TER. L’exemple allemand peut-il nous inspirer ?
31 Mai 2016
Mis à jour le 23 mai 2017
Les régions, qui dépensent chaque année quelque trois milliards d’euros pour faire rouler les TER, sont confrontées à d’importantes évolutions. Certaines ont vu leur réseau s’agrandir lors de la fusion en ce début d’année avec d’autres régions. Demain, elles pourraient aussi style= »margin-bottom: 0px; font-size: 11px; line-height: normal; font-family: ‘Trebuchet MS’; -webkit-text-stroke-color: rgb(0, 0, 0); -webkit-text-stroke-width: initial; »>
avoir compétence sur certaines lignes d’aménagement du territoire, baptisées Intercités. Souvent cité en exemple, le système allemand pourrait-il nous inspirer ? Les trains régionaux allemands sont jugés performants et affichent des coûts d’exploitation d’environ 30 % de moins que les trains français.
Pour en parler, et juste avant la cérémonie de ses Grands Prix des régions TER le 10 mai, VR&T a invité Jochen Schulz, représentant de l’association des autorités organisatrices allemandes des transports publics ferroviaires de proximité. Et a lancé le débat.
«Depuis que les Länder sont responsables des TER, les volumes de train-km ont augmenté de 22 %, le nombre de passagers de 63 % et le taux de passager/km de 44 % », détaille Jochen Schulz, responsable du groupe d'études « gare » au sein de la BAG-SPNV, responsable transports du Land Schleswig-Holstein. Selon lui, la régionalisation du système ferroviaire allemand, débutée en 1996, est un succès. Et si la part modale du TER en Allemagne reste modeste, les trains régionaux allemands ont progressé plus rapidement que les autres modes de transport. Cette réussite, Jochen Schulz l’explique par une mise en concurrence très encadrée de l’opérateur historique, resté leader sur son marché. L’offre allemande, 670 000 trains-km, est assurée pour les trois quarts par la Deutsche Bahn, les 164 autres opérateurs se partageant le reste. « Les appels d’offres ont permis aux régions d’améliorer le service en offrant plus de qualité et de ponctualité, mais aussi d’améliorer les dessertes, d’augmenter le nombre de passagers et les recettes. Ce qui a permis aux régions d’être plus indépendantes sur leurs décisions budgétaires. Au Schleswig-Holstein, nous sommes parvenus à améliorer le service à budget constant », précise celui qui représente également l’association des autorités organisatrices allemandes des transports publics ferroviaires de proximité. Les subventions ont ainsi pu baisser jusqu’à 40 %. « Elles sont en moyenne de 7,61 euros par train-km. Nous sommes parvenus à économiser de l’argent, que l’on réinvestit pour améliorer encore l’offre, en proposant davantage de lignes, avec un cadencement à la demi-heure. »
« L’exemple allemand doit nous inspirer », en conclut Claude Steinmetz, directeur Ferroviaire France de Transdev, qui y voit un modèle. « Jusqu’ici en France on a assisté à une attrition du ferroviaire alors qu’en Allemagne on avait pour ce mode de transport une ambition. » Si le système allemand a connu un développement des trains voyageurs, comme en France, cela s’est accompagné outre-Rhin, d’une baisse de la contribution publique, souligne Claude Steinmetz qui précise que l’ouverture du marché ne s’est pas faite au détriment de la Deutsche Bahn, « qui y exploite désormais 75 % d’un marché bien plus important. » L’ouverture a en revanche permis de réduire les coûts de 30 %, de créer 300 gares et 500 km de lignes. « En jouant un rôle d’aiguillon, elle a permis d’offrir plus de qualité, plus de développement et davantage de productivité par agent. »
Selon lui, les agents allemands sont deux fois plus productifs que leurs homologues français. Quant au coût moyen du kilomètre, il est de 10 euros par train dont 6 euros de contribution de la collectivité en Allemagne, contre respectivement 21 et 13 euros en France. « L’ouverture à la concurrence s’est faite progressivement, ajoute Claude Steinmetz. Et le système a su s’adapter en s’améliorant au fil des ans, dans un cadre social adapté, partagé et respectueux. »
Pour le responsable de Transdev, ce succès ne pourra se dupliquer en France sans autorités organisatrices fortes. « Les régions doivent rester autorités organisatrices exclusives en matière de transport, et mettre en place un système animé par un opérateur, la SNCF, qui joue son rôle d’intégrateur. Pour réussir, il faudra mettre tous les partis autour de la table. Changer n’est jamais facile, mais c’est nécessaire », affirme-t-il. Et attendu : selon un sondage réalisé à la demande de la profession, 79 % de la population considère l’ouverture à la concurrence comme une bonne chose, « car les usagers veulent du renouveau, de la qualité, des innovations et un juste prix », ajoute-t-il.
