« 93 % de nos chantiers sont remis à temps »
Entretien avec Jacques Rapoport, président du directoire de SNCF Réseau.
Pour le président du directoire de SNCF Réseau, le retard « insupportable » survenu dans la livraison des travaux sur Nantes – Pornic/Saint-Gilles-Croix-de-Vie reste exceptionnel. Mais il y voit une illustration des impasses nées de la séparation « néfaste » entre RFF et SNCF Infra
Un système auquel la réforme ferroviaire vient de mettre fin. La SNCF, selon Jacques Rapoport, doit renforcer le partenariat avec ses sous-traitants mais ne doit plus déléguer la maîtrise d’ouvrage des projets. SNCF Réseau procède à un état des lieux des projets lancés par RFF en maîtrise d’ouvrage délégué.
Ville, Rail & Transports. La compétence de la SNCF a été mise en cause lorsque les élus se sont indignés des retards pris par les travaux effectués sur les lignes Nantes – Pornic et Nantes – Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Que s’est-il réellement passé ?
Jacques Rapoport. Nous avons maintenant une compréhension complète de ce qui s’est passé. Un audit a été réalisé et publié. Dès que j’ai appris le vendredi 19 juin que nous n’arriverions pas à tenir les délais et qu’on a évoqué la fin des travaux pour octobre, j’ai jugé cela insupportable et dit qu’il fallait en parler aux élus. Avant le 19 juin, je savais que la situation était tendue mais les situations tendues, nous en connaissons sur beaucoup de chantiers. Et c’est bien naturel.
Sans délais, j’ai décidé de lancer un audit flash. Christian Cochet, le directeur général Audit et risques s’est rendu immédiatement sur place assisté d’un cabinet spécialisé en gestion de projet industriel. L’audit, réalisé en trois jours, a mis en évidence deux dysfonctionnements. Le premier est classique. Dans un projet qui tend à dériver, un phénomène psychologique se produit : les acteurs concernés se persuadent qu’ils vont y arriver. On n’accepte l’évidence qu’une fois au pied du mur.
VR&T. Qui sont les acteurs concernés ?
J. R. Il y a RFF car quand le projet a été lancé, c’était encore dans le cadre ancien de la séparation néfaste entre GI et GID, modèle organisationnel en vigueur jusqu’au 30 juin dernier. RFF a délégué la maîtrise d’ouvrage à Systra. Le maître d’œuvre est Setec et l’entreprise sous-traitante est Ineo, filiale d’Engie. On voit ici que SNCF Réseau n’avait pas assez le contrôle du suivi du projet.
VR&T. Quelle est la seconde raison des dysfonctionnements ?
J. R. La seconde raison tient à la séparation institutionnelle que je viens d’évoquer : RFF d’un côté, SNCF Infra de l’autre, séparés voire opposés. RFF a sous-traité la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre, les travaux. Assurer la maîtrise d’ouvrage d’un projet aussi complexe exige des ressources en qualité et quantité qui dépassent ce dont disposait une direction régionale de RFF.
Les acteurs concernés de RFF comme de SNCF Infra ne sont évidemment pas en cause : c’est un système d’organisation inefficace, voire nuisible qui l’est. Il est heureusement abandonné depuis le 1er juillet 2015, grâce à la loi ferroviaire du 4 août 2014. Cette coupure SNCF-RFF a conduit à un cloisonnement des acteurs sans pilotage intégré du projet suffisant.
VR&T. Comprenez-vous que les élus aient parlé de désinvolture ?
J. R. Les élus sont légitimement très remontés, et même, à juste titre, hostiles. Je comprends et partage leur sentiment. D’une part, les élus ont malheureusement observé que nous n’aurions pas tiré les leçons des retards lors de la mise en service du tram-train Nantes – Châteaubriand. D’autre part, alors qu’ils avaient accepté que les travaux se fassent sur une ligne fermée, ce qui constitue je le sais de leur part une décision courageuse et difficile, puisqu’il s’agit de priver de trains les voyageurs pendant 10 mois, avec une importante participation financière de leur part, ils ont appris au dernier moment notre incapacité à être dans les temps impartis. C’est évidemment très dommageable pour cette région touristique. Notre réaction a été immédiate : nous avons audité et assumé toutes les conséquences. Et, bien sûr, nous faisons tout le nécessaire pour redresser. C’est un chemin difficile à emprunter, mais simple à définir : nous faisons confiance aux cheminots qualifiés pour ce faire et auxquels nous conférons tous les leviers de la réussite.
VR&T. Comment avez-vous redressé la situation ?
J. R. Nous avons procédé de façon classique en nommant un patron de projet incontestable, Thérèse Boussard, qui a tous les pouvoirs. Elle a immédiatement mis en place un plateau- projet. Je suis confiant dans la date que nous avons retenue : celle du samedi 29 août, pour assurer la rentrée scolaire dans de bonnes conditions. Concernant le service aux voyageurs, pendant tout l’été, SNCF a bâti un service routier assurant à la fois les correspondances avec les trains et la desserte régionale qui est proposée à un tarif unique de 2 euros par trajet.
VR&T. Y a-t-il d’autres chantiers aussi mal engagés qui pourraient donner lieu à de tels retards ?
J. R. J’ai demandé à Bernard Schaer, directeur Ingénierie et Projets de SNCF Réseau de vérifier l’état de chaque projet engagé sous le régime de la séparation entre RFF et SNCF Infra et sous maîtrise d’ouvrage déléguée. Il y en a une demi-douzaine. L’état des lieux sera rapidement disponible.
