Ancien PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet est aujourd’hui consultant chez Vauban Infrastructure Partners. Nous lui avons demandé de réagir au limogeage de son successeur, Luc Lallemand, et sur la nomination de Matthieu Chabanel à sa place, à la tête du gestionnaire des infrastructures.
Ville, Rail & Transports : Comment analysez-vous le limogeage de votre successeur, Luc Lallemand?
Patrick Jeantet : Quand vous êtes PDG de SNCF Réseau, vous êtes au centre d’injonctions contradictoires, entre d’un côté les régions, et de l’autre l’Etat. Et chacun instrumentalise un peu SNCF Réseau. Il faut l’accepter et savoir naviguer…
Les dépassements de coûts des projets ne sont pas faciles à gérer. Mais il faut reconnaître que Luc Lallemand a pris des positions assez dures, ce que le monde politique a du mal à accepter. Il était assez cash mais je ne suis pas persuadé que c’est la meilleure option.
VRT : Le fait d’être belge, avec peut-être une autre culture, peut-il expliquer cet affrontement avec les pouvoirs publics français qui ne sont pas habitués à un ton aussi cash?
P. J. : C’est vrai, il paie le fait d’avoir dit clairement les choses dans un monde où les choses ne se disent pas… Mais à un moment donné, si Nexteo coûte plus cher, il faudra payer.
Désormais SNCF Réseau consolide ses comptes dans le budget de l’Etat. Les comptes sont donc largement décidés par l’Etat. C’est à l’Etat de définir s’il faut plus de subventions ou plus de redevances. Alors que le rôle du PDG est avant tout de mettre en place des plans de performance pour que les projets et les coûts d’exploitation de SNCF Réseau soient les plus optimum possibles. Il doit donc proposer aux politiques les programmes les plus performants.
VRT : Mais comment faire quand on ne dispose pas de suffisamment de financements?
P. J. : Aujourd’hui, le contrat de performance ne permet pas de renouveler le réseau. Avec l’inflation, l’effort d’investissement est en diminution. Ce n’est pas acceptable! Selon moi, il faut absolument une loi de programmation des investissements à 5 ans, avec une priorité donnée au renouvellement du réseau structurant. Ainsi, on pourra déterminer les lignes sur lesquelles il faudra décider des ralentissements de circulation des trains.
VRT : Dans les conditions actuelles, la mission de Matthieu Chabanel est-elle impossible?
Selon moi, le PDG a trois responsabilités : s’assurer que le système est performant du point de vue de la sécurité, optimiser les coûts et l’exploitation, enfin obtenir une pérennité des investissements avec une loi de programmation. On ne peut pas gérer le réseau avec des budgets annuels. Et il faut consacrer l’effort de renouvellement du réseau.
Matthieu Chabanel est un très bon choix, il saura tout à fait mener à bien ces missions : il connaît bien la production, les projets et, ayant travaillé dans les cabinets ministériels, il a le sens des relations politiques. La confrontation frontale ne marche pas.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt