Le débat sur le ferroviaire : l’heure des choix
Le 15 décembre va se tenir la dernière séance plénière des Assises du ferroviaire.? Les quatre commissions (concurrence et Europe, gouvernance, finance, industrie) vont remettre leurs recommandations au gouvernement. Dernières pièces versées au dossier dans nos colonnes : Pierre Cardo, président de l’Araf, se prononce en faveur d’un RFF chargé du pilotage, de la coordination et de la planification. Alain Quinet, DGD de RFF, explore, en pragmatique, quelques pistes permettant de résorber en dix ans le trou annuel du système ferroviaire. Louis Nègre, président de la Fédération des industries ferroviaires montre comment la filière veut s’organiser, de façon indépendante de la SNCF Entretien avec Pierre Cardo, président de l’Araf
« J’ai envie d’une SNCF qui gagne, mais est-il normal qu’on multiplie ses fonctions ? »
Pierre Cardo plaide en faveur d’une réorganisation de RFF et d’une SNCF qui puisse se concentrer sur son cœur de métier. Et refuse une holding à l’allemande qui n’est pas conforme au droit européen et comporte des risques de discrimination.
Ville, Rail & Transports. Vous avez été auditionné, dans le cadre des Assises du ferroviaire, par la commission de la gouvernance et par la commission chargée de l’Europe et de la concurrence. Quel message est le vôtre ?
Pierre Cardo. Il n’y a pas de système parfait. Le système issu de la réforme de 1997 est au milieu du gué et on ne peut pas en rester là. Il faut progresser par étapes. Une première étape pourrait être de regrouper les fonctions de planification, de pilotage et de coordination. Et cela ne peut être que le fruit d’une réorganisation profonde du rôle du gestionnaire d’infrastructure. Le système de la holding à l’allemande tel que certains le préconisent n’est pas satisfaisant. Il n’est pas conforme au droit européen, et il comporte des risques de discrimination, quand bien même il disposerait d’un régulateur puissant. D’ailleurs, la DB a été récemment condamnée pour discrimination par des tribunaux allemands. N’oublions pas non plus que ce n’est pas le système de holding qui a fait le succès en Allemagne, c’est tout un ensemble, qui passe entre autres par la refonte du volet social et le règlement de la dette.
Au-delà de la gouvernance, il faut définir les périmètres. Est-il normal qu’il y ait des infrastructures ou des prestations de services, dues à tout le monde, qui soient attribuées ou rendues par un opérateur qui peut être tenté de se favoriser ? En Allemagne, pour ne pas dépendre de la DB, certains nouveaux entrants ont dû investir dans des ateliers, compte tenu des difficultés rencontrées pour accéder ou bénéficier d’une qualité de service satisfaisante pour la maintenance de leur matériel. Mais tous ont-ils les moyens nécessaires pour de tels investissements ?
VR&T. Vos réflexions vont à l’encontre de ce que souhaite la SNCF, qui compte sur une position d’opérateur pivot pour conforter sa position de champion national.
P. C. Moi aussi j’ai envie d’une SNCF qui gagne ! Mais si on veut que l’opérateur historique, non seulement ne subisse pas la concurrence mais en bénéficie, est-il normal qu’on multiplie les fonctions qu’il doit assurer ? Aujourd’hui, on lui demande de faire de la gestion déléguée d’infrastructure et d’accomplir des missions pour les autres. Ne vaut-il pas mieux lui donner les moyens de se concentrer sur son cœur de métier, avec les plus grandes chances de réussite en France comme à l’étranger ?
VR&T. L’Araf a un an d’existence depuis le 1er décembre. Où en est la montée en puissance de l’Autorité ?
