« Nous voulons réaliser un chantier exemplaire en Ile-de-France »
Entretien avec Philippe Yvin, président du directoire de la SGP
Travaux de génie civil pour les prolongements au nord de la ligne 14, travaux préparatoires pour la ligne 15 Sud Le métro du Grand Paris Express est entré en phase de réalisation. Malgré le report de l'ouverture de la ligne 15 Sud à la fin 2022, Philppe Yvin, le président du directoire de la SGP s'engage à tenir les délais aujourd'hui fixés pour l'ensemble du projet. Et veut conduire un chantier modèle, pour la traçabilité des déblais, leur tri, leur recyclage, leur transport. Ville Rail & Transports. La ligne 15 Sud du métro du Grand Paris sera réalisée avec au moins deux ans de retard par rapport à ce qui était annoncé : fin 2022 au lieu de 2020. Que s’est-il passé ?
Philippe Yvin. Les sept ans annoncés en 2013 pour la réalisation de la ligne 15 Sud étaient fondés sur des études préalables. Grâce aux études d’avant-projet et compte tenu de la complexité du projet, nous avons la confirmation qu’il faut à peu près neuf ans pour réaliser une ligne de métro souterrain de cette envergure en zone urbaine dense. En comptant neuf ans à partir du début des études d’avant-projet, fin 2022 paraît une date raisonnable.
J’accompagnais la délégation de Paris Ile-de-France Capitale Economique lors de sa présentation à Singapour. Les autorités locales me disaient que, pour elles aussi, une prolongation de ligne de métro prend environ neuf ans. Elles ont les mêmes contraintes que nous : des normes environnementales très fortes, une législation très exigeante et des travaux complexes dans une agglomération dense.
Je rappelle que ces 15 dernières années, 15 km de prolongement de métro ont été réalisés en Ile-de-France. Nous allons réaliser 200 km en 15 ans. Et nous commençons par en faire 33 km d’un coup. Cela n’a jamais été fait en Ile-de-France. Il y a de plus 16 gares sur ce premier tronçon et chacune des gares est en soi un projet considérable
VR&T. Il n’y a pas de moyen de gagner du temps ?
P. Y. 2022 est raisonnable, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas rechercher avec les professionnels des occasions de gain de temps. Le projet est aussi une vitrine pour l’exportation et ce sera l’occasion d’innovations techniques. Elles nous permettront de gagner du temps par rapport aux plannings traditionnels, dans le génie civil comme pour les systèmes, la pose des rails ou des équipements. Pour la pose des rails, par exemple, certains progrès techniques considérables ont été apportés par des spécialistes des travaux routiers, qui ont permis une plus grande rapidité dans la réalisation des dernières LGV.
VR&T. Les sols vous ont-ils réservé de mauvaises surprises ?
P. Y. Nous avons fait deux constats de sol difficile pour la ligne 15 Sud. Des zones de carrière, à l’ouest, plus importantes que prévu, nécessitant plus de travail d’injection. Et une couche d’argile verte à l’est. Notre comité d’experts des travaux souterrains nous a conseillé de passer en dessous de cette couche. Saint-Maur sera donc la gare la plus profonde, à 50 mètres.
VR&T. Peut-on vraiment, comme l’a demandé le Premier ministre, accélérer la réalisation des lignes 17, 14 Sud et 18 quand on voit le report de la ligne 15 Sud ?
P. Y. Nous nous inscrivons pleinement dans les décisions et les objectifs fixés par le Premier ministre, Manuel Valls. 2024 est une date que nous pourrons respecter puisque nous disposerons bien de neuf ans entre le début des études et la mise en service des lignes.
VR&T. Vous disposez des délais suffisants pour tenir le nouveau calendrier, mais les finances le permettront-elles ? Vous allez concourir à hauteur de deux milliards au plan de mobilisation de la région, ce qui n’était pas prévu…
P. Y. La participation au plan de mobilisation a été intégrée dans le modèle financier depuis 2013. Nous avons engagé 169 millions l’an dernier, pour Eole, les RER, la ligne 11, et nous passerons de nouvelles conventions cette année.
Nous avons consolidé les premières phases financières. La trésorerie est importante, puisque nous ne dépensons pas la totalité des 500 millions de recettes annuelles. Mais cela va vite monter en puissance. En génie civil, les lignes 15 Sud et 16 vont coûter plus de 8 milliards d’euros. Nous allons contracter deux prêts. Nous avons un protocole pour quatre milliards, dont un premier prêt de un milliard, avec la Caisse des dépôts et consignations. Et nous avons l’accord pour un premier milliard avec la BEI, qui a indiqué qu’elle s’engagerait à la même hauteur que la Caisse des dépôts.
