Le face-à-face Bussereau/Savary. Faut-il renationaliser les autoroutes
Nos deux députés experts ont accepté de se livrer à un exercice particulièrement difficile : une réaction à chaud sur un dossier qui évolue quotidiennement. Quelle qu’en soit l’évolution, leur analyse n’en est pas moins pertinente.
Sur l’autoroute de la démagogie
Par Dominique Bussereau
Député UMP de Charente-Maritime, président du conseil général de la Charente-Maritime, vice-président du Gart.
Un peu d’histoire : en 2005-2006, le Gouvernement de Dominique de Villepin vend les parts de l’Etat dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ministre de l’Agriculture à l’époque, je n’ai pas été associé à cette décision que je juge aujourd’hui trop rapide et sans vision à long terme (14,8 milliards d’euros de recettes, mais une fois pour toutes). Mais, par ailleurs, l’Etat dont les missions doivent être avant tout régaliennes a-t-il sa place, apporte-t-il une utilité et une expertise dans la gestion d’un réseau autoroutier ?
En vendant aujourd’hui la part publique de l’aéroport de Toulouse, le Gouvernement Valls est dans cette même logique, libérale, mais dans ce cas précis elle est peu contestée.
Récemment la Cour des comptes, a critiqué les sociétés d’autoroutes, constatant des hausses tarifaires systématiquement supérieures à l’inflation (4 % par an de 2006 à 2011 contre 1,85 % en moyenne pour l’indice des prix Insee) et une insuffisante tutelle du ministère des Transports. Les sociétés d’autoroutes sont également accusées de profits excessifs et de ne pas suffisamment investir dans leur réseau.
De même, l’Autorité de la concurrence (agissant à la demande de la Commission des finances de l’Assemblée nationale) a rendu elle aussi des conclusions accablantes, fustigeant la rente des sociétés concessionnaires et proposant d’élargir le champ d’intervention de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) à tous les transports, dont le réseau autoroutier.
En réponse, l’AFSA (Association française des sociétés d’autoroutes) a répondu que les bénéfices dégagés sont à l’aune « d’une dette cumulée de près de 40 milliards d’euros et d’un risque lié aux investissements supplémentaires décidés par le concédant entièrement supporté par le délégataire. »
Parallèlement les pouvoirs publics – qui ne sont pas à une contradiction près – ont notifié à Bruxelles une prolongation des concessions autoroutières en échange de 3,6 milliards de travaux nouveaux sur le réseau.
Le débat sur la renationalisation éventuelle des sociétés d’autoroutes n’est donc pas d’actualité, car chacun reconnait la qualité des autoroutes françaises et sait que leur renationalisation coûterait au bas mot 20 milliards d’euros, plus la prise en charge de 31 milliards de dettes.
Survient alors la funeste décision de Ségolène Royal mettant fin à l’écotaxe. Cet ukase scandaleux va coûter à l’Etat 1,2 milliard de recettes destinées à l’amélioration de nos infrastructures (en réalité déjà ramenées à 450 millions après la première attaque de Madame Royal contre ce dispositif), sans compter la somme de 1 à 1,5 milliard d’euros qui devrait être déboursé pour indemniser Ecomouv (dont fait partie la SNCF).
Pour compenser ce manque à gagner, Ségolène Royal et son collègue Emmanuel Macron ont leur petite idée : taxer les si rentables sociétés d’autoroutes.
Mais le ministre de l’Economie, Michel Sapin a déjà répondu par des arguments que Madame Royal aurait dû connaître : au vu des contrats liant les sociétés concessionnaires à l’Etat, ce processus – s’il aboutissait réellement – serait compliqué, très long et se traduirait in fine, soit par une augmentation de la durée des concessions, soit par une nouvelle augmentation des péages. Cette taxation supplémentaire des ménages s’ajouterait à celle sur le gazole, l’impôt sur les moins aisés, que le Gouvernement est obligé d’instaurer afin de financer un programme minimum d’investissements dans les transports !
In fine, voici des autoroutes qui heureusement ne seront pas renationalisées, des syndicats de transporteurs qui se complaisent dans leurs privilèges et égoïsmes, un Gouvernement qui godille et des citoyens qui vont payer toujours plus pour de moins bonnes infrastructures et moins de progrès dans leurs transports du quotidien dans nos agglomérations.
Qui a dit démagogie ?
Les autoroutes : obscur objet de désir
Par Gilles Savary
Député PS de la Gironde et ancien vice-président de la commission Transport du Parlement européen.
