Oslo ou la naissance d’une agglomération
Mis à jour le 23 mai 2017
Oslo et sa banlieue ont désormais une autorité organisatrice commune pour leurs transports publics. Une révolution ! Depuis le 1er janvier 2008, Oslo et sa banlieue organisent ensemble les transports en commun de la capitale norvégienne, une petite métropole tout juste millionnaire étirée sur la rive de son fjord. Concrètement, Oslo Sporveier, la compagnie municipale de la capitale, et SL, la société publique du comté voisin d’Akershus, ont fusionné, pour former une nouvelle structure baptisée Ruter. Du coup, l’échelle des cartes change. On ne devrait plus assister, comme ce fut le cas récemment, à la fermeture d’une ligne de métro à la frontière communale faute d’accord sur le financement des déficits ! En ville, on voit aussi dans cette réforme l’occasion de prendre du champ : la politique des transports devrait désormais être moins dépendante des hésitations de l’hôtel de ville d’Oslo, qui ont fait des dégâts au début de la décennie.
La nouvelle autorité organisatrice veut montrer qu’elle existe, et a choisi l’offensive pour peser face à ses autorités tutélaires. Ruter a publié à la fin de l’été dernier un plan stratégique, K2009, qui a une triple ambition : établir un programme opérationnel d’ici 2012, définir des objectifs – avec des résultats concrets, et donc des infrastructures nouvelles – pour 2015, et esquisser une perspective jusqu’en 2025. « Le plan K2009 n’est pas un programme d’investissement, précise Hans Andreas Fristad à la direction de l’organisation. Certaines mesures ont d’ores et déjà été décidées à l’hôtel de ville d’Oslo et dans l’Akershus ; d’autres non. Nous voulons clairement influencer les politiques. Soit nous suivons la tendance actuelle des investissements, soit nous réussissons à accélérer le mouvement. » Une telle accélération est d’ailleurs nécessaire si la ville d’Oslo entend remplir ses propres objectifs environnementaux, pointe-t-il.
La municipalité d’Oslo, justement, n’a pas une position très claire. « Nous-mêmes, nous ne comprenons pas tout, reconnaît M. Fristad. Ce n’est pas un secret de dire que la ville n’est pas très favorable aux tramways. Elle paie les nouvelles rames du métro, mais elle n’investit rien dans les trams. Alors, on trouve de l’argent ailleurs, notamment du côté de l’Etat. » Cependant, note-t-il, Oslo laisse faire. « L’adjoint aux transports a déclaré qu’on ne construirait pas un kilomètre de tram tant qu’il serait en place. Mais finalement, on en a construit beaucoup ! » De fait, tous ont en mémoire les errements de 2002-2004 : pour faire des économies, on avait fortement réduit le réseau de tramways (et aussi fait circuler moins de bus, et même moins de métros). Les autorités avaient dû reculer, devant l’ampleur des protestations des usagers… et sans doute la chute des chiffres de fréquentation. Ce n’est qu’au début 2006 qu’on a retrouvé – puis largement dépassé – le niveau de 2001 !
Ruter peut maintenant se targuer de bons résultats, retrouvés notamment grâce à un effort sur les fréquences, et une baisse du prix de l’abonnement (tandis que les tickets à l’unité ont augmenté). En 2008, la fréquentation a augmenté de 6 %, avec 187 millions de voyages à Oslo (dont 39 % en métro, 37 % en bus et 21 % en tram) et 55 millions dans et depuis l’Akershus (essentiellement en bus, et aussi en train). Le taux de couverture dépasse les 60 %, une jolie performance. Autre bonne nouvelle pour l’autorité organisatrice : elle va pouvoir récupérer, jusqu’en 2027, 39 % des revenus de la « troisième partie du paquet d’Oslo » (Oslopakke 3), manne venue des produits du péage urbain installé aux portes de la capitale, et abondée par l’Etat. C’est d’ailleurs une révolution : jusqu’à présent, le péage urbain ne servait qu’à construire des routes. Il va désormais aider aussi les transports publics, et participer au comblement des déficits d’exploitation. Il est à ce propos intéressant de noter que, tandis que la fréquentation des transports publics augmentait fortement, le nombre d’automobiles franchissant les postes de péages de l’agglomération a baissé de 8 % sur les trois derniers mois de 2008.