La dynamique est bonne. Pour les prochaines années, les financements sont là. Et je vois, grâce aux présentations du Grand Paris que nous assurons au niveau international avec Paris Ile-de-France Capitale Economique, la bonne disponibilité des capitaux pour ce type d’infrastructure. Nous n’aurions pas de mal à lever dès aujourd’hui des obligations sur les marchés internationaux.
VR&T. Les études avancent bien… mais Pierre Mongin, au moment de quitter la présidence de la RATP, n’en a pas jugé de même à propos de la future gare Pleyel…
P. Y. Nous sommes très satisfaits du travail de notre maître d’œuvre, Egis, qui nous accompagne sur les lignes 14 Nord, 16, 17 Sud. Nous avons en France des entreprises d’ingénierie qui sont toutes de très grande qualité et de nombreuses travaillent déjà pour la SGP. Cela représente 1 250 personnes et 800 millions de travaux d’ingénierie sont engagés. Tout le monde est sur le pont ! Pleyel sera la plus grande gare du réseau, forcément complexe, puisque quatre lignes vont s’y rencontrer. Nous avons un remarquable directeur de projet au sein de la SGP et je n’ai aucune inquiétude sur la capacité de l’ingénierie.
VR&T. La SGP a souvent été perçue comme une émanation de la RATP. Les deux nouveaux directeurs qui ont été nommés à vos côtés, Catherine Perenet (ex-Caisse des dépôts) et Bernard Cathelain (ex-ADP), à la différence de leurs prédécesseurs, Pierre-Alain Jeanneney et Didier Bense, ne viennent pas de la RATP. Vous coupez le cordon ombilical ?
P. Y. Cela aurait pu être des professionnels de la RATP. Il n’y a pas de décision spécifique en ce sens. Je reconnais au président Mongin le courage d’avoir soutenu le démarrage de la SGP en mettant beaucoup de personnel en détachement. C’était une décision très positive. Aujourd’hui, la société a grandi. Sur 160 personnes de la SGP, 15 viennent de la RATP. Nous avons accueilli des gens de RFF, de SNCF, d’ADP, de grands cabinets d’ingénierie privés ou du génie civil. Nous travaillons au quotidien très étroitement avec la RATP. La loi confère à la RATP la gestion de l’infrastructure, et c’est elle qui donne ses spécifications sur les sites de maintenance et de remisage ou sur les sites de maintenance industrielle : SMR de Champigny, SMI de Vitry et, demain, SMR/SMI d’Aulnay et de Rosny. Pour la ligne 15 Sud, nous avons fait un très bon travail sur les interconnexions avec la RATP.
VR&T. Yves Albarello et Alexis Bachelay, rapporteurs de la mission de contrôle chargée du suivi de la loi Grand Paris, ont attiré l’attention sur le problème des déblais, notamment pour leur dépollution. Qu’avez-vous prévu ?
P. Y. Nous prenons ce sujet à bras-le-corps. D’une contrainte il faut faire un facteur de progrès. Notre ambition, c’est de réaliser un chantier exemplaire en France. La loi sur la transition énergétique fixe une très haute ambition : recycler 70 % des déchets du BTP en 2020. Aujourd’hui, le tri et la valorisation de ces déblais sont marginaux. Le chantier va représenter plus de 40 millions de tonnes. Soit, chaque année, 10 à 20 % de plus de déblais en Ile-de-France. Ce sera l’occasion de mettre en place le développement d’une économie circulaire.
Nous devrons être exemplaires pour la traçabilité des déblais. Qu’on sache parfaitement d’où viennent les déblais et où ils vont. Nous développons également toutes les alternatives possibles à la route dans le transport des déblais. Nous avons travaillé avec Port de Paris pour des plates-formes de transbordement, sur la Seine et sur les deux canaux. Pour la ligne 15 Sud, nous aurons deux plates-formes sur la Seine, une à Vitry, et une à Sèvres — à l’Ile Monsieur. Plus tard, une sur le canal de Saint-Denis, au niveau de Saint-Denis et, une autre pour la ligne 15 Est, au pont de Bondy, sur le canal de l’Ourcq. Pour les voies ferrées nous avons des accords avec RFF pour deux plates-formes, une à Clamart, une autre à Bry-Villiers-Champigny, sur la ligne 15 Sud. Nous réfléchissons d’autre part à la création de plates-formes de transit, de façon à trier le plus en amont possible, opération qui ne sera pas toujours possible sur le lieu de l’extraction. Ce pourrait être sur des plates-formes de port de Paris, comme envisagé par exemple à Bonneuil ou Saint-Ouen-l’Aumône.