P. C. Les contentieux commencent à s’accumuler. Nous avons réglé deux différends, un troisième est en cours d’instruction, deux autres devraient nous arriver dans peu de temps. Nous avons aussi en cours trois procédures de sanction. Ce sont des procédures moins codifiées que les règlements de différends, plus souples, laissant davantage de temps à l’investigation, portant sur des manquements plus globaux que les différends et qui, comme leur nom l’indique, peuvent donner lieu à des sanctions. Les thèmes évoqués portent principalement sur le rôle de l’opérateur historique comme gestionnaire des infrastructures de services de fret et sur la qualité des sillons alloués. Tout cela montre que nous sommes utiles. Nous avons envie de jouer notre rôle, de clarifier les règles qui s’imposent aux acteurs, par exemple en rendant le document de référence du réseau plus lisible. Dans le cadre des Assises, on nous suggère de faire, à l’image des Britanniques, un « code du réseau » fixant les relations contractuelles entre acteurs. Cela permettrait d’être en amont des problèmes. Pourquoi pas, mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. Or l’Etat, par la loi de finances, a plafonné nos ressources. Elles ne dépendent pourtant pas du budget de l’Etat. Nous disposons de 3,7 ‰ des péages versés à RFF pour fonctionner, part que nous avons fixée en bas de la fourchette qu’on nous proposait. Cela nous assure aujourd’hui 11 millions d’euros, et voici que, sans concertation, on nous plafonne à cette somme. Nous sommes, de plus, sous la menace d’un plafonnement d’emplois, alors que nous sommes en période de montée en charge, pour un effectif prévu de 60 personnes. Veut-on avoir un régulateur qui favorise les usagers, protège les acteurs, optimise l’utilisation du mode ferroviaire ? L’autonomie, cela passe aussi par les moyens financiers. Je ne suis satisfait ni dans le fond ni dans la forme. J’ai toujours été extrêmement rigoureux dans ma façon d’utiliser les fonds publics.
Propos recueillis par F.?D.
Entretien avec Alain Quinet, directeur général délégué de RFF
« On peut réduire l’impasse financière du système en dix ans »
Quelle trajectoire prendre pour trouver un équilibre économique ? Alain Quinet propose une réforme des modes d’organisation permettant d’améliorer la productivité du système comme la disponibilité commerciale du réseau.
Ville, Rail & Transports. On évalue l'impasse du système ferroviaire à environ 1,5 milliard d’euros par an. Tout le monde est d’accord : à ce rythme, on va dans le mur. Mais comment résorber l’impasse ?
Alain Quinet. La situation financière du réseau ferré est en effet préoccupante. Il faut dans un même temps se garder de postures radicales et parfois caricaturales. On peut toujours demander que l’Etat reprenne les problèmes à sa charge en augmentant les concours publics ou à l’inverse souhaiter une purge des coûts et un gel des projets. Si l’on s’en tient à ces postures de principe, il est difficile d’avancer, parce qu’aucune de ces solutions radicales n’est viable, et on reste au bout du compte avec son milliard et demi d’impasse sur les bras.
Ce qui me semble utile, c'est de voir de quelle façon on peut réduire dans la durée une impasse qui spontanément ne va pas se réduire. La première question, c’est celle de l’horizon et de la trajectoire qu’on se donne pour trouver un équilibre économique. Un des atouts du secteur ferroviaire, c'est qu'il peut s'inscrire dans un temps relativement long. C’est un atout, car il faut du temps pour réformer les modes d’organisation. Si on commence maintenant en se donnant un horizon de dix ans, cela veut dire, chaque année, franchir une marche de 150 millions d’euros. C’est à la portée du système, car les leviers de performance sont d'autant plus nombreux que l’horizon s’allonge. Si on raisonne sur un horizon trop court, on reste essentiellement dans une logique de transferts financiers entre l’Etat, RFF et SNCF, avec à chaque fois un gagnant et un perdant potentiel. On ne sort pas du débat sur le niveau des péages ou des concours publics. Si on raisonne sur un temps plus long, on peut mobiliser d’autres leviers de performance, qui améliorent le bien commun.
VR&T. A quoi pensez-vous ?
