Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT Cheminots : « Il ne faut pas que le statut soit au cœur des débats »
A propos des Assises, Gilbert Garrel prévient : si c’est pour stigmatiser les cheminots et la SNCF, ce n’est pas la peine. Pour le « big bang » annoncé lors du prochain changement de service, l’objectif de la CGT n’est pas la grève, mais des négociations de terrain. Ville, Rail & Transports. Depuis le début de l’année, il y a eu très peu de mouvements de grève à la SNCF. Cela témoigne-t-il d’un climat social apaisé ?
Gilbert Garrel. Pas spécialement. Car il y a eu les élections professionnelles et c’est une période peu favorable pour créer les conditions d’une unité syndicale. Ensuite, il a fallu mettre en place les institutions représentatives du personnel et cela demande un gros travail d’organisation qui mobilise les syndicats sur le terrain. Et puis, en 2010, il y avait eu des grèves au printemps, à l’automne, à la fin de l’année autour du décret sur les retraites et du budget. À cette période, les militants ont beaucoup donné, d’où le calme relatif ensuite.
VR&T. Il y a donc eu une année de mobilisations, pour quels résultats concrets ?
G. G. Cette mobilisation, notamment sur la question des retraites, a énormément pesé dans l’entreprise. La direction a mesuré le rapport de force et la montée du mécontentement. Les mille emplois supplémentaires par rapport aux prévisions du budget 2011, 5 540 au lieu de 4 550 annoncés à l’issue de la table ronde du 15 juin 2011 peuvent être mis à l’actif de cette mobilisation.
LVDR. Pourquoi appelez-vous seuls à la grève le 11 octobre prochain ?
G. G. C’est dans le cadre d’une action interprofessionnelle sur les salaires, l’emploi, les conditions de travail. Nous avons eu plusieurs réunions entre syndicats cheminots depuis juillet sur cette journée d’action. La CFDT et l’Unsa ne sont pas favorables à la grève. Par ailleurs, lors des derniers conflits, SUD n’a pas joué le jeu correctement. On a vu ses militants attendre pour se mettre en grève que nous décidions de reprendre le travail. Nous avons donc déposé seuls une DCI (demande de concertation immédiate) et souhaitons que la direction de la SNCF la prenne très au sérieux. La hausse de salaires qui nous est proposée est de 0,9 % alors que l’inflation est à 2,2 %. Nous réclamons donc la réouverture des négociations salariales. Quant à l’emploi, il faut prendre en compte la mise en place du prochain service en décembre, avec un nombre exceptionnel de changements.
VR&T. Craignez-vous le changement de service, d’une ampleur inédite, au point qu’il fait évoquer un « big bang » à la direction de l’entreprise ?
G. G. Nous avions dit que mettre en place ce cadencement n’était pas la bonne solution, car il ne peut être vraiment efficace que si le réseau est rénové et pas en chantier. Le gouvernement a fait un choix différent et tranché en faveur de RFF, qui voulait ce cadencement. Cela ne nous empêche pas, aujourd’hui, de dire clairement : nous avons envie que ce changement de service se passe bien. Pour cela, nous voulons l’ouverture de négociations locales, dans les établissements, pour vérifier l’adaptation des moyens et mettre les organisations du travail en place. Dans ces conditions, il faut que le dialogue social s’ouvre très vite. Notre objectif n’est absolument pas de faire grève le 11 décembre, c’est de faire en amont ce qu’il faut pour que cela se passe bien. Car ce sont les cheminots qui seront ensuite confrontés au quotidien aux usagers.
VR&T. Alors que s’ouvrent les Assises du ferroviaire, que penser de la question du statut du cheminot qui revient sur le devant de la scène ?
G. G. Sur ce sujet, le gouvernement tout comme la direction de la SNCF ne sont pas clairs. Personne n’ose dire véritablement qu’il souhaite attaquer le statut. La volonté, ce serait de faire comme en Allemagne : les anciens le gardent et l’on crée un double statut avec une convention ferroviaire nouvelle pour les autres. Dans le rapport Grignon, s’il y a ouverture à la concurrence, les cheminots qui passeraient dans une autre entreprise perdraient toutes les clauses statutaires. C’est une attaque inadmissible. Par ailleurs, certains préfèrent parler de cadre social. Mais ce cadre, c’est le statut, la réglementation du travail, les accords d’entreprise. Je ne vois pas comment on peut envisager de modifier le cadre social sans toucher au statut.