VR&T. Comment va se traduire cette économie circulaire dans la gestion des déblais ?
P. Y. Nous estimons que 10 % des déblais sont pollués et doivent aller dans des décharges agréées pour la dépollution des sols. Les 90 % restants se répartissent grosso modo entre 45 % de terres propres, réutilisables, et 45 % de déchets gypsifères. Aujourd’hui, l’enfouissement des déblais gypsifères dans les carrières de gypse n’est pas autorisé, ce qui est assez curieux. La réglementation pourrait évoluer ce qui permettra de combler de grandes carrières de gypse en Ile-de-France. Nous allons travailler avec l’industrie du plâtre pour voir s’il n’y a pas une partie des déchets à réinjecter dans le processus de fabrication du plâtre. Une partie des terres propres pourrait être triée pour en extraire des granulats qui pourraient être utilisés par le BTP.
Et puis, il y a de grands projets, comme la création de la forêt de Pierrelaye ou des projets de créations de digues. Certains maires souhaitent qu’on leur donne des terres pour des aménagements paysagers et une enquête de l’Association des maires d’Ile-de-France (Amif) a été lancée pour repérer les grands projets d’aménagement. Nous travaillons avec la fédération du bâtiment, celle des travaux publics et la fédération des industries françaises du recyclage afin de créer un cycle vertueux. Ce sont des pistes, que nous allons transformer en plans opérationnels.
Nous le faisons dans le cadre d’une politique d’innovation. Ces différentes dimensions de l’innovation sont très importantes pour l’industrie. Nous avons signé une convention avec Efficacity pour examiner si nous pouvons récupérer de l’énergie par des installations de géothermie au moment des travaux. Cinq gares de la ligne 15 Sud offrent du potentiel. Nous voulons être exemplaires dans la gestion des déblais, et nous voulons l’être aussi dans la gestion des chantiers eux-mêmes.
L’innovation a aussi une dimension technique, comme le montrent les systèmes qui permettent de généraliser des fréquences de rames jusqu’à 90 secondes.
Et il y a aussi une dimension numérique. La SGP a été très en pointe et nous voulons continuer. Nous allons lancer d’ici la fin de l’année notre programme d’innovation numérique ouverte. C’est une façon d’accrocher les jeunes générations au projet. Il est très important que la SGP soutienne les jeunes créateurs d’entreprise, notamment ceux qui veulent innover en matière de mobilité numérique.
VR&T. On peut découvrir, depuis le 13 juin, au MacVal, les maquettes des 16 gares du tronçon sud. Mais comment la gare va-t-elle s’insérer dans la ville ? Et comment va s’organiser l’intermodalité ?
P. Y. Nous allons publier un guide de recommandations pour le traitement des espaces publics autour des gares. Il sera intitulé Les places du Grand Paris. Car nos 68 gares vont donner naissance aux premières places du Grand Paris. L’intermodalité n’a pas toujours été bien traitée par le passé. On ne savait jamais très bien qui en était responsable… C’est un sujet avec lequel la SGP veut être en pointe pour que les 68 gares soient exemplaires.
Il faut être totalement ouvert, et sur un spectre vraiment large. Bien sûr, il faut traiter les sujets traditionnels, accueillir les bus et les transports publics. Mais ces places doivent être aussi des lieux de la mobilité électrique, conçues à cet effet, pour le vélo électrique, l’autopartage voire, demain, pour la voiture sans conducteur.
Nous consacrons donc jusqu’à 100 000 euros pour l’étude d’un pôle intermodalité par gare. De plus, nous avons prévu 1,5 milliard d’euros pour les interconnexions. Nous sommes prêts à financer aussi des travaux d’aménagement pour l’intermodalité sur cette enveloppe.
VR&T. Une étude du Cercle des Transports a demandé qu’on renverse totalement les priorités et qu’on modernise les réseaux existants en Ile-de-France avant de réaliser le métro du Grand Paris Express. Qu’en pensez-vous ?