A. Q. De manière pragmatique on peut actionner trois leviers : celui de la productivité de l'ensemble du système, celui de l'augmentation de la disponibilité commerciale du réseau pour faciliter l’augmentation des trafics et celui des financements multimodaux.
VR&T. Mais ne sont-ils pas déjà actionnés ? On a l’impression d’entendre un air connu…
A. Q. Ont-ils tous été explicités ? Je n'en suis pas certain, et c’est un des intérêts des Assises du Ferroviaire que de les mettre en évidence. Quand on parle de productivité, on pense généralement aux effectifs. Mais le champ de la productivité, est beaucoup plus large. La productivité du capital, par exemple, est un enjeu très important : on peut davantage mécaniser l'entretien, souvent effectué avec un matériel vieillissant ; on peut davantage massifier les travaux de rénovation. Il y a aussi la productivité des trains, leur taille et leur taux de remplissage. Pour le fret par exemple, la longueur moyenne des trains est de 550 mètres et le réseau est historiquement conçu pour supporter des trains allant jusqu’à 750 mètres. A la demande de la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, nous nous sommes engagés à adapter l’infrastructure de certains axes pour permettre la circulation dès 2012 de trains de 850 mètres et, à terme, de 1 50 mètres.
Autre dimension de la productivité, celle du réseau. Notre réseau reste globalement sous-utilisé, même si les trafics sont denses dans certaines zones. Or, chaque pour-cent de trafic en plus, est une opportunité de péages supplémentaires et d’étalement des coûts fixes. C’est la responsabilité de RFF de mieux organiser la répartition des capacités entre circulations et maintenance ; ranger les travaux dans des fenêtres prédéterminées, mettre ces fenêtres la nuit lorsque les trafics de jour sont denses, ce qui permet de sécuriser et d'affermir les sillons. Le cadencement des horaires permet de mieux organiser les correspondances, de développer une logique de hub, et d’augmenter les capacités de trafic sur le réseau. Nous pouvons aussi avoir recours à « la domestication des trains », ce qui permet d'augmenter les trafics et la productivité du réseau, quitte à ne pas faire rouler chaque train à sa vitesse maximale. Regardez l'évolution des trafics entre Paris et Versailles. En 1922, quelques trains bolides ne mettaient que 23 minutes, sans arrêts. Aujourd'hui, les trains mettent en moyenne 31 minutes. Mais nous avons un trafic quatre fois plus dense et des arrêts intermédiaires en gare plus nombreux. Comme le trafic est plus dense les coûts de l’infrastructure sont répartis entre plus de trains, et donc le coût par train plus faible.
Vous le voyez, quand on allonge l'horizon, on dispose d’un « bouquet » de solutions plus large ; on ouvre des perspectives nouvelles. Pour mettre en œuvre ce bouquet, naturellement il faut une bonne gouvernance, que chacun soit responsabilisé sur ses choix et dispose d’un bon éclairage économique.
VR&T. Tout ceci vaut pour le réseau existant, mais comment faire pour assurer aussi la réalisation des meilleurs projets ?
A. Q. Il y a des possibilités, dans les années qui viennent, de redéploiement des concours publics en faveur de la modernisation du réseau existant, priorité affirmée par le nouveau projet de Snit. Après la mise en service à l’horizon 2017 des quatre lignes nouvelles déjà programmées, il y a une opportunité pour le faire. Selon nos calculs, la rentabilité financière d’une rénovation supplémentaire bien faite est en moyenne de 6 %, et sa rentabilité socio-économique d'environ 9 %. Le bilan carbone est également positif. C’est à comparer à chaque fois avec la pertinence d’un projet de ligne nouvelle. Là aussi, il faut se méfier des solutions trop radicales. Il est normal et sain d'avoir des projets. Je serais inquiet de voir une société simplement tournée vers l’apurement de sa dette.
Mais il y a deux aspects à considérer : pourquoi y a-t-il une pression pour la réalisation de nouveaux projets ? Et comment gère-t-on leur abondance ? La pression peut venir de bonnes raisons : parce qu'il y a une inégalité territoriale par rapport à la grande vitesse ou parce qu'il y a des zones saturées, comme l'Ile-de-France.
