Le ferroviaire face terrorisme : du pragmatisme en attendant des solutions « systématiques »
Fluidité du trafic, flux considérables : les inspections systématiques sont impossibles à mettre en ?uvre. L?Europe réfléchit à de nouvelles solutions Comment protéger les réseaux ferrés du risque terroriste ? La question fait l’objet de débats permanents, qui s’enrichissent des expériences menées à travers le monde. Tous les ans, les responsables de la sûreté des réseaux ferrés se réunissent en congrès pour échanger leurs savoir-faire. La prochaine rencontre organisée par l’Union internationale des chemins de fer (UIC) est programmée à Istanbul, du 21 au 23 avril. Il y sera notamment question de la sûreté des systèmes à grande vitesse, des nouvelles technologies et de la spécificité des chemins de fer du Moyen-Orient.
Si les opérateurs s’intéressent fortement aux nouvelles technologies, comme les scanners corporels par exemple, ils sont encore loin de vouloir s’en équiper. Hormis quelques exceptions, parmi lesquelles Eurostar, qui demande à ses passagers de se présenter une demi-heure à l’avance pour se soumettre à des contrôles similaires à ceux de l’aérien, le transport ferroviaire se dit actuellement incapable de contrôler tous ses voyageurs dans le métro ou les trains de banlieue, où les flux de passages sont sans commune mesure avec ceux de l’aérien. Manque de place, nécessité de fluidifier les déplacements et d’aller vite s’opposent à des inspections systématiques. « C’est un problème de flux. Il y a toutefois des expériences à l’étranger. Nous ne connaissons pas encore la solution. Beaucoup de pistes existent mais je ne peux vous en dire plus », commente Jacques Colliard, le responsable de la division sûreté de l’UIC.
Les réseaux ferrés européens s’apprêtent à lancer un grand projet de recherche, à partir du 1er mai, pour faire le bilan des technologies existantes et évaluer celles qui seraient adoptables par le secteur ferroviaire. Ce projet, soutenu par Bruxelles, durera trois ans et demi. L’UIC en fera la synthèse.
En attendant, les réseaux continuent d’appliquer des méthodes de protection classiques, principalement basées sur la vigilance humaine. Ils demandent à leurs personnels d’être attentifs à ce qui se passe autour d’eux. Ils font aussi appel à la vigilance des voyageurs, en leur demandant de signaler tout colis suspect, ou d’étiqueter leurs bagages dans le cas de la SNCF. A cela, s’ajoutent des patrouilles de la police ferroviaire, de militaires ou de services nationaux de police.
Les opérateurs recourent aussi de plus en plus à la vidéosurveillance. « La vidéoprotection marche bien pour tout ce qui est interdit. Par exemple pour vérifier que personne n’entre dans un bâtiment interdit au public. En revanche, plus il y a de personnes à filmer, plus c’est compliqué à gérer », souligne Jacques Colliard. « Les caméras doivent servir à apporter la bonne image à la bonne personne. Elles ont aussi un effet de dissuasion. Selon les pays, les règles de conservation des images sont différentes. Toutes ces actions participent aussi à la sûreté des voyageurs au quotidien. »
Le choix des matériaux utilisé dans les réseaux est également important. Un exemple : les poubelles. « La RATP a installé de grosses poubelles anti-explosives capables d’absorber l’explosion. Elle dispose aussi de poubelles transparentes permettant de voir ce qu’on y dépose », explique le responsable sûreté de l’UIC, en rappelant que plus le risque est important dans un pays, plus les chemins de fer multiplient les initiatives. « L’Espagne, touchée il y a quelques années par des attentats, a mis en place des contrôles sur certaines liaisons à grande vitesse. » En Grande-Bretagne, les gares ont été classées en fonction du risque terroriste. La plupart des gares à « hauts risques » se situent à Londres. Un plan de sûreté des gares londoniennes a été défini. « Ce plan définit dans le détail l’organisation des patrouilles de surveillance qui circulent tous les jours dans nos gares. Nous partageons de nombreuses informations avec la police », expliquait il y a deux ans, lors d’un colloque de l’UIC sur les gares, Kate Warner, une responsable de Network Rail, le propriétaire de l’infrastructure ferrée britannique. « Le Royaume-Uni a une culture de la sûreté très forte. » Autre particularité du réseau britannique : la présence de très nombreuses caméras. « La vidéo y est beaucoup plus utilisée que partout ailleurs », note Kate Warner.
Reste que la menace terroriste est évolutive. « Elle oblige à réfléchir à d’autres formes d’attentats dans le futur et à s’y préparer », souligne Jacques Colliard. Elle explique aussi que les exploitants ferroviaires gardent une part d’ombre sur certaines de leurs actions.
Marie-Hélène POINGT
Publié le 10/12/2024 - Marie-hélène Poingt