Heureusement que ce pays dispose d’Autorités indépendantes qui dévoilent en toute liberté, ce que la petite gentry publique-privée qui gouverne la France, cache pudiquement au peuple.
Après la Cour des comptes en juillet 2013, l’Autorité de la concurrence vient de publier un avis édifiant sur les conditions dans lesquelles les sociétés d’économie mixte de construction d’autoroutes (SEMCA) ont été privatisées par le Gouvernement Villepin en 2005, « au détriment de l’Etat et de l’usager », y est-il écrit.
Ce qui est sûr c’est que dans un océan de marasme économique, les sociétés d’autoroutes font figure d’inépuisables cornes d’abondance, de sources miraculeuses.
En 2013, elles ont distribué quelque deux milliards de dividendes à leurs actionnaires tout en continuant à s’endetter opportunément pour bénéficier de la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunt.
Par ailleurs, les contrats de concession stipulent que les contrats de plan conclus tous les cinq ans entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes leur permettent de compenser leurs investissements d’entretien du réseau par des augmentations de péages.
Ces derniers augmentent d’ailleurs constamment au-delà de l’inflation, malgré une croissance appréciable du volume de trafic.
Enfin, l’Autorité de la concurrence pointe des marchés de travaux en circuit fermé entre filiales autoroutières et filiales de travaux publics des mêmes groupes.
Tout ceci est ficelé serré jusqu’aux années 2029 à 2037, termes des contrats de concession des 18 sociétés autoroutières françaises, parmi lesquelles figurent Vinci Autoroutes, le groupe Abertis et le groupe APRR détenu à 95 % par Eiffage et Area.
Si ces dernières récusent le qualificatif de rente, disons que ce modèle économique a toutes les apparences d’une manne céleste !
Fortes de ce rapport de force financier face à un Etat et à des collectivités locales exsangues, les sociétés d’autoroutes ont habilement proposé à l’Etat de financer 3,5 milliards d’euros de travaux de développements routiers et autoroutiers en contrepartie… d’un allongement de trois à six ans de la durée de leurs concessions.
Après les précédents de 2001 et de 2009, cet astucieux subterfuge, sans cesse renouvelé, tend à la concession perpétuelle.
Le Gouvernement trouve évidemment dans ce plan de relance autoroutier qui n’est plus dans ses moyens, l’aubaine immédiate d’une contribution majeure à la relance de l’économie et de l’emploi ; et les sociétés d’autoroutes, pour une « mise » initiale de 3,5 milliards d’euros, celle de 6 à 12 milliards de dividendes supplémentaires selon les durées de prorogation contractuelle qui seront acceptées par Bruxelles.
Ségolène Royal a certes envisagé de leur faire rendre gorge, mais dans un Etat de droit, la signature de l’Etat, fût-elle de complaisance ou d’incompétence, ne peut s’affranchir des conditions qu’il a acceptées sans s’exposer au discrédit international de sa signature ou à des recours judiciaires.
C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé devant le Conseil d’Etat en décembre 2012 quand il a voulu brutalement doubler la redevance domaniale que lui acquittent les autoroutiers. Ces derniers versent tout de même quelque 800 millions d’euros annuels de taxe d’aménagement du territoire et de redevance domaniale à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, en plus des impôts généraux. Avec les impôts qu’elles acquittent par ailleurs, 38 % de leurs recettes de péage reviennent à l’Etat.
Une mission parlementaire présidée par le député UDI de la Meuse, Bertrand Pancher, s’est créée à l’initiative du rapporteur Jean-Paul Chanteguet, député PS de l’Indre et président de la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, avec l’idée qu’une renationalisation, même coûteuse, d’une source de profit aussi profuse, mérite d’être étudiée.
Après tout, si les indemnités de rupture contractuelle peuvent être financées aujourd’hui par un emprunt public non maastrichien, pourquoi priver l’Etat de leurs promesses de profit futur ? Encore faut-il que l’Etat soit aussi avisé que le secteur privé dans la gestion de ces objets complexes, qui, pour la plupart des autoroutes françaises, n’ont pas encore atteint leur retour d’investissement initial ! Mais alors faudrait-il renoncer au plan de relance en plein marasme économique ?
L’équation est diabolique pour le Gouvernement Valls !
On retiendra de cette histoire que Dominique de Villepin est plus brillant en péroraisons onusiennes qu’en négociations autoroutières…
Publié le 10/01/2025 - Philippe-Enrico Attal