Mais il y a aussi de moins bonnes raisons. Par exemple lorsque la pollution n’est pas correctement tarifée. La mise en service de l’écotaxe poids lourd me semble de ce point de vue intéressante, de même qu’une extension de la fiscalité carbone. Dans les zones saturées, il faut aussi, comme nous le dit l’Araf, avoir une bonne tarification de congestion avant de penser à de nouveaux projets. Si on ne tarife pas bien la congestion ou la pollution, on aura beau construire en permanence des capacités supplémentaires, on va alimenter le problème autant qu’on va le résoudre.
Une fois qu’on a fait émerger les bons projets, on a deux modes de gestion de la rareté des fonds publics. L’un se fait par file d’attente. On attend en quelque sorte que les bons projets trouvent leur tour de table et qu’ils se mettent ainsi en bon ordre dans la file d’attente. Ce n’est pas totalement irrationnel, mais ce n’est pas totalement satisfaisant. Tout le monde tourne depuis longtemps autour d’une idée assez simple : il faut améliorer la gouvernance des projets sans dessaisir le politique, en donnant plus de poids dans la décision aux évaluations de la rentabilité collective de chaque projet.
De ce point de vue, le modèle du nouveau Commissariat général à l’investissement mis en place pour gérer le fonds du Grand emprunt pour les investissements d’avenir me parait un exemple intéressant. On a une vraie gouvernance, un mandat pour hiérarchiser les projets sur la base d’une enveloppe qui est prédéfinie et sécurisée. On pourrait s’inspirer de ce modèle dans le domaine des infrastructures en s’appuyant sur deux principes : une visibilité financière pluriannuelle à 5 ou 10 ans, un mandat donné à une institution, qui pourrait être par exemple l’Afitf, de hiérarchiser les projets sur la base d’une évaluation, débattue de manière ouverte, de la rentabilité socio-économique et financière des projets.
VR&T Vous parlez d’une vraie rentabilité socio-économique. Vous la jugez aujourd’hui mal évaluée ?
A. Q. Il faut faire évoluer les méthodes d’évaluation. Jusqu’à présent, ce qui fait la rentabilité socio-économique d’un projet c’est essentiellement le gain de temps. On regarde la minute gagnée entre le point A et le point B. Cela permet d’évaluer assez bien les gains de trafic et les parts de marché que le fer peut gagner sur l’aérien ou sur la route. Mais ce n’est qu’une partie de l’impact d’un projet sur la vie du réseau et le bien-être des usagers. Il faut tirer d’emblée les premières leçons de la mise en service de la LGV Rhin-Rhône pour le service annuel 2012. Elle n’offre pas simplement un gain de temps sur le tronçon concerné, mais de proche en proche elle a un effet significatif sur le graphique de circulation. Il faut donc avoir une approche globale et se demander quel effet peut avoir un nouveau projet sur l’ensemble du graphique de circulations, sur la robustesse des horaires, les correspondances, l’occupation des gares, etc. C’est ce qu’on fait pour les nouveaux projets comme Tours – Bordeaux ou Bretagne – Pays de la Loire. C’est d’autant plus important que beaucoup des nouveaux trains circulant sur ces futures lignes arriveront en zones très denses.
En résumé il faut davantage penser global, penser « réseau » que de manière isolée projet par projet, car la grande force du fer par rapport à l’avion notamment, c’est l’effet réseau entre les trains, entre les TGV, les TET, les TER. Penser réseau c’est se donner les moyens d’améliorer la qualité de service et l’équilibre économique du système.
VR&T. La SNCF est, on le sait, très hostile à une « dé-intégration » du système ferroviaire, au nom notamment de coûts importants engendrés. Qu’en pensez-vous ?
