Autoroutes ferroviaires : la bataille de l'Atlantique
Le torchon brûle entre la SNCF et Modalohr. Alors qu’un appel d’offres se prépare pour un nouveau service sur l’axe Atlantique, la SNCF s’active pour évincer Modalohr Les grandes manœuvres ont commencé. Alors que l’appel d’offres n’en est encore qu’au stade de l’appel à candidatures, le futur service d’autoroute ferroviaire sur l’axe Atlantique est l’objet d’une sourde bataille en coulisses entre deux actionnaires de Lorry Rail. Annoncée par le Grenelle de l’environnement, cette liaison entre le sud de l’Aquitaine, le sud de l’Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais doit être mise en place d’ici 2011. C’est en tout cas le souhait du secrétariat d’Etat aux Transports, qui a publié sur son site Internet deux appels à manifestation d’intérêt, l’un portant sur les wagons, l’autre sur le service. Le premier, clôturé fin novembre, a débouché sur cinq dossiers de candidatures. Le second est encore ouvert. Parmi les industriels intéressés, il y a bien sûr Modalohr, qui équipe la liaison Perpignan – Luxembourg et l’autoroute ferroviaire alpine. Il y a également Arbel Fauvet Rail, qui présente son système de « wagons à poche » et Socofer avec son « wagon à tiroir ». Les deux autres candidats, Cargo Beamer et Kombibahn Schweiz (système « ISU ») proposent, quant à eux, des technologies de transbordement. Pour la SNCF, ce regain de concurrence est une aubaine. Le tractionnaire, qui dénonce de longue date le prix excessif des wagons Modalohr, tient l’occasion de faire pression sur son partenaire. Car les relations entre l’industriel et le tractionnaire sont loin d’être au beau fixe. Depuis plusieurs mois, les sources de tension se multiplient, atteignant leur paroxysme cet été, lors de la recapitalisation de Lorry Rail. Chiffres à l’appui, le PDG de Modalohr, Philippe Mangeard, monte alors au créneau pour dénoncer le coût de la traction. La SNCF est contrainte de déprécier ses tarifs de 12 %. La pilule est d’autant plus difficile à avaler que la SNCF dénonce depuis de nombreuses années le prix des wagons Modalohr. Luc Nadal, qui ne porte pas l’autoroute ferroviaire dans son cœur, interdit alors à ses équipes de participer au Cercle de l’optimodalité (COE), animé par le patron de Modalohr.
La deuxième phase de la riposte se déroule en ce moment. D’après nos informations, la SNCF travaille avec l’opérateur de combiné Novatrans et le gestionnaire de plateformes Projénor pour élaborer une offre concurrente utilisant les wagons à poche d’Arbel Fauvet Rail. Aucune des quatre entreprises n’a accepté de confirmer l’information, même si certaines reconnaissent « réfléchir » à la question. L’offre sur laquelle travaillent les trois entreprises répond à un triple objectif, à la fois économique, industriel et commercial. Le premier argument porte sur le coût des wagons d’Arbel Fauvet Rail (1 place), estimé à 120 000 euros l’unité contre 400 000 pour un wagon (2 places) Modalohr. Total, pour deux rames de 45 emplacements, Arbel Fauvet Rail facturerait 10,8 millions d’euros contre 18 millions pour Modalohr. A cela, s’ajoutent d’autres économies potentielles, liées à la manutention et à la construction de plateformes. La technologie Modalohr requiert en effet des plateformes adaptées aux wagons surbaissés, ainsi qu’un pool de conducteurs pour charger et décharger les semi-remorques des trains (« manutention horizontale »). Grâce à la technologie d’Arbel Fauvet Rail, la SNCF, Novatrans et Projénor peuvent inclure l’autoroute ferroviaire dans les chantiers de combiné existants, évitant ainsi le coût de construction des plateformes (10 à 15 millions d’euros). Dans cette configuration, les semi-remorques seraient soulevées (« manutention verticale ») comme des caisses ou des conteneurs pour être disposés sur les wagons. Cerise sur le gâteau, Novatrans pourrait optimiser les taux de remplissage en construisant des trains mixtes combiné/autoroute ferroviaire. Pour Lorry Rail, qui s’est allié au constructeur Modalohr, ce projet est avant tout une fausse bonne idée. « Pourquoi vouloir à tout prix intégrer l’autoroute ferroviaire dans les chantiers de combiné alors qu’on nous dit depuis plusieurs mois qu’ils sont saturés ? », s’interroge Thierry Le Guillou, son directeur général. Outre les problèmes de capacités et le coût des plateformes qu’il juge sous-estimés, Thierry Le Guillou pointe également le manque de souplesse de la manutention verticale, ainsi que les incertitudes liées aux wagons d’Arbel Fauvet Rail, qui n’ont pas encore été homologués. Dès lors, Lorry Rail, qui souhaite défendre la technologie Modalohr, devrait se porter candidat lors de l’appel d’offres… en pariant sur un ralliement de la SNCF en cas de victoire. De son côté, Modalohr fait monter la pression. Dans Les Echos du 8 décembre, le PDG de Lohr Industries, Robert Lohr, explique ainsi, à propos de l’usine de Duppigheim : « J’ai annoncé au comité d’entreprise un plan social de 400 suppressions de postes sur un effectif de 1 200 personnes. J’ai toutefois indiqué que nous pourrions réduire ce nombre à 100 si nous obtenions […] des commandes pour les wagons de ferroutage Modalohr. » Mais l’argument pourrait se retourner contre l’entreprise. Arbel Fauvet Rail compte en effet sur le soutien du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, qui serait prêt à financer une partie des travaux de plateformes, pour stimuler l’emploi dans l’usine de Douai. Alors que les deux camps peaufinent leurs offres, l’appel à candidatures vient d’être reporté d’un mois, jusqu’au 16 janvier… Histoire de ne pas gâcher les fêtes.
Guillaume KEMPF
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