Le plan stratégique de Ruter est particulièrement ambitieux. L’objectif est de voir la fréquentation progresser de 18 % d’ici 2012 et de 70 % d’ici 2025. La part des transports collectifs passerait ainsi dans l’ensemble de la zone de 27 % aujourd’hui à 30 % en 2012 et 44 % en 2025. Dans la (très vaste) commune d’Oslo, elle progresserait de 35 % aujourd’hui (46 % dans la zone centrale, à l’intérieur du périphérique) à 39 % en 2012 et 53 % en 2025… Pour y arriver, l’autorité organisatrice propose de renforcer le réseau tous azimuts. Avec plus de métros, plus de tramways, des bus… Certes, son premier plan stratégique fait encore la part belle à Oslo. Mais les banlieues ne devraient pas pour autant être oubliées, assure-t-elle. Les progressions les plus spectaculaires y sont d’ailleurs espérées. Grâce peut-être aussi à un tram-train, qui n’est pour l’instant qu’évoqué dans K2009. Une étude est en cours.
Le métro
Le métro d’Oslo est le fruit de l’assemblage de bouts de lignes réalisé au fil du temps, qui vont de l’ancien tramway suburbain de l’Holmenkollbanen (ouvert en 1898) au bouclage de la ligne circulaire (en 2006). C’est dans la capitale norvégienne qu’a été ouvert le premier tunnel urbain de Scandinavie, en 1928 : ce « prémétro » avant la lettre prolongeait dans le centre l’Holmenkollbanen, de son terminus de Majorstuen à Nationaltheatret. Quant à la première ligne de métro (T-bane), elle date de 1966, entre la gare centrale et Bergkrystallen. Oslo a longtemps eu un réseau en deux parties : à l’ouest, les vieilles lignes héritées des trams, avec leurs caténaires ; et à l’est, le T-bane, électrifié par troisième rail. Les deux morceaux se sont rencontrés en 1987 à la station Stortinget, au pied du Parlement, mais sans interconnexion. Celle-ci n’est venue qu’en 1993, une fois la ligne de Sognsvann équipée d’un troisième rail. Celle d’Østerås a suivi deux ans plus tard, tandis que les deux branches occidentales restantes (Holmenkollbanen et ligne de Kolsås) étaient reliées au reste du réseau grâce à l’emploi d’un matériel bimode.
Le métro d’Oslo comporte aujourd’hui cinq lignes, numérotées de 1 à… 6, en tronc commun dans le centre-ville. Particularité du système : depuis l’achèvement de la ligne circulaire (Ringen) en 2006, les lignes 4 et 6 qui la desservent assurent un service continu, changeant de numéro à hauteur de Nydalen au nord. Cette ligne 4/6 passe donc deux fois dans les stations du centre, avant et après le « looping » du Ringen. Sa partie ouest vers Kolsås (la ligne 6) a été fermée pendant plus d’un an en 2003-2004, faute d’accord sur le financement du déficit d’exploitation entre Olso et le comté d’Akershus. La branche a été à nouveau fermée en 2006, cette fois-ci pour travaux : il s’agit de la moderniser, de mettre ses stations aux normes et d’installer un troisième rail. Elle vient d’être rouverte jusqu’à Åsjordet, et devrait l’être jusqu’à Jar (à la frontière) en 2010. Le reste devrait suivre, si tout va bien, d’ici la fin 2012.
Le programme de Ruter en matière de métro ne rencontre pas d’oppositions majeures. Outre l’achat de rames supplémentaires à Siemens, la reconstruction de la ligne de Kolsås et le cas particulier de l’Holmenkollbanen (voir ci-après), son principal objectif est d’arriver à doubler les fréquences de passage sur les branches les plus chargées – à l’est – qui devraient passer de 15 à 7 minutes 30, et ce alors que le tunnel central est proche de la saturation. D’où des travaux à prévoir, surtout pour la signalisation, dans ledit tunnel, et la construction d’un court raccord entre la ligne de Vestli, la plus chargée, et la ligne circulaire. On pourrait ainsi répartir les charges plus facilement. Ruter envisage aussi la reconstruction de l’importante station de Majorstuen. En revanche, l’autorité organisatrice reste très réservée quant à la construction d’une station supplémentaire entre Majorstuen et le centre-ville, pourtant prônée par la mairie (vu qu’il y a 2 km sans arrêt). Sa construction serait très coûteuse, ses accès peu aisés, et la zone est bien desservie par les tramways, plaide Ruter.
Le cas particulier de l’Holmenkoll-banen
L’Holmenkollbanen est un cas particulier dans le paysage des transports publics d’Oslo. Construite par étape entre 1898 et 1916, cette charmante ligne serpente dans les quartiers résidentiels du nord-ouest de la ville, desservant notamment le fameux tremplin de saut à ski d’Holmenkollen. De son passé de tramway, elle a gardé l’alimentation par caténaires et aussi des quais très courts, qui ne peuvent accueillir que des rames de deux voitures. L’Holmenkollbanen a été prolongé dans le centre-ville d’Oslo jusqu’à Nationaltheatret en 1928 puis Stortinget en 1987. Il a été intégré au réseau du métro en 1995, avec le numéro 1.
