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Les transports publics face à la menace terroriste

Publié le 07/04/2010 à 02h15

A Moscou, le 29 mars, le cauchemar du terrorisme dans le métro a ressurgi. Presque tous les ans, les transports publics des capitales servent de cible aux extrémistes. Comment s?organiser pour enrayer cette malédiction ? Depuis l’attentat manqué sur le vol Amsterdam – Detroit à Noël dernier, Bruxelles polémique sur l’installation de scanners corporels dans les aéroports. Une effervescence qui ne s’observe jamais autour de la sûreté du transport public terrestre : rarement abordé médiatiquement, le sujet ne fait d’ailleurs pas l’objet de législations européennes spécifiques. Et pourtant, à Moscou la semaine dernière, à Madrid il y a six ans, à Londres il y a cinq ans, des métros, des trains régionaux, ou encore un bus ont été pris pour cibles par des terroristes. « C’est étonnant, cette obsession autour de l’aérien alors que si peu de gens volent par rapport au nombre de ceux qui empruntent les transports en commun, souligne Lindsey Barr, en charge des questions de sûreté à l’UITP. En même temps, nous n’avons pas forcément envie de trop parler publiquement des menaces, parce que les transports en commun restent le moyen de transport le plus sûr et font partie de la vie quotidienne des gens, il ne faut pas faire peur. »
La problématique paraît en fait très différente selon les secteurs. Dans les aéroports, les flux de voyageurs sont limités, facilement canalisables, les billets nominatifs, les situations d’un pays à l’autre se ressemblent. Certes, le train à grande vitesse présente des points communs avec l’aérien, Eurostar applique d’ailleurs déjà des méthodes similaires, mais dans son ensemble, le transport public terrestre demeure très hétérogène : l’accès à l’espace reste le plus souvent libre, anonyme, et les flux de voyageurs sont importants. Tout effort en matière de sûreté se doit de respecter ces caractéristiques, il faut que les usagers puissent être transportés rapidement et sans entrave d’un point à l’autre. Le point d’équilibre n’est pas facile à atteindre.
Cela fait donc déjà plusieurs années que les instances représentatives des opérateurs se sont discrètement mais énergiquement emparés de ce thème. L’Union internationale des transports publics a créé en 2003 un groupe de travail, transformé depuis en Commission sûreté à part entière. Le Colpofer, organisme mis sur pied par l’Union internationale du chemin de fer, en collaboration avec les polices ferroviaires européennes, a été créé en 1981. Certes, au départ, il s’est surtout occupé des formes plus « classiques » de criminalité, mais en son sein, un groupe spécifique travaille sur les menaces terroristes depuis 2004.
Le consensus règne : pas question pour le moment de légiférer ou de définir des normes européennes contraignantes, les acteurs préfèrent en discuter entre eux et se baser sur les bonnes pratiques. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres secteurs, l’Union européenne n’est pas leader. « Le ferroviaire et le transport urbain ont en général des caractéristiques plus nationales, ils sont davantage liés à la gouvernance et aux forces de l’ordre du pays ou de l’autorité organisatrice, explique-t-on à la DG Move. Par conséquent, nous n’avons pas entrepris d’action spécifique. » Chaque État membre a néanmoins désigné une personne ou un organisme de contact pour les questions de sécurité dans les transports urbains. Prévus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des groupes de travail les rassemblent régulièrement depuis 2008 au niveau européen. « L’objectif, c’est d’échanger les meilleures pratiques, pas de préparer une législation », soulignent les spécialistes de la Commission européenne. L’Union intervient également sur un autre plan : elle accorde des financements à des projets de recherche et développement qui font progresser les technologies ou les méthodologies, de manière souvent décisive.
Ainsi, l’UITP s’est investie sur ces questions dans la foulée d’un projet européen baptisé « Voyager », qui à l’aube des années 2000 a identifié la sûreté comme l’une des priorités pour le transport terrestre. Il y eut ensuite « Counteract », d’envergure plus importante. Achevé l’an dernier, ce programme (accessible via Internet sur www.counteract.eu) a notamment défini une méthodologie pour permettre aux opérateurs de transports d’analyser les risques afin de mieux les maîtriser. Deux autres appels devraient aboutir dans le courant de l’année : ils visent cette fois l’expérimentation de technologies innovantes, comme la vidéosurveillance intelligente, dans des villes pilotes.
Depuis deux ans, la Commission européenne réunit également un groupe de travail. Avant tout forum de discussion, il rassemble experts, opérateurs, autorités organisatrices et forces de l’ordre. Pour le moment, Bruxelles n’entend pas s’investir davantage.
Il faut dire que la Commission n’en aura pas forcément besoin, l’UITP et le Colpofer, bras de l’UIC en Europe sur ces questions, ayant une approche proactive. Ils ont tous deux monté des formations afin de disséminer la méthodologie mise au point grâce à Counteract. À l’UITP, la première session devrait avoir lieu à l’automne de cette année. « Il n’y a pas de solution miracle contre le terrorisme, prévient d’emblée Lindsey Barr, chaque ville, chaque mode de transport est différent, une capitale n’est pas une ville moyenne, mais nous leur apprendrons à évaluer les facteurs de risques en les prenant tous en considération. » À l’aide d’une matrice sophistiquée qui tient compte de multiples critères, chaque lieu se voit attribuer une couleur : rouge, orange, jaune ou verte en fonction du niveau de risque. Exemple : une station de métro avec une entrée située au niveau du sol avec deux escalators et un large escalier central sera au minimum orange. Pourquoi ? Parce qu’une voiture dispose de l’espace nécessaire pour dévaler l’escalier, un véhicule piégé pourrait donc pénétrer dans la station souterraine. Si cet arrêt de métro est peu fréquenté, ce sera donc l’orange, mais si c’est un croisement entre deux lignes, plutôt le rouge. La solution ? Au minimum, une borne de béton à l’entrée de l’escalier central. Autre exemple, un arrêt peu fréquenté sans problème de sécurité apparent, mais qui se trouve à côté d’une ambassade sensible : là aussi, il faudra faire plus attention.
Globalement, les réponses sont de trois types : technologiques, humaines et procédurales. « Il faut les trois, insiste Lindsey Barr, il faut les effectifs pour gérer la technologie et il faut des procédures pour savoir réagir en cas de menaces précises. » Les technologies se développent, notamment dans le domaine de la vidéosurveillance, d’une gestion plus pointue du contrôle de l’accès à certains lieux comme les sources d’électricité, ou encore de la détection d’explosifs. Côté ressources humaines, de nombreux pays ont une police spécifique pour le rail, mais les opérateurs doivent eux aussi y mettre du leur. « Le profil évolue, constate Lindsey Barr, on veut moins des gros bras qui impressionnent que des personnels qui parlent avec les usagers et savent quoi leur dire en cas de problème. La présence du personnel rassure toujours davantage que les caméras. »
Un problème tout de même : améliorer la sûreté coûte cher, pour des résultats pas forcément très visibles, puisque lorsque tout fonctionne bien, il ne se passe… rien. Et la question reste un peu sensible, par exemple pour ce qui concerne la vidéosurveillance : elle est installée par les opérateurs, mais utilisée régulièrement par la police pour ses enquêtes. Pour faire passer la pilule, l’UITP pointe que les moyens de prévention du terrorisme sont également ceux qui permettent de lutter contre des délits plus classiques comme la fraude ou les graffitis. Investir dans une meilleure vidéosurveillance permet par exemple de mieux diminuer ces fléaux, qui coûtent en général cher aux compagnies. Une partie de la solution passe par là.
 

Isabelle ORY

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