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Comment l’IVM est devenu un « think tank »
Publié le 29/12/2010 à 03h30

Chaires à Paris, Shanghaï, Buenos Aires, colloques internationaux, expositions, publications. Depuis dix ans, l’IVM est un Think tank international où se pensent les nouvelles mobilités. Dix bougies pour l’institut qui fait bouger. C’est en juin 2000 que PSA a créé l’Institut pour la ville en mouvement, devançant le grand engouement pour la mobilité qui s’empare aujourd’hui de la plupart des acteurs du transport. Dix ans que, sous l’impulsion d’urbanistes, de sociologues, d’architectes, l’IVM donne une impulsion nouvelle à la réflexion sur le transport et la mobilité.

Car il y a dix ans, se souvient Jean-Pierre Orfeuil, professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris et président du conseil supérieur de l’IVM, « la mobilité était une question de transport, une question d’objets et de systèmes. François Ascher (le premier président du conseil scientifique de l’IVM, aujourd’hui décédé, NDLR) et Xavier Fels (premier président de l’IVM, NDLR) ont eu l’intuition que c’était une question de société. » Et même de sociétés, au pluriel. D’où l’idée d’une fondation à vocation internationale et interdisciplinaire. Fondation qui a pour « ambition de mettre à l’ordre du jour de l’agenda public des débats ignorés, orphelins. » Jean-Pierre Orfeuil définit d’une formule le style des recherches et des interventions : « la pertinence de l’impertinence ».

A la base des recherches de l’IVM, il y a une certitude : le droit à la mobilité est un « droit des droits ». Il en conditionne en effet d’autres, comme le droit au travail, l’accès aux soins ou le droit à l’éducation. L’IVM refuse donc par principe toute réponse restrictive aux questions que posent les crises énergétiques ou climatiques. C’est pourquoi l’IVM s’intéresse aux Cleantech, ou technologies environnementales telles qu’elles sont abordées aux Etats-Unis, pays de toutes les mobilités, qui entend le rester.

L’affirmation de la mobilité comme droit inaliénable fait qu’un constructeur automobile comme PSA trouve naturellement son intérêt dans les activités de l’IVM. Mais on ne saurait faire de la fondation un faux nez du constructeur. Il s’agissait plutôt d’anticiper, et de faire en sorte que l’automobile, après s’être imposée à la cité du XXe siècle, ne soit pas rejetée de la cité du XXIe siècle.

Philippe Varin, PDG de PSA, précise : La création de l’IVM il y a dix ans ne voulait « pas dire que le groupe anticipait la fin de l’automobile. Cela signifiait seulement qu’on ne pouvait plus rester dans le paradigme pompidolien : “il faut adapter la ville à l’automobile” ». A l’inverse, il s’agit d’adapter l’automobile à la nouvelle croissance urbaine. Constat dressé par le patron de PSA : « En 2009, 50 % de la population mondiale vit en zone urbaine, 80 % dans les pays développés. En 2030, toutes les régions du monde en voie de développement compteront plus d’urbains que de ruraux ; un bouleversement synonyme de découverte de nouveaux modes de vie auxquels il faudra s’ajuster. Des vingt plus grandes métropoles, seules trois seront dans les pays développés : Tokyo, New York et Los Angeles. »

De Shanghaï à Chengdu, de Bogota à Rio, des villes en plein essor inventent dès maintenant, contraintes et forcées, de nouvelles formes de mobilité. D’où l’intérêt pour l’IVM de s’implanter comme il l’a fait en Chine, où l’institut a créé une chaire à l’université de Tongji, à Shanghaï, et en Amérique latine, où il en a fondé une autre.
Dans ce monde qui bouge à des rythmes différents, la stratégie de PSA tient en un mot : hybridation. Techniquement déjà, PSA parie plutôt sur l’hybridation des motorisations (électrique/thermique) que sur un seul avenir électrique et affirme : « Notre spécialité, c’est l’hybride. » L’hybridation, c’est aussi celle des modes et des acteurs du transport. D’où le développement d’une stratégie de services autour de l’automobile, PSA ayant participé à l’appel d’offres de la mairie de Paris sur Autolib’ ou encore à celui de Nice. L’hybridation, ce sont aussi les échanges croisés sur les expériences mondiales de la mobilité.