Mais si le numéro 1 est flatteur, les performances de cette ligne, ne sont pas jugées satisfaisantes. « Nous avons un problème de capacité dans le tunnel du métro, explique Hans Andreas Fristad chez Ruter. Et en 2010 ou 2011, quand nous aurons reçu notre nouveau matériel roulant pour les autres lignes, nous ne pourrons plus nous permettre d’y faire circuler les rames de l’Holmenkollbanen, qui sont beaucoup trop courtes ! » Bref, l’actuelle ligne 1 prive ses sœurs des sillons dont elles ont besoin pour faire face à la demande. Et il ne serait pas rentable d’engager de coûteux travaux pour tripler la capacité de la doyenne du réseau, et la mettre aux normes du reste du métro. En effet, elle en est de loin la moins chargée, et, à contretemps, est plus fréquentée le week-end et l’été, puisqu’elle sert essentiellement à emmener les habitants de l’agglomération en promenade.
En 2003 déjà, l’Holmenkollbanen avait été raccourci à son parcours originel, son terminus oriental étant ramené à Majorstuen (certaines missions continuant à travers le centre jusqu’à Bergkrystallen aux heures de pointe). Mais les protestations des usagers ont obligé les autorités à reculer. La ligne 1 s’arrête donc depuis le début 2005 à Helsfyr, à l’est du centre (avec toujours des services pour Bergkystallen en pointe). « L’Holmenkollbanen ne dessert pas des quartiers très peuplés, mais des quartiers où vivent des gens très influents » qui tenaient à pouvoir aller au centre d’Oslo sans changement, note à ce propos M. Fristad. Ils devraient bientôt déchanter, car la ligne va à nouveau être raccourcie. Mais en contrepartie, elle sera modernisée.
Il y avait en fait deux possibilités pour l’avenir de l’Hollmenkolbanen : le rattacher au réseau de tramways, ou le rendre compatible avec le reste d’un réseau de métro appelé à être entièrement alimenté par troisième rail (quand bien même son exploitation serait en temps normal déconnectée des autres lignes). « Nous avons les tramways, nous avons le métro, et nous ne voulions pas d’un troisième système, explique M. Fristad. Et nous voulions que l’Holmenkollbanen soit compatible avec l’un ou l’autre, de façon à pouvoir faire circuler quand même des services directs vers le centre-ville en cas de besoin, notamment lors des grands événements. » Le prochain grand événement est pour bientôt : Oslo va accueillir en 2011 les championnats du monde de ski nordique, et la plupart des épreuves se dérouleront à Holmenkollen. Finalement, le conseil municipal a tranché : la ligne 1 restera un métro. Les caténaires seront remplacés par un troisième rail, et les stations seront allongées pour pouvoir accueillir de nouvelles rames de trois voitures (qui seront donc deux fois plus courtes que sur le reste du réseau). Elle sera limitée à Majorstuen… sauf en cas de grands événements.
Les tramways
Les tramways – trikk en norvégien – font partie du paysage d’Oslo depuis 1875. Electrifiés entre 1894 et 1900, leur réseau a été continuellement étendu jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ils ont depuis lors connu des hauts et des bas. Les premières fermetures de lignes ont commencé en 1947, et le conseil municipal a voté leur suppression pure et simple en 1960. L’idée était alors de les remplacer par des bus diesel, jugés plus flexibles, la plupart des lignes suburbaines devant être annexées par le métro. Mais faute d’argent pour acheter les bus dans l’immédiat, les choses ont traîné, jusqu’à ce que la ville revienne sur sa décision, en 1977. Les trams ont été peu à peu rénovés, et on a même agrandi leur domaine au début des années 1990, notamment vers le nouvel hôpital central (Rikshospitalet). Et puis, au début des années 2000, patatras ! Lancées dans une vaste chasse aux économies, les autorités locales ont alors fait leurs comptes, et ont calculé que les bus étaient de 50 à 80 % moins chers à exploiter. Sur les huit lignes que comptait alors le réseau de trams, quatre devaient être raccourcies et deux supprimées. 22 % des rails étaient appelés à être recouverts de goudron. Et, à assez court terme, c’est-à-dire vers 2006, le réseau subsistant devait être réduit à trois lignes de bybane – ou tram moderne, le terme norvégien est une traduction directe de l’allemand Stadtbahn -, dont deux auraient récupéré les deux branches du métro encore équipées de caténaires, l’Holmenkollbanen et la ligne de Kolsås au-delà de Jar.