A. Q. Il y a certes un coût lié à la dispersion de la gestion d’infrastructure entre plusieurs acteurs, mais je pense qu’il est difficile d’en faire un chiffrage convaincant. Ce que je crois de manière plus fondamentale, c’est que dans un système où la gestion d’infrastructure est dispersée entre plusieurs institutions, on ne peut pas mettre en place les bonnes incitations. Dans un réseau « normal », le régulateur fixe des objectifs de performance au gestionnaire de réseau : performance financière, avec par exemple une cible de productivité, et performance en termes de qualité de service et de régularité (ce qu’on appelle en anglais le performance regime). C’est ce que l’on voit dans l’électricité ou les télécoms. Mais le système ferroviaire français ne fonctionne pas de cette manière. L’Araf pousse à une meilleure performance du système, mais le système n’est pas organisé aujourd’hui pour que l’Autorité puisse lui fixer des objectifs de performance.
Même si l’on unifie le gestionnaire de réseau, il faudra de toute façon faire vivre le système ferroviaire avec plusieurs acteurs : les AOT, la SNCF, les autres entreprises ferroviaires, le gestionnaire de réseau mais aussi les ports, les OFP… Le système doit être organisé pour vivre avec un nombre important d’acteurs et de parties prenantes. Il faut organiser ces relations sur la base d’une logique de droits et de responsabilités, en misant sur la transparence et la clarté des responsabilités de chacun.
Propos recueillis par F. D.
Entretien avec Louis Nègre, vice-président du comité stratégique de la filière ferroviaire et président de la FIF
« Le pilotage effectif de la filière est d’abord l’affaire des industriels »
Louis Nègre se dit confiant quant aux travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière. Ils devraient déboucher sur la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée. A l’image de celles dont disposent l’Allemagne, la Chine ou le Japon.
VR&T. Les états généraux de l’industrie avaient clairement fait apparaître dans le secteur ferroviaire, comme dans la plupart des autres secteurs industriels, l’absence d’une véritable filière organisée et solidaire. Quel bilan tirez-vous des travaux et actions mis en œuvre depuis l’été 2010 ?
Louis Nègre. Vous avez raison d’évoquer le rôle salutaire, voire même « salvateur » des états généraux de l’industrie (EGI). Cette initiative majeure, lancée sur proposition du président de la République, a permis de prendre conscience que notre pays, contrairement à des pays aussi différents que l’Allemagne, la Chine, le Japon ou encore la Corée, manquait cruellement de véritables filières industrielles, et qu’en l’absence d’un travail collectif en profondeur, nos industries allaient continuer à perdre à la fois des marchés et des emplois. Cela a conduit les partenaires du secteur ferroviaire – j’y inclus les syndicats de salariés, particulièrement constructifs dans les groupes de travail – à s’organiser, autour de la FIF, dans le cadre du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire, afin d’œuvrer à la mise en place d’une véritable filière dans notre pays.
Un premier rapport d’étape vient d’être remis par le comité de pilotage de la filière industrielle ferroviaire, que je préside, à l’ensemble des membres du comité stratégique, le 9 novembre dernier, avec en perspective, je l’espère, une validation par l’ensemble des partenaires à la fois de l’analyse de la situation actuelle et des pistes d’action proposées. Ceci débouchera sur l’élaboration du rapport définitif prévu pour mars 2012.
VR&T. Quelles sont les premières pistes évoquées dans ce rapport d’étape ?
Louis Nègre. Vous comprendrez bien qu’il m’est difficile d’être explicite aussi longtemps que ce rapport d’étape n’aura pas été validé dans le cadre d’une réunion officielle du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire.
Je puis néanmoins d’ores et déjà vous préciser que ce premier rapport vise à analyser les prérequis pour la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée et pérenne et, également, à effectuer un certain nombre de préconisations à la fois vers les pouvoirs publics et vers les partenaires du dossier, afin de créer véritablement cette filière en la rendant solidaire et efficace.