Pour Michel Neugnot, président de la commission transports et mobilité de l’ARF et vice-président de la région Bourgogne Franche-Comté en charge des Finances et des Transports, « les régions n’ont jamais eu autant de possibilités d’agir. La réforme ferroviaire du 4 août qui fait des régions des autorités organisatrices de transport permet de leur donner satisfaction sur certains points comme la transparence financière ou leur capacité à posséder le matériel roulant. Quant à la loi Notre, elle leur offre la capacité de changer les choses », énumère l’élu, également président de la commission Transports de l’Association des régions de France (ARF). « Nous pourrons faire aussi bien que ce qui a été fait en Allemagne si nous en avons la volonté, si nous marquons une rupture par rapport à ce qu’on faisait avant. On a les moyens institutionnels de faire. Reste à avoir la volonté. » Et à convaincre l’Etat qu’on ne peut pas donner les compétences aux régions sans aller au bout des choses en leur laissant aussi la possibilité d’expérimenter. « Il y a des modèles à développer localement, sinon on risque d’être tenté de passer du modèle du train vers le modèle du car », prévient encore Michel Neugnot. Et ce n’est pas Pascal Mangin, vice-président du Grand Est, qui le contredira. « Sans aller vers le tout-concurrence, il serait souhaitable de pouvoir mener des expérimentations. » L’élu alsacien souhaiterait que les nouvelles régions aient plus de marges de manœuvre, notamment en matière tarifaire. « Les 13 régions françaises sont prêtes à relever le défi du TER, à condition qu’on leur en donne les moyens. » Et que l’Etat soit cohérent en matière d’intermodalité. « Aujourd’hui, l’Etat organise la concurrence des TER avec les bus », regrette l’élu. « En Allemagne, les cars n’ont pris que très peu de parts de marché au rail, le rassure Alain-Jean Berthelet, président de Réunir, réseau de PME d’autocaristes. « Les acteurs se sont positionnés en dessous du niveau tarifaire proposé dans le covoiturage. Certains dépensent des sommes folles pour conquérir des clients en perdant de l’argent. Il risque d’y avoir de la casse », prédit-il.
Alain-Jean Berthelet s’inquiète principalement de la capacité des nouvelles régions à absorber en peu de temps des compétences nouvelles et à devenir les chefs de file de la mobilité. Parmi ses interrogations, il se demande comment continuer à avoir une connaissance fine des besoins locaux comme c’était le cas jusqu’à présent ? Comment seront lancés à l’avenir les appels d’offres ? Ou encore comment harmoniser au sein d’une même région le transport, notamment le transport scolaire, alors que certains départements risquent de réduire leurs budgets avant de le transférer aux régions, que d’autres souhaitent conserver cette compétence tandis que d’autres encore souhaitent ardemment l’abandonner ?
François Poupard, le directeur général de la DGITM (direction générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer), estime que le marché va s’adapter progressivement. Dans le domaine ferroviaire, la réforme du 4 août a réorganisé la gouvernance. Il faut désormais régler l’épineuse question sociale. D’où les discussions notamment sur le temps de travail. Certes, lance Claude Steinmetz, « mais n’oublions pas de traiter les autres dossiers en parallèle ». Et de citer la question de la distribution, celle de la propriété des trains ou encore de la gestion des gares.
François Poupard ajoute une autre urgence : déterminer qui doit prendre en charge les trains en fonction de leur statut. « Si l’offre TGV et TER est bien identifiée, il reste à faire le tri dans les TET qui ne représentent pas une véritable offre homogène. A terme il y aura sans doute des TET qui seront abandonnés et une offre recentrée sur la moyenne distance et la moyenne vitesse. Aujourd’hui il y a 20 TET, demain il pourrait n’en rester que quatre. »
Les régions sont prévenues et, selon le représentant de l’Etat, la porte de la DGITM leur est grande ouverte. Comme elle l’a été pour la Normandie qui a signé le 25 avril un accord avec l’Etat, prévoyant que la région récupère cinq liaisons Intercités contre un transfert financier de 720 millions d’euros. Mais, laisse-t-il entendre, il faut faire vite, les moyens de l’Etat ne sont pas illimités…
Valérie Chrzavzez-Flunkert