P. Y. Les auteurs de ce rapport ont raison de dire qu’il faut beaucoup investir sur la rénovation et la modernisation du réseau existant. C’est d’ailleurs le choix qui a été fait en 2013 en combinant la réalisation du Grand Paris Express avec le plan de mobilisation, ce qui représente un effort tout à fait considérable.
Mais, ce qui manque à leur vision, c’est un aspect économique. J’ai toujours défendu la vision de Christian Blanc, même si elle méritait d’être complétée, comme elle l’a été, par l’amélioration de la vie quotidienne, d’où le plus grand nombre de gares et le renforcement du système de rocades par rapport au projet initial. Mais ce réseau de transport doit servir à renforcer la compétitivité et l’attractivité de la région Ile-de-France en reliant entre eux les grands pôles économiques.
Les études du conseil scientifique international de la SGP confirment cette vision, en montrant que c’est seulement en réalisant l’ensemble du réseau tel qu’il est aujourd’hui défini, et en réussissant les interconnexions avec le réseau existant, que nous aurons un effet majeur. Les économistes l’estiment à 10 % de PIB de plus, soit 60 milliards sur 600 milliards, à l’horizon de l’achèvement du réseau. C’est ce qui manque dans l’étude que vous mentionnez, très focalisée sur le transport pur. Ce qu’elle dit sur la rénovation du réseau est exact, mais il faut élargir le spectre pour avoir une vision juste.
De plus, les auteurs de ce rapport disent que le réseau est aujourd’hui complet. Cela, c’est faux. Beaucoup de quartiers populaires sont très mal desservis et je considère, avec mon expérience de trente ans dans la politique de la ville, que dans une métropole moderne la mobilité est un facteur essentiel d’intégration et de cohésion sociale. On insiste à juste titre sur l’éducation, la santé, sur l’emploi, sur la formation. Mais une métropole est un vaste territoire qui recèle toutes les aménités du monde moderne. Il n’est pas nécessaire de les avoir au pied de son immeuble. Mais il faut y accéder facilement. Un étudiant de Clichy-Montfermeil qui met aujourd’hui une heure et demie pour aller à l’université mettra demain une demi-heure. Il sera alors un citoyen de la métropole. C’est une dimension qui manque dans leur analyse, ce phénomène de désenclavement et donc d’intégration.
Enfin, les 68 gares Grand Paris Express vont donner lieu à des transformations urbaines, à la naissance de nouveaux quartiers, ce qui est essentiel pour l’équilibre de la métropole. Et c’est cela qui fera d’elle une métropole plus intégrée.
Propos recueillis
par François Dumont
L'agenda de la SGP
VR&T. Comment le projet va-t-il maintenant avancer ?
P. Y. Notre objectif, c’est que, dans un an, l’ensemble du projet soit engagé, que l’ensemble des décisions d’investissement soient votées par le conseil de surveillance, et l’ensemble des enquêtes publiques en cours ou réalisées. Le projet avance bien. Les tronçons, qui se trouvent à des stades différents, progressent en parallèle, dans une dynamique constante.
Pour la ligne 16, l’enquête publique est terminée et a reçu une décision favorable des commissaires enquêteurs. Nous préparons le décret d’utilité publique et attendons la DUP à la fin de l’année. Les études d’avant-projet avancent à grand pas et je suis très satisfait de la dynamique de cette ligne.
Pour la ligne 14 Sud, l’enquête publique a lieu en juin, le dossier d’investissement sera soumis au conseil de surveillance en juillet, pour respecter le souhait du Premier ministre d’arriver en 2024 à Orly.
Pour la 15 Ouest, nous allons soumettre le dossier au conseil de surveillance de juillet, et l’enquête publique aura lieu en septembre et octobre.
Pour les trois autres lignes, la 18, la 17 et la 15 Est, les enquêtes publiques auront lieu après les élections régionales, au premier trimestre 2016. Pour la ligne 18, nous sommes en phase de concertation approfondie.
L’ensemble des appels d’offres pour la désignation de maîtres d’œuvre de ces lignes ont été lancés. De plus, comme la ligne 18 sera en viaduc entre Palaiseau et Saint-Quentin, et la 17 en viaduc entre Gonesse et Roissy, nous allons lancer des concours particuliers afin de choisir un architecte pour le design de chaque viaduc.
Publié le 10/12/2024
Publié le 10/12/2024