Ces préconisations concernent cinq domaines prioritaires : la stratégie globale de la filière, le renforcement de la cohésion et de la solidarité au sein de la filière, la mobilisation des supports de la filière à l’international, le renforcement de l’efficacité économique des processus d’innovation et, enfin, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein de la filière, son image, son attractivité pour les jeunes diplômés aussi bien que pour les cadres expérimentés.
Des pistes prometteuses se dégagent déjà au sein des groupes de travail, avec pour objectif de renforcer les moyens d’action de la filière et surtout de les rationaliser. J’y associe bien sûr les procédures publiques d’aide à l’innovation « stratégique » ou encore à l’international. Une autre préoccupation majeure qui apparaît à travers certaines préconisations est d’assurer des relations contractuelles plus harmonieuses et plus équilibrées au sein de l’ensemble de la filière, ainsi qu’un autre mode de coopération entre les acteurs.
J’espère, quoi qu’il en soit, avoir prochainement l’occasion de détailler ces pistes et ces préconisations à l’issue de la prochaine réunion du comité stratégique de filière qui devra se prononcer sur ce rapport d’étape.
VR&T. Quelle est votre réaction à la suite des déclarations de Guillaume Pepy se proposant d’être le pilote de la filière industrielle ferroviaire ?
Louis Nègre. Je crois que la SNCF, grand client de la filière industrielle ferroviaire, est un partenaire indispensable et majeur. Son rôle de grand client peut s’exercer de façon déterminante à travers des décisions d’investissements qui restent à prendre sur la grande vitesse, et également en matière de prescription des matériels destinés aux régions. Quant au fret, il n’est pas interdit d’espérer… Pour ce qui concerne le pilotage effectif de la filière industrielle ferroviaire, ceci est d’abord l’affaire des industriels eux-mêmes, qui sont directement confrontés à la concurrence mondiale sur des marchés de plus en plus concurrentiels.
Je suis pleinement confiant quant aux perspectives offertes par les travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière ferroviaire auxquels est associée la SNCF. Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministre de l’Industrie, m’a confié en août 2010 cette mission, que j’entends remplir jusqu’au bout.
Je m’emploierai pleinement pour que ces travaux, en liaison étroite avec ceux menés dans le cadre des assises du ferroviaire et en concertation permanente avec l’ensemble des partenaires du secteur, en particulier les grands décideurs, débouchent sur la constitution d’une véritable filière industrielle ferroviaire, organisée et pérenne.
VR&T. Parallèlement à la mise en place du comité stratégique de filière, nous avons vu se succéder un certain nombre de démarches publiques autour de l’avenir de la filière. Après la commission d’enquête parlementaire « Bocquet-Paternotte » sur l’avenir de la filière industrielle lancée en janvier dernier, il y a eu le rapport du Boston Consulting Group commandé conjointement par Bercy et par le MEEDDM, puis, depuis septembre dernier, la mise en place d’un groupe « filière » dans le cadre des Assises nationales sur le ferroviaire. Tout cela n’est-il pas redondant ?
Louis Nègre. S’il est vrai que cette accumulation de « travaux publics » autour d’un même sujet qui est celui de la compétitivité et de l’avenir de la filière industrielle ferroviaire peut donner un certain sentiment de redondance, il n’en reste pas moins tout aussi vrai que cela montre bien que les pouvoirs publics ont pris conscience, depuis la mise en œuvre des états généraux de l’industrie, de l’importance stratégique de cette filière.
Je ne puis donc que m’en réjouir, a fortiori dans un contexte économique et financier planétaire aussi drastique, pour ne pas dire dramatique, qui pourrait, selon certains, remettre en cause les objectifs du Grenelle de l’environnement.
De mon point de vue, non seulement le mode ferroviaire à un grand avenir devant lui, mais encore la filière industrielle française dispose d’un potentiel, et bientôt, je l’espère, disposera d’une organisation qui lui permettra d’être au rendez-vous de l’avenir.
Publié le 10/12/2024
Publié le 10/12/2024