En Amérique latine, souligne Andres Borthagaray, directeur du Conseil de planification stratégique de Buenos Aires et directeur IVM Amérique latine, 80 % des 580 millions d’habitants sont urbanisés. Villes peu lisibles, où les solutions intermodales sont pour l’instant quasiment ignorées. Villes dont certaines connurent une innovation majeure avec le Bus Rapid Transit (BRT). Cette solution peu onéreuse à la congestion des villes, inventée à Curitiba, puis implantée à Bogota, l’est maintenant à Santiago. Ce fut l’engouement. A Bogota, dix ans après, on déchante. C’est ce qu’affirme Juan-Pablo Bocajero, maître de conférences à l’école d’architecture de l’université de Los Andes. Le côté sommaire du TransMilenio, la volonté de tout faire à l’économie et quasiment sans subvention montre ses limites. Et dans le même temps le nombre de voitures a été multiplié par deux, celui des motos par cinq. Même déception au Chili où, selon Oscar Figueroa, professeur à l’université catholique du Chili, la transposition ne fonctionne pas. Le bilan financier est même inquiétant, puisqu’il faut quelque 500 millions de dollars par an pour éponger l’exploitation du Transantiago, alors que l’investissement n’a même pas atteint 900 millions de dollars. La solution miracle chérie par la Banque mondiale pendant des années a du plomb dans l’aile. On a été trop chiche, il est temps de passer à des modes plus lourds pour enrayer une tendance qui est toujours à l’œuvre : une hausse de l’usage de l’automobile plus encore que de sa propriété, une baisse de l’usage des transports publics. Phénomènes à terme intenables.

Autres horizons, questions proches. En Chine tout comme en Amérique latine — comme en Inde, d’ailleurs —, c’est une cinquantaine de villes millionnaires que l’on dénombre. A propos de la Chine, le patron de PSA sort ses chiffres : « En 2000, la Chine comptait 12 véhicules pour 1 000 habitants ; en 2010, 47 véhicules, et, en 2020, devrait compter 120 véhicules pour 1 000 habitants. » A comparer aux 550 pour 1 000 aujourd’hui enregistrés en Europe ou aux 850 pour 1 000 aux Etats-Unis. Or, on a la certitude que les Chinois n’atteindront pas le niveau de motorisation individuelle des Américains, ni celui des Européens. Le pays mise sur le mode électrique pour le transport urbain (qu’il s’agisse de transport public, de transport automobile, voire de deux-roues, jusqu’au vélo), les relations intercités étant promises aux trains à grande vitesse et aux avions. Mais les investissements et les modes lourds ne suffisent pas. Le dialogue auquel nous avions pu assister il y a sept ans, à Pékin, entre Chinois très férus d’infrastructures et Français de l’IVM assez axés sur le service et l’usage de la ville semble porter ses fruits. Comme le reconnaît Pan Haixiao, président de la chaire IVM Chine et professeur à l’université de Tongji de Shanghaï, on avait tout conçu en termes de systèmes, et c’est aujourd’hui le service qu’il faut mettre en avant. C’est un changement de cap qu’ont salué les prix de l’IVM en Chine (voir VR&T n° 509, p. 17), dont un service de covoiturage à Wuhan, de type « bottom up », illustrant à sa façon l’émergence de la société civile en Chine. Dans ce domaine comme dans les autres, les Chinois devraient aller vite. Comme le dit Zhuo Jian, professeur associé à l’université de Tongji : « On a moins de nostalgie en Chine qu’en Occident. On est plus curieux… »

 

 

Par François DUMONT

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