Bombardier-Siemens : quitte ou double le 4 août
25 Juil 2017
Alstom , Bombardier , Fédération des industries ferroviaires , Siemens
Mis à jour le 06 février 2018
Le 4 août, les conseils d’administration de Siemens et de Bombardier vont examiner le projet de rapprochement entre leurs deux entités ferroviaires. Et dire oui ou non. Enjeu : créer un groupe de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, capable de résister aux Chinois de CRRC, même si l’on est encore loin de leurs quelque 30 milliards de CA. Un groupe européen représentant plus de 50% du marché mondial des tramways, un tiers du marché de la signalisation, un quart des métros. Siemens et Bombardier sont selon un expert assez complémentaires dans le transport. Et ne peuvent être réduits à leur seule présence extrêmement forte en Allemagne; Bombardier est ainsi très présent en Europe, Siemens en Asie. Bombardier est très fort dans les métros lourds, les tramways, les trains régionaux ou les trains de navetteurs, Siemens dans les métros automatiques, la signalisation, les locomotives diesel-électriques ou les intercity. Quant à la forte présence allemande — Bombardier Transport a son site à Berlin —, elle se traduit par une grande proximité culturelle qui peut favoriser la création d’un groupe commun.
Deux JV seraient constituées. Siemens serait majoritaire dans la co-entreprise signalisation, et Bombardier dans celle dédiée au matériel roulant. Où iraient les infrastructures, la maintenance et les services ? A préciser. Rien ne filtre non plus sur la gouvernance du futur groupe à deux têtes.
La signalisation d’un côté, le matériel roulant de l’autre : c’est un partage semblable que Siemens avait proposé à Alstom, dans le projet d’alliance fait à la demande des autorités françaises, lors de la cession de Power à GE. Alstom, qui de toute façon ne voulait pas de l’alliance allemande, l’avait aussitôt rejeté : la signalisation est une activité à forte valeur ajoutée ; le matériel roulant, où la concurrence est massive, dégage au contraire peu de marges. Difficile donc de ne pas voir dans ce montage un avantage donné à Siemens, qui cherche d’ailleurs depuis des années à se débarrasser de son activité rolling-stock. Avantage peu surprenant. Si la partie ferroviaire de Siemens et celle de Bombardier pèsent à peu près le même poids en CA , Siemens a redressé ses marges tandis que Bombardier, plombé par les déboires d’une branche aéronautique qu’il veut conserver, enchaîne les plans de suppression d’emplois et cherche une solution pour le ferroviaire.
L’alliance Bombardier – Siemens créerait un énorme pôle germano-allemand. Les deux groupes réunis représenteraient, dit un expert, environ 85% du marché ferroviaire allemand. Avec deux aspects. Le risque de casse sociale et la position de monopole.
Sur la casse, les deux groupes auraient donné des assurances aux syndicats que l’opération ne serait pas trop douloureuse. En fait, Bombardier a largement pris les devants. L’activité Transport a supprimé 1430 emplois l’an dernier en Allemagne et a annoncé, fin juin, après six mois de discussion, un plan social sur 2200 emplois supplémentaires, pour un total de 8500 salariés dans le pays. Parallèlement, le groupe réorganise sa production autour de sites leaders. Mannheim (Bade-Wurtemberg) et Cassel (Hesse) vont devenir les centres mondiaux de développement des locomotives. Le site français de Crespin est devenu site leader mondial pour les trains à deux niveaux. Siemens, de son côté, supprime 300 emplois dans son site de Krefeld.
