Jacques Gounon : « On peut gagner de l’argent avec le fret ferroviaire »
25 Juil 2017
Hauts-de-France , France , Grande-Bretagne , Europorte , Eurostar , Getlink
© Patrick Laval
Mis à jour le 24 août 2017
Les résultats du premier semestre 2017 sont bons pour Eurotunnel, avec 497 millions d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 3 %. « C’est le 15e semestre consécutif de hausse du CA », se félicite Jacques Gounon, le PDG du groupe transmanche, ajourant que « l’Ebitda [bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement] augmente encore plus vite », soit 8 %, à 242 millions d’euros. Le résultat net est en hausse de 20 %, à 30 millions d’euros, alors que la trésorerie atteint 550 millions d’euros disponibles au 30 juin. Jacques Gounon souligne que, grâce au refinancement d’une partie de la dette, cette dernière « nous coûte maintenant moins de 4 %, soit moins que leurs dettes coûtent aux grands groupes étrangers de référence ». Enfin, pour les actionnaires, l’objectif est celui d’un « dividende croissant en 2018 ».
Depuis les précédents résultats, le Groupe Eurotunnel a réduit son périmètre, avec la vente de l’entreprise britannique de fret ferroviaire GBRf fin 2016, suivie de celle des deux navires de feu MyFerryLink, le 23 juin dernier. Les résultats du premier semestre 2017 sont les premiers à ne pas prendre en compte ceux de GBRf. Plus largement, « la croissance des deux côtés de la Manche nous convient » commente Jacques Gounon. Côté continental, « la zone euro reprend des couleurs » et, côté insulaire, « le Brexit n’est pas la catastrophe que tout le monde veut annoncer ». Entre les deux, Eurotunnel assure un quart des flux et « nous sommes positionnés sur de très bons créneaux », assure son PDG, ajoutant que « la seule chose qui préoccupe nos clients est de ne pas trop perdre de temps aux frontières ». Ce qu’il adviendra des contrôles douaniers entre la France et le Royaume-Uni ne semble pas poser de problème au dirigeant : « notre chance est que la Grande-Bretagne n’ait jamais été dans l’espace Schengen », ce qui ne devrait pas entraîner trop de modifications. Ces dernières « prendront du temps, cinq ans, et c’est une opportunité à saisir pour la digitalisation, afin de passer à la frontière virtuelle, ou smart border ». Et Jacques Gounon de citer comme exemple de digitalisation réussie le dédouanement d’un conteneur chinois à Dunkerque, qui « grâce à l’informatique se fait en quelques minutes, alors que la Chine n’est pas dans l’UE ».
Principale activité d’Eurotunnel, l’exploitation du lien fixe présente un chiffre d’affaires en hausse de 3 %, à 438 millions d’euros, une progression de l’Ebitda de 6 % à 240 millions d’euros, mais surtout une hausse du yield (rendement) moyen de 3,7 %. Pour Jacques Gounon, c’est un cercle vertueux : « nous gardons une part de marché historique de très bon niveau, avec augmentation du yield supérieure à l’inflation, mais sans abuser, par respect du client ! » Et visiblement, la poule aux œufs d’or se porte mieux sur le rail. Eurostar repart à la hausse (+1 %, 5 millions de voyageurs en six mois) malgré les attentats de Manchester et de Londres et grâce aux nouvelles rames e320, qui vont désormais à Bruxelles. Côté fret, le nombre de trains par semestre repasse au-dessus de 1 000 depuis la sécurisation du site de Calais-Frethun par Eurotunnel (1 043 trains, en hausse de 20 %, le tonnage progressant de 17 % par rapport au deuxième semestre 2016). Sur la route, légère baisse en absolu (mais hausse en parts de marché) : les camions sont en recul de 0,8 %, ce qu’Eurotunnel considère comme « temporaire » et explique par « les conditions météorologiques exceptionnelles dans le sud de l’Europe ». Quant aux voitures particulières, leur trafic (-2 %) n’a pas bénéficié de grands événements cette année.
En tout cas, les investissements se poursuivent autour du lien fixe pour plus de sûreté (scanner), de capacité de transport des camions (nouvelles navettes pour gérer les pointes et augmenter le yield) ou de confort des voyageurs en voiture (service haut de gamme Flexiplus). Enfin, le Plan Digital 2020 devrait faire entrer les capteurs dans tous les aspects de l’exploitation du lien fixe, en particulier le matériel roulant ferroviaire. Ce dernier « n’avait pas bénéficié des progrès de l’électronique et des capteurs », selon Jacques Gounon, qui avoue que dans ce domaine, Eurotunnel « vient de se réveiller » et juge que « ça sera positif en gestion opérationnelle », tout en s’attendant à « des problèmes de fiabilité des capteurs embarqués ».
S’il est un domaine où Eurotunnel n’est techniquement pas en retard, c’est le fret ferroviaire, assuré par Europorte : « la SNCF vient de faire beaucoup de pub sur son train de fret digital, alors que ça fait longtemps que nous avons le GPS dans nos locomotives, suivies par notre centre de contrôle à Lille », ironise Jacques Gounon. Ce dernier, selon qui « nous avons augmenté la ponctualité de nos trains, alors que celle de la SNCF est désastreuse », considère que la qualité de service est à la base de l’augmentation « correcte » (+2 %) du CA d’Europorte, dont l’Ebitda est positif et en hausse. « C’est la preuve que l’on peut gagner de l’argent avec le fret ferroviaire » pour Jacques Gounon, qui égratigne au passage ECR et ses plans sociaux : « nous avons des équipes de terrain motivées pour que ça marche ; il n’y a pas de secret ! »
Et l’avenir ? Dans deux ans et demi, le câble transmanche Eleclink à courant continu devrait être mis en service « on time, on budget » selon le PDG d’Eurotunnel et induire un « changement d’échelle du Groupe ». Enfin, ce dernier ne cache pas son intérêt pour une « vraie autoroute ferroviaire par le tunnel », par opposition à VIIA « qui va dans un cul-de-sac », pour reprendre les termes de Jacques Gounon. Ce dernier indique que côté britannique, Eurotunnel « voudrait installer un terminal à Folkestone, mais nous manquons de place », même si « l’idéal serait d’avoir un terminal à Barking, dans la banlieue de Londres ». Mais pour arriver à Barking, il faut pouvoir emprunter la LGV britannique HS1, dont « les anciens propriétaires craignaient que les trains de fret usent la voie », selon Jacques Gounon. Faisant allusion à la vente de la HS1, à la mi-juillet, par des fonds de pension canadiens à de nouveaux investisseurs britanniques (HICL Infrastructure et Equitix) et coréens (fonds de retraire), le PDG d’Eurotunnel pense que « les nouveaux propriétaires vont devoir augmenter le trafic » pour que leur placement soit rentable. Enfin un vrai départ pour le fret sur la ligne nouvelle anglaise, qui a effectivement été étudiée pour.
Patrick Laval