Souvent, on évoque les avantages liés à ce statut, sans bien mesurer les devoirs qui y sont liés. Il y a la qualification, la formation, la garantie d’un vrai professionnalisme, l’attachement prioritaire à tout ce qui tient à la sécurité des circulations. La priorité de la SNCF, c’est de répondre aux besoins de la population avec un transport de qualité. Pour une entreprise privée, la priorité, c’est la rentabilité financière et cela ouvre la porte à la déréglementation. Nous avons d’ailleurs envoyé plusieurs courriers à l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) concernant ECR (Euro Cargo Rail). Certaines de ses locomotives traversent la France sans contrôle de vitesse par balises (KVB), ce qui est interdit à la SNCF. Et on constate, dans les triages, qu’ils font des essais de freins au minimum.
Le statut, c’est aussi la possibilité de dire non quand les règles les plus élémentaires ne sont pas assurées. Si un salarié d’ECR dit non, il risque d’être licencié. Derrière le statut, il y a un cadrage. Si le TGV a pu transporter près de deux milliards de personnes sans accident en trente ans, c’est lié à cela. Nous ne voulons pas que le rail devienne aussi anarchique que la route, ou que l’on fasse des listes noires des compagnies ferroviaires, comme dans l’aviation.
VR&T. Les cheminots doivent-ils évoluer, comme l’a dit le président Sarkozy, en soulignant que nous ne sommes plus au temps de la vapeur ?
G. G. Lorsque l’on roule à 320 km/h, cela demande d’autres réactions, une autre concentration, un autre professionnalisme. À l’époque de la vapeur, il y avait des journées de 12 heures mais avec deux conducteurs à bord, à 60 km/h. Cette comparaison, c’est complètement démagogique. Notre réglementation du travail a d’ailleurs des dispositions qui ont largement évolué au fil du temps, en fonction des évolutions de la technologie.
VR&T. Qu’attendez-vous des Assises du ferroviaire ?
G. G. Lors de la dernière manifestation en juin, Nathalie Kosciusko-Morizet a pu mesurer l’attachement des cheminots à leur métier. Le gouvernement ne peut pas prendre ces Assises à la légère. Même si l’on aurait souhaité davantage de débats de proximité, même si l’on doute de certains technocrates à la tête de commissions, il y a des personnes comme Gilles Savary qui savent de quoi ils parlent. Le lien évoqué entre transport ferroviaire et industrie ferroviaire est également important. Sans le travail qui était hier beaucoup plus coordonné avec Alstom – alors Alsthom – il n’y aurait pas eu le TGV. Un autre aspect positif, c’est l’engagement pluriannuel évoqué par la ministre. Car le ferroviaire, ce sont des investissements lourds qui ne peuvent se travailler seulement dans le court terme mais sur au moins 15, 20 ans. Notre crainte, ce serait que la fin des Assises marque la fin du débat. J’ai aussi peur que ce soit trop court. Nous avons pris vingt ans de retard. Trois mois, cela risque d’être un peu juste pour avoir de vraies réflexions complexes sur le système ferroviaire. Si l’on fait tout cela simplement pour dire nous allons ouvrir la concurrence dans les TER, si c’est pour stigmatiser les cheminots et la SNCF, ce n’est pas la peine. Il ne faut pas que le statut du cheminot soit au cœur des Assises du ferroviaire. En revanche, s’il y a de vraies perspectives…
VR&T. Quel avenir voyez-vous à un système qui place la SNCF d’un côté, RFF de l’autre ?
G. G. Cette séparation structurelle que rien n’obligeait à effectuer a rendu concurrentielles les relations entre deux entreprises publiques alors qu’il faudrait privilégier des relations complémentaires. Aujourd’hui, les difficultés des usagers au quotidien, les critiques sur la qualité du transport ferroviaire en France sont dues à 90 % à cette séparation. Entre les deux, il y a seulement des relations commerciales, ce qui fragilise totalement le système. Une chose est essentielle, c’est que le sujet soit remis sur la table des négociations. Il faut désormais voir comment l’on crée les conditions pour réunifier. L’avantage d’une solution à l’allemande, c’est que l’infra et l’entreprise historique sont dans la même holding. Après, il va falloir revenir sur la question de la dette de RFF. En Allemagne, le système a été désendetté à deux reprises, avant la réunification et après.
Propos recueillis par Pascal GRASSART
Publié le 10/12/2024
Publié le 10/12/2024