Le monopole sera le sujet de la direction de la concurrence à la Commission européenne. Des recommandations anti-trust seront-elles suivies à la lettre par les Etats ? Les temps changent. Dans le ferroviaire, le rapport de la députée Martina Werner, votée par le Parlement européen l’an dernier, a marqué un tournant. Idée : il faut que l’Europe soutienne son industrie et rééquilibre les conditions de concurrence face à la menace asiatique, particulièrement chinoise. Qu’on n’ait plus peur de créer un champion européen. La menace chinoise est aujourd’hui prise très au sérieux par les Allemands qui ont d’abord préféré ne pas s’y attarder, afin de protéger leurs intérêts en Chine. Guillaume Pepy, lors d’un dîner avec son homologue allemand Richard Lutz, a dit en juin à Berlin : « A la SNCF, nous sommes pour un champion européen. Donc, s’il doit y avoir un rapprochement entre Siemens et Bombardier, entre Bombardier et Alstom, ou entre Alstom et Siemens, nous y serons favorable parce que nous pensons qu’il faut un industriel européen qui ait une taille suffisante pour faire face aux concurrents chinois, coréens, et demain indien ». Et d’ajouter, selon des propos rapportés par Le Monde et Les Echos. : « Ma recommandation, ce serait de convaincre la Commission qu’il faut une industrie ferroviaire européenne forte ». A la Fédération des industries ferroviaires », Jean-Pierre Audoux, délégué général, juge aussi qu’on pourrait avoir « un test grandeur nature de la volonté de l’Union Européenne de parvenir à une consolidation ». L’effet pervers de la consolidation serait bien sûr que Bombardier et Siemens s’unissent au nom des intérêts supérieurs de l’Europe, soient contraint de céder des parts de leur activité… et qu’industriels chinois ou japonais entrent dans la brèche.
Pas de commentaire chez Alstom, l’opération Bombardier-Siemens n’ayant rien d’officiel. Mais le groupe français ne peut être absent de la consolidation mondiale. Henri Poupart-Lafarge, son PDG, l’affirme régulièrement, tout en refusant de se focaliser sur la taille des groupes. Et en prenant soin de ne pas se précipiter. Le groupe se consolide petit à petit : achat de la signalisation de l’américain GE, montée au capital du russe TMH, prise de participation majoritaire dans le sud-africain CTLE, rebaptisé Alstom Ubunye. Si, en Allemagne, Bombardier et Siemens étaient contraints par l’Europe de céder des actifs, pas sûr qu’Alstom se jette sur l’occasion. Le groupe a déjà sa plus grande usine au monde à Salzgitter, et vend bien dans le pays. Et ce n’est peut-être pas depuis des sites allemands, où les coûts de main d’œuvre sont élevés, que l’on peut espérer être compétitif sur les principaux marchés européens.
Et puis, les fusions-acquisitions pompent une énergie considérable. Alstom pourrait profiter de la période pour se concentrer sur la préparation des appels d’offre et sur la performance industrielle. Cela peut payer. En mai dernier, Alstom a bénéficié de difficultés de livraison de Bombardier, qui lui a permis de vendre 61 trams-trains Citadis-Dualis pour la région du Grand Toronto et de Hamilton.
Pour la suite, Alstom a, de plus, un pécule qui l’attend . 2,4 milliards d’euros, correspondant à sa part dans les trois JV avec General Electric créées au moment de la cession de la branche Power. Le groupe n’a jamais caché sa volonté de récupérer sa mise le moment venu. Ce pourrait être le cas dès septembre 2018 .
L’Elysée regarde de près les manœuvres dans le ferroviaire européen. Emmanuel Macron connaît le dossier. Il a suivi, en succédant à Arnaud Montebourg à Bercy, la vente de Power à General Electric. L’Etat dispose de 20 % des parts d’Alstom qui lui ont été prêtées par Bouygues, et donc de droits de vote et de deux sièges au conseil d’administration. Ce montage baroque prend fin en octobre. L’Etat devra alors, soit acheter les actions, soit les rendre à Bouygues, qui pourrait bien les céder. La période n’est pas propice à une prise de participation de l’Etat. Mais il ne pourra pas se désintéresser d’un dossier qui, s’il est bien conduit, peut, selon une formule maintes fois entendu, redonner l’envie de l’Europe.
F. D.