Finalement, il n’en a rien été. Certes, la période a été assez agitée, avec de nombreux changements d’itinéraires, des annonces rapidement démenties… Un seul bout de ligne a été fermé en novembre 2002, au nord vers Kjelsås. Il a été rouvert exactement deux ans plus tard, après avoir été partiellement détruit, puis reconstruit. Il faut dire que les usagers ont beaucoup protesté, et que les bus de substitution transportaient de 30 à 40 % de passagers de moins que le tramway. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce tronçon était en site propre lors de sa construction en 1934. C’est dans les années 1960 qu’on a permis aux voitures de rouler sur les voies d’un tram qui était alors condamné… Pour la petite histoire, Ruter prévoit maintenant de reconstruire le site propre.
Le calme est aujourd’hui revenu dans les tramways d’Oslo. Certes, il n’y a plus que six lignes, mais elles sont plus fréquentes. Leur domaine a même été agrandi depuis la réouverture de la branche de Kjesås, puisque c’est désormais en tram qu’on atteint Bebekkestua, station de la ligne de métro de Kolsås fermée pour travaux. Et devant la gare centrale (Oslo S), on s’active maintenant pour reconstruire la place du Chemin de fer (Jernbanetorget), appelée à devenir dans quelques mois une station majeure du réseau. Le tableau n’est pas pour autant idyllique : les trikk d’Oslo sont souvent englués dans la circulation, ils attendent aux feux, la vente de tickets par le wattman les ralentit… « Entre le moment où le conseil municipal a décidé de supprimer les trams en 1960 et le moment où il est revenu sur sa décision, il y a eu dix-sept longues années sans aucun investissement, justifie Hans Andreas Fristad chez Ruter. En 1977, quand on s’est à nouveau intéressé aux tramways, ils étaient complètement délabrés. Bien sûr, on a fait des efforts depuis, mais on n’a jamais vraiment rattrapé le retard ! » Et les errements du début des années 2000 n’ont pas arrangé les choses !
Aujourd’hui, l’hostilité de la mairie d’Oslo n’est plus aussi marquée. A tout le moins, elle ne prône plus la suppression des tramways en ville ! Mais, remarque M. Fristad, la plupart des aménagements réalisés ces dernières années l’ont été sur des axes appartenant à l’Etat norvégien, et non sur une voirie communale parfois délaissée. La modernisation devrait se poursuivre, avec davantage de sites propres, l’installation d’automates aux arrêts, l’acquisition de nouveaux véhicules, etc. Le renforcement des fréquences a permis à l’exploitant de parler de « trottoir roulant » (rullende fortau). Les efforts devraient continuer dans ce sens.
A plus long terme, Ruter mouille sa chemise, et propose de nombreuses extensions. Certaines sont acquises, d’autres pas. On peut notamment citer un nouveau barreau nord-sud dans l’hypercentre et le déménagement des voies dans le nouveau quartier de Bjørvika, près de la gare, où une autoroute urbaine doit céder la place à un boulevard plus civilisé. Autre réalisation spectaculaire : la desserte de la zone de Fornebu. La commune de Bærum, voisine d’Oslo, voulait un métro automatique, gage de modernité, pour ce nouveau bout de ville high-tech né là où se trouvait l’aéroport jusqu’en 1998. Finalement, ce devrait être un tramway. Et ce tramway serait prolongé en ville par une nouvelle ligne, ou plutôt par des petits bouts de lignes, qui viendraient structurer et désenclaver les nouveaux quartiers qui naissent ou vont naître sur les terrains délaissés par les activités industrielles et portuaires au bord du fjord. Ce projet a déjà un nom : fjordtrikken. Ruter vient de lancer un appel d’offres pour une étude de tracé. Si elle prévoit de nombreux tramways nouveaux, l’autorité organisatrice ne veut tout de même pas trop irriter la mairie d’Oslo. Du coup, elle glisse dans son rapport quelques mots qui remettent en cause la pérennité à long terme de certains morceaux du réseau jugés trop urbains pour pouvoir devenir vraiment performants (et qui avaient été particulièrement menacés il y a quelques années). Ce qui ne l’empêche pas, en attendant, d’y prévoir d’importants travaux…
Les bus
Comme un peu partout dans le monde, les bus urbains (rouges) sont numérotés à deux chiffres et les bus suburbains (verts) à trois. Sous le haut patronage de Ruter, ils ont été confiés à plusieurs opérateurs, de la compagnie municipale d’Oslo UniBuss à Veolia Transport. Ruter préconise le renforcement des fréquences sur certaines lignes fortes – les plus chargées ayant vocation à être au moins en partie remplacées par des trams. Un site propre de bus est en projet au nord-est, le long du boulevard périphérique, entre Storo et Bryn. En banlieue, l’idée est de proposer un réseau simplifié, maillé autour du réseau ferré, qui s’articulerait autour de lignes fortes.
François ENVER