Feuilles mortes : les stratégies de lutte contre l’ennemi public n° 1
13 Nov 2013
Mis à jour le 23 mai 2017
Le phénomène est aussi vieux que les voies de chemins de fer : chaque automne, la chute des feuilles rend les voies ferrées glissantes, perturbant la circulation des trains ou des trams. Avec des conséquences d’autant plus importantes qu’elles se produisent sur des lignes à fort trafic.
C’est imparable : chaque automne, les arbres perdent leurs feuilles. Et ceci est redouté par tous les professionnels des transports ferroviaires. En effet, lorsque les feuilles mortes tombent sur des rails humidifiés par la pluie ou le brouillard et sont écrasées par les passages successifs des roues des trains, la « bouillie » qui se forme sur la surface de roulement finit par se transformer en une pellicule de cellulose. Très glissante, cette pellicule réduit considérablement l’adhérence de la roue sur le rail : au démarrage, le train patine, alors qu’au freinage, les roues risquent de s’enrayer. Ce dernier phénomène est le plus problématique, car non seulement la distance de freinage s’allonge, mais le rail finit alors par raboter les roues bloquées, où l’enlèvement de matière crée des plats. Le train se retrouve alors avec des « roues carrées », qui non seulement cognent à chaque tour de roue, mais risquent aussi d’endommager la voie et les suspensions des voitures. C’est pourquoi il faut alors retirer du service les trains concernés et les envoyer dans un atelier muni d’un tour en fosse pour un reprofilage des roues.
Et un train à l’atelier, c’est un train qui ne roule pas. Certaines années, la proportion de ces trains immobilisés est considérable : « En 2010, un 10 novembre, on a "cassé" un tiers du parc de la ligne N », indique Maryse Guitton, directrice de cette ligne. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que l’offre diminue alors dans les mêmes proportions. Toutefois, encore en automne 2010, un tiers de l’offre avait effectivement été supprimé sur le RER D.
Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Et d’une ligne à l’autre, l’impact des feuilles mortes n’est pas le même ; il est particulièrement important au voisinage de forêts ou sur des parcours vallonnés. En Ile-de-France, la ligne N (Montparnasse) dans les Yvelines, comme la ligne H (gare de Paris-Nord) au nord de Paris, le RER C dans l’Essonne ou encore le RER D et la ligne R (gare de Lyon) en Seine-et-Marne, sont des tronçons très impactés, rappellent la SNCF et le Stif.
En cet automne 2013 particulièrement doux, la majorité des feuilles étaient encore sur les arbres durant la deuxième quinzaine d’octobre. Les problèmes ont commencé le 27 octobre avec les premiers gros coups de vent, les feuilles mortes ayant alors immobilisé cinq rames sur les 38 de la ligne N. « Mais il y aurait peut-être eu 10 rames arrêtées si la moitié du parc n’avait pas été équipée d’antienrayeurs », ajoute Maryse Guitton. Car au Technicentre de Trappes (Yvelines), on n’a pas attendu la chute des feuilles pour lancer un projet d’envergure dès le printemps dernier : équiper en antienrayeurs les voitures à deux niveaux type VB2N de la ligne N du Transilien. Au total, le parc regroupant 36 rames de sept caisses et deux rames de six caisses doit être équipé pour l’automne 2014. Fin octobre 2013, la 21e rame était déjà en cours d’équipement. C’est-à-dire que plus la moitié de ce parc a été traitée depuis le lancement de l’opération, sous la responsabilité d’Awa Galledou et avec Thierry Quertier comme chef de projet. Ce dernier a déjà une autre opération de ce type à son actif : l’équipement en antienrayeurs des 100 rames Z 20500 du RER D aux ateliers du Landy, il y a deux ans. Une opération qui a porté ses fruits : le nombre de reprofilages a ainsi baissé de 52 % en deux ans sur le parc du RER D.
Si la ligne N a dû attendre, c’est qu’avec ses 120 000 voyageurs par jour, elle est moins prioritaire que le RER D, dont la fréquentation est cinq fois plus élevée. Ici, à Trappes, une chaîne industrielle chiffrée à 14 millions d’euros (financés à parts égales par le Stif et la SNCF) a été spécialement créée pour installer les antienrayeurs, ce qui n’a pas été sans difficultés (sol meuble sur le site d’un ancien marécage, fosse construite dans de très brefs délais avec une société en redressement judiciaire…) Au total, 36 spécialistes (électriciens, soudeurs, tuyauteurs et freinistes) ont été détachés à la nouvelle chaîne de Trappes, venus de toute la France (Rennes, Hellemmes… mais aussi de la région parisienne). Dans cette chaîne en lean management, une rame est équipée par semaine. « Nous n’avons pas eu de vacances en juillet-août et nos fournisseurs, Faiveley et Freinrail, nous ont aussi livré dans des délais très courts. »
Mais qu’est-ce qu’un antienrayeur ? Apparu il y a plus de 35 ans, ce dispositif a pour rôle de faire retrouver à l’essieu, dont la vitesse de rotation est mesurée par un capteur, la vitesse du train grâce à une commande électronique, qui, en cas de différence entre les deux vitesses, adapte au moyen d’une électrovalve les consignes de freinage en 6 dixièmes de seconde. Thierry Quertier, qui a piloté l’équipement des automotrices Z 20500 du RER D, précise qu’à la différence de ces derniers, sur lesquels le freinage est contrôlé au niveau de l’essieu, le contrôle est effectué au niveau du bogie sur les VB2N. S’ils sont particulièrement intéressants en période automnale, les antienrayeurs sont utiles toute l’année, car la région Ile-de-France présente un niveau élevé de pollution, qui, en se fixant sur le rail lors des bruines rend le contact avec la roue très glissant…
Sur une semaine-type, les voitures sont décrochées le vendredi. Le samedi et le dimanche sont consacrés à équiper la voiture pilote, dont l’équipement diffère des autres voitures (sur les VB2N, qui dorment des rames tractées, il n’y a qu’une voiture-pilote, l’autre cabine de conduite étant sur la locomotive). Le lundi, mardi et mercredi, les autres voitures, préalablement dissociées de leurs bogies où sont montés les capteurs, sont équipées de leur tiroir électronique, au rythme de deux par jour, alors que des modifications sont apportées au circuit pneumatique et que des pattes sont soudées sous les caisses pour le montage de l’électrovalve qui assurera l’adaptation des commandes de freinage. Enfin, le jeudi, la rame est reformée et prête à reprendre du service. En prime, cette rame aura été précâblée pour la prochaine génération de SIV (système d’information voyageurs) au moment de monter le tiroir électronique.
Patrick Laval
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