Mais tous les projets engagés par RFF ne l’ont pas été sous le régime de la délégation de maîtrise d’ouvrage. Et heureusement, l’immense majorité des projets que nous menons sont conformes en fonctionnalité, coûts et délais. S’agissant de la LGV Est par exemple, où nous sommes en maîtrise d’ouvrage directe, nous sommes dans les délais et nous pourrons peut-être même reverser un reliquat financier. Même chose sur le Sillon alpin sud où nous avons aussi reversé un reliquat. Certains projets ont pris du retard comme le RER B Nord +, mais, in fine, le succès est au rendez-vous avec un gain de cinq points de régularité.
Au total, 93 % de nos chantiers sont remis à temps. Il y a donc des retards dans 7 % des cas.
VR&T. Comment garantir qu’une telle situation ne pourra plus se reproduire à l’avenir ?
J. R. Cette défaillance est le fruit d’un système pernicieux, unanimement dénoncé, où les fonctions Infra et Réseau étaient coupées en deux. Avec la création au 1er juillet 2015 du groupe public ferroviaire intégré, et en son sein de SNCF Réseau, gestionnaire d’infrastructure unifié, nous disposons d’une vraie capacité de pilotage des projets qui n’existait pas auparavant. Dans ce système enfin intégré, un tel événement ne se reproduira pas. Trois grandes orientations pour ce faire : d’abord, renforcer la maîtrise d’ouvrage, gage de précision aussi bien dans la définition des projets que dans la conduite de leur réalisation. La maîtrise d’ouvrage, activité stratégique, ne se délègue donc pas et relève ainsi des seuls cheminots dont le professionnalisme est reconnu et sur lequel je ne saurai trop insister.
Ensuite transformer les relations que nous entretenons avec nos prestataires : d’exécutant de tâches à responsables de prestations. Enfin, assurer une parfaite transparence avec les financeurs sur les risques projet : c’est le gage d’une confiance retrouvée.
VR&T. Comptez-vous faire évoluer les relations avec vos sous-traitants ?
J. R. Nous nous orientons vers une logique de partenariat avec l’industrie pour trois raisons : augmenter notre capacité de production pour faire face à un plan de charge sans précédent ; contribuer à notre efficacité en apportant une capacité supplémentaire d’innovation ; et enfin, challenger nos méthodes pour toujours nous améliorer.
Par exemple, nous avons passé un contrat global conception-réalisation avec Thales pour la refonte du poste de signalisation de Vitry, à la suite d’un grave incendie il y a un an. Ou encore, nous allégeons la période d’exécution de nos marchés afin d’accroître les quantités. Comme c’est le cas sur un marché d’acquisition de rails. En nous engageant sur des volumes, nous garantissons des plans de charge, ce qui sécurise l’industrie. En contrepartie, celle-ci est invitée à innover et à investir pour élever ses savoir-faire et réduire ses prix. C’est intéressant pour les deux parties.
De telles évolutions sont nécessairement progressives. Et nous devons agir avec nos fournisseurs pour qu’ils développent du savoir-faire qui complète et conforte celui des cheminots qui est, je le répète, la maîtrise complète du réseau sous tous ces aspects.
C’est pourquoi, nous ne sous-traiterons plus la maîtrise d’ouvrage, pas plus que la surveillance. C’est le cœur indispensable pour garantir la maîtrise du réseau, de sa complexité, de ses nombreuses et diverses technicités. C’est la valeur ajoutée de SNCF Réseau et de ses 52 000 cheminots. Et je sais bien que cela implique de pouvoir maîtriser et donc exercer toutes les activités de la chaîne de production.
VR&T. Quelles seront les conséquences sur les métiers des cheminots ?
J. R. C’est un enrichissement des métiers, et donc des perspectives de développement professionnel des cheminots de l’infrastructure en ajoutant le « savoir faire-faire » au savoir-faire. Pour être un bon maître d’ouvrage, il faut savoir réaliser. Il n’est donc pas question d’abandonner en totalité la maîtrise d’œuvre.
VR&T. Comment vont évoluer vos investissements ?
J. R. Notre ambition est de faire face à un plan de charge sur réseau exploité qu’il est indispensable de faire croître. Aujourd’hui, nous réalisons, hors PPP, près de cinq milliards d’euros d’investissements annuels. Nous proposons, compte tenu du recul mécanique des grands projets en 2016 et 2017 du fait de la fin de la construction des quatre LGV nouvelles en cours, qu’une partie des financements ainsi dégagée soit reportée pour augmenter l’effort sur le renouvellement du réseau. Nous connaissons la contrainte qui pèse sur les finances publiques et nous devons proposer des orientations économiquement responsables.
VR&T. Quel montant demandez-vous ?
J. R. Cela fait partie de nos discussions avec l’Etat dans le cadre de la préparation des contrats de performance prévus par la Loi ferroviaire. De 2012 à 2014, nos dépenses d’investissements atteignaient sept milliards d’euros par an. En 2015, nous sommes à six milliards.
Ce que je peux dire, c’est que la France consacre 2,5 milliards d’euros au renouvellement des infrastructures du réseau classique, la Grande-Bretagne 3,5 milliards, et l’Allemagne 4 milliards. Du fait de la fin prochaine des quatre LGV, le renouvellement pourrait s’accroître à budget global d’investissement ferroviaire décroissant.
Propos recueillis par
Marie-Hélène POINGT
Publié le 10/01/2025 - Philippe-Enrico Attal