal constitue le mode de roulement, de loin, le plus économe en énergie. A priori les trains sont donc optimisés pour ne peser que le poids que leur utilisation va imposer…
Aujourd’hui, le gouvernement appelle de ses voeux le développement d’un « train léger », moins cher à l’achat et en maintenance. Le ministre délégué en charge des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, évoque un matériel de 80 à 100 places, et d’une charge à l’essieu n’excédant pas les 10 tonnes. Il est amusant de voir que l’actuel Regio-Shuttle RS1 offre très exactement les mêmes caractéristiques en termes de capacité et de charge à l’essieu. Ce remarquable autorail monocaisse, monté sur deux bogies, avait été conçu à l’origine, puis fabriqué dès 1993, par ADtranz. Suite au rachat ultérieur du constructeur par Bombardier, ce dernier se retrouva finalement dans l’obligation, en 2001, de rétrocéder à Stadler son site berlinois de Wilhelmsruh, afin de ne pas enfreindre les règles de concurrence dans l’Union européenne. Du coup, c’est le constructeur suisse qui reprit le RS1 à son catalogue.
Jusqu’en 2013, quelque 500 RS1 ont ainsi été produits pour la Deutsche Bahn, les Chemins de fer tchèques, et différents opérateurs privés. Leur faible charge à l’essieu représente un atout majeur pour réduire la maintenance des voies, puisque les efforts de ripage exercés par les roues sur les rails, lors du franchissement des courbes, sont proportionnels au carré de la vitesse de circulation, inversement proportionnels au rayon de courbure, et surtout directement proportionnels à cette charge.
En vérité, force est de constater que le train léger existe déjà. Et l’on peut d’ailleurs aisément le rencontrer. Mais pour cela, mieux vaut plutôt se rendre à l’étranger. Outre le RS1, d’autres formes de trains légers peuvent être rencontrées.
L’Allemagne, précurseur du train léger ?
Songeons aux différentes lignes allemandes désignées sous le vocable d’« Überlandstrassenbahn » (tramway rural), desservies par du matériel de type tramway; aux chemins de fer secondaires suisses à voie métrique; au BLT (Baselland Transport) dans la campagne bâloise; ou encore aux WLB (Wiener Lokalbahnen) entre Vienne et la ville thermale de Baden (Autriche). Autant de trains légers particulièrement vertueux, qui s’appuient sur les canons de la construction ferroviaire, mais qui pourraient être cachés par d’autres trains légers dont la conception annoncée futuriste, en rupture avec l’existant, en a toujours précipité la fin…
Retour un beau jour de 1993. Le président des Chemins de fer allemands, Heinz Dürr, déjeune au restaurant, en compagnie de ses plus proches collaborateurs. Il sort alors son stylo, et se met à dessiner sur la nappe en papier. Bientôt prend forme, sous l’œil intrigué de ses invités, l’esquisse d’un étrange autorail monocaisse à deux niveaux, qui ne repose pourtant que sur deux essieux. « Voilà ce que je veux ! », lance le président à ses collaborateurs. Etrange idée en vérité, et qui ne rentrait franchement pas dans les canons de la construction ferroviaire habituelle. Comment pouvait-on ainsi associer à l’objectif d’un minimum de capacité, que suggérait le recours à une architecture à deux niveaux, cet impératif, pour le véhicule, d’être court et léger, puisqu’il ne devait posséder, en tout et pour tout, que quatre roues ? Serait-ce les autobus à étage de la BVG (Berliner Verkehrsgesellschaft, les transports en commun de Berlin) qui avaient inspiré au grand patron cette transposition, assez osée, de l’univers urbain vers le monde ferroviaire ? Bien plus tard, d’aucuns s’étonneront de la célérité avec laquelle le constructeur allemand DWA s’était alors emparé de l’idée, sans apparemment la discuter, et pour finalement réussir, assez vite, à la concrétiser.
En fait, il n’y avait là rien de si surprenant. Lorsqu’un « opérateur historique » (comme les nomme aujourd’hui l’Union européenne) sollicite les industriels avec un projet plutôt singulier qu’il compte bien lancer, ces derniers ne sont guère enclins à répondre par une fin de non recevoir, fussent-ils qu’à demi convaincus de sa pertinence. Chez ANF (Ateliers du Nord de la France, rachetés ensuite par Bombardier), quelques uns murmuraient, à l’époque de l’arrivée du métro « fer » MF 88 à caisses ultra-légères, que la solution avec essieux indépendants orientés dans les courbes à l’aide d’un système mécanique triangulé, lui-même commandé par un bissel en extrémité de rame, n’était pas celle qui aurait emporté leurs suffrages s’ils avaient été consultés. Le MF 88, qui était issu de longs développements techniques menés intra muros par la RATP avec, notamment, le fameux prototype appelé « Boa », a certes introduit des dispositions constructives révolutionnaires -telle l’intercirculation ouverte, d’une section presque égale à celle des caisses- qui ont d’ailleurs été reprises sur les générations ultérieures du métro par
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Publié le 22/05/2024
Publié le 18/04/2024