Créativité automobile versus conservatisme ferroviaire
Comment le train peut se réinventer
Par Jean-Claude Favin-Lévêque
La voiture semblait avoir amorcé un déclin historique : ringarde, polluante, meurtrière, embouteillant la cité, énergivore, symbole d’une mondialisation destructrice d’emplois, bref l’exemple même des excès de la société de consommation. Face à cela, le train a été officiellement déclaré ami du citoyen et de la nature, soutenu par tout ce que le monde compte d’associations engagées et de têtes bien pensantes. Mais la réalité ne suit pas le rêve. La voiture affiche une capacité de renouvellement impressionnante alors que le train s’est enlisé dans ses archaïsmes institutionnels.
Le Mondial 2014 de l’Automobile nous donne en spectacle une voiture phénix. Sa capacité à se réinventer semble sans limites. Dans les trente glorieuses, la voiture était le véhicule de toutes les évasions, balades entre amis, vacances sur la Côte d’Azur ou raids lointains. Un fantasme au masculin et une autonomie nouvelle au féminin. Puis elle dégringola de son piédestal. Juste une machine, guère plus qu’un réfrigérateur ou une machine à laver. Les « jeunes urbains » la boudent. Les bobos la boycottent. La voilà pitoyable vedette de la désindustrialisation.
Mais quelle capacité d’adaptation ! Pollueuse ? La voici au gaz, au biocarburant, au pétrole vert, hybride, électrique. Elle marche à tout ! Elle est dangereuse ? Elle sera bientôt automatique. Elle consomme du temps ? La voici connectée. Elle est le symbole de l’égoïsme ou de l’individualisme ? Elle se partage avec Autolib ou covoiture avec Blablacar. Où trouve-t-elle ces ressources inépuisables ? Dans l’initiative combinée des entreprises qui font évoluer leurs offres et des « consommateurs » qui se caractérisent par une flexibilité d’attitudes permise par l’individualité. Bref, un ajustement permanent de l’outil aux attentes changeantes du client dans un festival d’inventivité !
Face à ce « Transformer », le train chemine comme un vieillard perclus de rhumatismes. Alors qu’il est capable de rouler à la vitesse d’un avion, il donne l’impression d’être à la traîne technologique. Face à la voiture connectée, la prise électrique pour le mobile ou le portable apparaît comme un luxe ou une exception. Alors que la voiture vous emmène partout en Europe, le Thello de Milan à Marseille s’annonce comme une première inespérée. Le bilan CO2 est même contesté par les écologistes qui s’opposent à toute nouvelle ligne et qui accusent les TER d’être plus souvent diesel qu’électrique. Pire et paradoxal, les Français sont persuadés que le train est trop cher. Bref le ferroviaire est en train de perdre la bataille de l’opinion ! Doit-il rester ce mal aimé, le « dur » dans l’argot de Frédéric Dard ?
Pourquoi et comment ? Certes le ferroviaire a des contraintes structurelles fortes qui lui sont propres. Et les excuses sont faciles à trouver. En tant qu’ancien cheminot, je suis certain de pouvoir en remplir une page dans la catégorie « c’est la faute à… ». Mais au final, je suis persuadé que c’est la faute au train, ou plus exactement à l’incapacité du système à se renouveler. La principale raison de cette incapacité est institutionnelle : le train aujourd’hui en France, c’est l’Etat plus l’Administration plus 80 ans de monopole.
La SNCF et son grand tuteur viennent de nous donner quelques exemples révélateurs d’un esprit plus tourné vers la conservation de l’existant que vers l’innovation. En voici quelques indices. Le nouvel organigramme du Groupe SNCF avec ses trois Epic et les responsabilités entremêlées des titulaires détient un potentiel infini d’indécisions et demi-tours bureaucratiques. En son sein, on découvre une direction générale SNCF Voyageurs en charge de toutes les « mobilités » (vocable actuel), TGV, TER et Transilien. L’autonomie qui était celle de ces opérateurs ces dix dernières années correspondait à une logique de marchés, d’usages et de clients. Nous voilà revenus à l’usager unique et la grande « administration des déplacements » à la vision commerciale universelle. Le nombre de niveaux hiérarchiques entre l’agent et le sommet est difficile à compter, entre 7 et 10. Toujours dans la culture du monopole, les gares relèvent des opérateurs de transport. Un peu comme si Aéroport de Paris était une filiale d’Air France. Evidemment Bruxelles ne manquera pas d’épingler une nouvelle fois la France.
Le débat sur les trains Intercités est révélateur d’attitudes qui ne sont que politiciennes. Ces trains regroupent dans une même direction opérationnelle des choses aussi différentes que des liaisons longue distance comme Marseille – Bordeaux (qui demanderait un service type TGV), des trains de nuit et des relations régionales ou interrégionales. Intercités perd beaucoup d’argent. Solutions proposées et par qui ? Le politique qui répond qu’il faut « acheter des trains ». Intercités existant il faut donc « mettre les moyens » pour sa pérennité. Dans la machine politico-bureaucratique, l’existence précède l’essence ! Or la question première est celle du service attendu, par quels clients et dans quel modèle économique. La question du matériel est seconde. Il en existera forcément un (sans doute plusieurs) qui sera en mesure d’y satisfaire sous réserve de savoir à quoi. Nul doute que la réforme des Régions, si elle a lieu, va modifier la donne des Intercités.
Bref le système ferroviaire est paralysé par ses institutions, ses modes de pensée et ses structures qui sont tournés vers la conservation, au mieux la continuité de l’existant. L’innovation y est naturellement bloquée puisque contrainte par tout un ensemble de préalables et freinée par les lourdeurs de la machinerie et ses byzantinismes. Le monde ferroviaire est un système descendant du politique vers l’administratif conformément à l’ordre des choses républicain. L’innovation y est « décidée » par le sommet. A contrario, l’automobile donne l’exemple d’un système où l’innovation peut provenir de partout tant les acteurs sont diversifiés et animés par l’esprit d’entreprendre. Il en résulte une démarche créatrice collective plus efficace que toutes les planifications étatiques. Dans la compétition Initiative versus Directive, la deuxième a toujours deux temps de retard.
Il est urgent d’introduire ce pouvoir d’innovation et cette flexibilité dans le ferroviaire. Arrêtons de surprotéger la SNCF. Des concurrents la stimuleront et elle a les moyens de les affronter. Nous sortirons enfin de ce monde de la solution unique et politiquement correcte, où le ministre des Transports vient expliquer en temps réel chaque problème de quai ou retard de trains. Les acteurs du train, redevenus responsables, reprendront l’initiative sur les terrains qui leur sont favorables et dans un modèle économique sain et vertueux. L’automobile trouvera alors un challengeur sérieux et n’aura plus une autoroute devant elle.
Publié le 10/01/2025 - Philippe-Enrico Attal