Député (Les Républicains) du Val-de-Marne, Gilles Carrez connaît sur le bout des doigts les questions de financement du Grand Paris et des transports en Ile-de-France. En 2009, son rapport a ouvert la voie au financement du futur réseau. Président de la commission des Finances lors de la précédente législature, il avait commandé il y a un an à la Cour des comptes le rapport sur la SGP qui vient d’être rendu public. Et qui fait apparaître une énorme dérive de 13 milliards par rapport aux coûts d’objectif fixés par le gouvernement en 2013.
Gilles Carrez répond aux questions de VR&T.
Ville, Rail & Transports. Pourquoi aviez-vous demandé à la Cour des comptes un rapport sur la Société du Grand Paris ?
Gilles Carrez. Je me doutais de ce que l’on est en train de découvrir et je voulais une opération vérité sur les coûts. Elle est indispensable, parce que c’est un projet magnifique, auquel la population adhère et qui répond à des besoins. Lors de mon rapport de 2009, il y avait deux projets concurrents, la double boucle de Christian Blanc, pour relier les clusters, et le plan de mobilisation de la région, tout aussi légitime, voire plus, du fait des besoins de la population. On a ajouté les deux, et cela a été entériné lors d’un conseil interministériel de mars 2013. Cela faisait une addition salée, et on s’est un peu voilé la face. Et pourtant, c’est bien connu, dans l’histoire des grands projets, les coûts réels dépassent les estimations.
VR&T. Votre modèle de financement ne suffit plus ?
G. C. Le modèle que j’avais proposé reposait sur un fonds de roulement venu de taxes affectées, d’environ 500 millions par an, que nous avons levées très vite, pour retarder le plus possible le moment où il faudrait recourir à l’emprunt. Mais, ce qu’on n’avait pas vu venir, c’est que la SGP s’est retrouvé tout de suite avec une cagnotte. En période de manque d’argent, tout le monde s’est précipité dessus… A commencer par l’Etat pour sa participation au CPER, la RATP pour des véhicules de maintenance. Et on s’en est servi pour Eole, on a commencé par un milliard d’euros, on est arrivé à un milliard et demi ! Et je ne parle pas des demandes des élus qui ont fait en plus gonfler la facture. Chacun voulait sa gare ! On additionne tout cela, la facture explose, et ce n’est pas la faute de Philippe Yvin…
Mais, il y a eu un défaut tout de même de la SGP, qui n’a pas fait de provisions suffisantes pour aléas et risques identifiés. Au bout du compte elle l’a fait, mais elle aurait dû inscrire ces provisions il y a deux ou trois ans.
Les opérations commencent, il fallait cette opération vérité. Ce qui est gênant, c’est que dans cet exercice, il y a toujours un côté moralisateur, et cela retombe sur un dirigeant, Philippe Yvin, qui a pourtant fait un travail remarquable.
VR&T. Comment adapter le calendrier selon vous ?
G. C. Aujourd’hui, en tout état de cause, il faut faire face aux échéances opérationnelles. C’est 2024. Les JO. Or, le fait d’être prêt pour 2024, cela représente en soi un défi colossal. Il faut le dire, parce que je crois que tout le monde n’en est pas trop conscient, on pense qu’il suffit d’appuyer sur un bouton. Non ! Aujourd’hui, il va falloir mobiliser 17 à 18 milliards d’euros entre 2018 et 2022, la SGP va être obligée d’emprunter de façon massive. Par ailleurs, d’un point de vue technique, on va forer un peu partout dans la région, avec la ligne 15 Sud, les prolongements nord et sud de la 14, sans oublier Eole… On ne peut pas se planter. Je suis très sensible aux aspects techniques et opérationnels. Il est nécessaire d’étoffer la SGP pour assurer une maîtrise d’ouvrage très forte. Il faut donner à la SGP des moyens humains suffisants, en quantité et en qualité. On commence à creuser, on commence à passer les marchés système. Or, aujourd’hui, pour une personne à la maîtrise d’ouvrage, il y en a 10 à 15 en assistance à maîtrise d’ouvrage. Cela ne va pas. Certes, il y a la question des coûts et, je l’ai dit, il fallait une opération vérité. Mais il ne faut pas oublier les moyens humains.
Donc, les JO d’abord, mais ça n’est pas gagné, et ensuite, après 2024, il va falloir phaser. En commençant par répondre à la demande en fonction des fréquentations attendues des tronçons. Selon les besoins actuels des transports, avant les besoins futurs.
VR&T. Il faudra trouver des ressources supplémentaires ? Combien ? Lesquelles ?
G. C. Le schéma que j’avais proposé, avec 500 millions de taxes affectées par an, correspondait aux quelque 25 milliards qu’on avait en tête. Aujourd’hui à 38 milliards, il faut phaser et trouver d’autres ressources, peut-être aller à 700 ou 800 millions d’euros par an. Peut-être le rapport de la Cour aurait-il pu aller plus loin sur le sujet.
VR&T. Il y a bien la redevance d’infrastructure d’environ 200 millions, que devrait acquitter Ile-de-France Mobilités, l’ex-Stif.
G. C. Je vois que pour l’instant le sujet n’est pas à l’ordre du jour. Mais il faudra bien arriver à payer à la SGP une redevance pour l’usage de son infrastructure.
VR&T. Vous faites de 2024 une échéance à ne pas manquer. Mais quand on regarde la liste prévisionnelle des mises en service dressée en novembre par le préfet Michel Cadot, et qui figure dans le rapport de la Cour des comptes, on se dit que ce n’est pas gagné du tout. Comment y arriver ?
G. C. Si on est prêt en 2024, ce sera une prouesse mondiale. On a fait de la politique, aujourd’hui il faut faire de l’opérationnel, avec des ingénieurs aux commandes, responsabilisés sur des coûts. Quand je dirigeais les Villes nouvelles, j’ai vu comment on a réussi à faire Disneyland, avec la desserte du RER et la gare TGV. C’était une gageure. Il fallait un grand ingénieur pour faire tout cela. Sans Jean Poulit, on n’y arrivait pas. Regardez ce que font les Anglais pour Crossrail. Les patrons, ce sont des ingénieurs. Maintenant, à la SGP, il nous faut des chefs de chantier.
Propos recueillis par François Dumont