Le car est souvent irremplaçable, particulièrement pour desservir des territoires périurbains et ruraux dépourvus de voies ferrées, mais il ne peut pas tout faire. Mais dès lors qu’il s’agit de dessertes régionales ou interrégionales, il faut donner toutes ses chances au train et ne réduire son rôle que là où son manque de pertinence économique est incontestable. Car vouloir transférer du trafic du train sur le car revient en réalité à en reporter sur la voiture L’autocar est évidemment irremplaçable pour la desserte des territoires périurbains et ruraux dépourvus de voies ferrées en activité, ce qui est le cas le plus fréquent. Régulier ou à la demande, le transport par car offre la seule possibilité d’assurer un véritable service public, dont le covoiturage ne sera jamais qu’un palliatif très imparfait.
Les départements du Calvados et de l’Isère, par exemple, ont beaucoup investi depuis une quinzaine d’années pour améliorer et étendre les services de car. Mais on est encore loin de l’optimum « suisse » où chaque commune serait desservie à une fréquence élevée.?Les autocaristes ont donc devant eux un vaste champ de développement de leurs activités car les dessertes de bien des départements sont encore médiocres.
Le cas des territoires riverains d’une voie ferrée est bien différent. Si cette voie relie typiquement une ville moyenne à une ville de moindre importance en traversant une zone périurbaine puis rurale, la faible densité de la population desservie est une cause de fragilité des services existants. Faut-il pour autant en déduire sommairement, comme le recommande la Cour des comptes, qu’il faut supprimer 7 800 km de lignes peu utilisées, soit le tiers du réseau TER, ou, comme le proclame la FNTV (Ville, Rail & Transports du 28 juillet 2010), que « le train ne peut pas tout faire » et que l’autocar doit le remplacer ?
Bien entendu, la Fnaut ne réclame pas qu’on en revienne au réseau ferré Freycinet d’avant 1914, constitué pour une part de lignes « électorales » qui, dès l’origine, n’avaient aucune pertinence économique. Mais les lignes qui ont subsisté, malgré l’acharnement de la SNCF à les faire disparaître, jouent aujourd’hui un rôle structurant important, et plusieurs régions ont même des projets de réouvertures, en particulier la région Paca à la suite de celle, très réussie, de la ligne Cannes – Grasse dont l’emprise avait été judicieusement préservée.
Avant de transférer sur route des dessertes TER ou, ce qui est plus difficilement réversible, de fermer des lignes, il faut poser correctement le problème.
1 – Il faut d’abord s’interroger sur les causes d’une trop faible fréquentation et tenter de maximiser la clientèle. Or :
• bien des lignes à faible trafic ne bénéficient d’aucune promotion commerciale et sont pénalisées par des fréquences squelettiques, des horaires inadaptés et des correspondances dissuasives ;
• il n’est pas rare que des dessertes TER soient asséchées par un service de cars parallèle, bénéficiant de surcroît d’une tarification très basse. Dans les Alpes-Maritimes, les cars à 1 euro ont un succès commercial incontestable, mais détournent une partie de la clientèle des TER, en particulier sur la ligne Nice – Digne ;
• les retards répétitifs et les ralentissements liés à la dégradation de la voie découragent la clientèle du TER ;
• des investissements modestes sur la voie ou le matériel roulant permettraient souvent de rendre une desserte TER plus fiable et plus attractive (relèvement ponctuel de la vitesse, création d’un point d’évitement sur une ligne à voie unique, déplacement d’une gare mal située, introduction d’un matériel mieux adapté au profil de la ligne) ;
• les régions, qui n’ont pas de compétence routière obligatoire, pourraient prendre en charge plus aisément ces investissements si elles réduisaient leurs dépenses routières, lesquelles contribuent d’ailleurs à rendre le TER moins attractif que la route.
Un exemple affligeant est celui de la ligne du Blanc-Argent, en Sologne, qui assure un trafic annuel de l’ordre de 400 000 voyageurs : depuis juin 2010, la vitesse est ramenée de 70 à 40 km/h sur l’ensemble du parcours, d’où des ruptures de correspondances avec les lignes Orléans – Vierzon et Tours – Vierzon. Dix millions d’euros seulement seraient nécessaires pour supprimer le ralentissement…
2 – Il faut aussi s’interroger sur les coûts d’exploitation du TER par la SNCF.
Comme la Fnaut l’affirme depuis longtemps, c’est précisément sur les lignes à faible trafic que l’ouverture du TER à la concurrence pourrait permettre de réduire fortement ces coûts, d’améliorer la qualité de service, d’élargir la clientèle et d’augmenter les recettes. Au lieu de freiner stérilement cette perspective, l’Etat et les régions devraient l’accélérer : le succès déjà ancien, trop peu médiatisé, de la CFTA sur la ligne Carhaix – Guingamp – Paimpol devrait les y inciter (trafic +30 %, coûts -30 %). La réintroduction d’une desserte fret peut par ailleurs soulager le TER d’une partie des charges d’infrastructure.
3 – Une erreur fréquente consiste à admettre que le train et le car rendent le même service.
Le car est évidemment mieux adapté aux dessertes fines du territoire (et des centres-villes quand les gares sont très excentrées) et aux trafics de faibles volumes. Inversement, en raison de sa faible capacité, il n’a pas l’aptitude du train à encaisser les pointes de trafic, et des doublements sont souvent nécessaires, par exemple, entre Agen et Auch ou Villeneuve-sur-Lot.
Son confort est limité par les virages et les cahots. Les sièges sont très serrés, le port de la ceinture est obligatoire, on ne peut pas se déplacer pour se dégourdir les jambes. L’accessibilité est médiocre (plancher haut, couloir étroit), et le transport des bagages encombrants, voitures d’enfants et fauteuils roulants est difficile. Les toilettes sont absentes ou fermées, et il est interdit de se restaurer pour éviter au chauffeur la corvée du nettoyage. Les gares routières sont moins confortables que les gares ferroviaires. Le confort, c’est aussi la possibilité de valoriser la durée du trajet : comment déployer un journal, étaler des dossiers ou utiliser un ordinateur dans un car ? Par temps sombre, l’éclairage intérieur est insuffisant.
4 – Sauf cas très particuliers mis en avant avec complaisance,
les temps de parcours sont sensiblement plus longs qu’en train – et pas seulement dans les zones montagneuses –, tel par exemple entre Tours, Châteauroux et Montluçon. Il fallait même 2 heures 30 pour un trajet de 100 km entre Bordeaux et la pointe de Grave avant le retour du train. La vitesse du car est limitée par la congestion aux entrées et sorties de ville et, à la traversée des villages, par les ralentisseurs. Les horaires sont toujours aléatoires, les correspondances jamais acquises.
Les dessertes routières de l’Ardèche sont parmi les meilleures, mais l’horaire du car Aubenas – Montélimar qui assure la correspondance avec le TGV intègre une marge de l’ordre de 15 mn.
C’est bien là une faiblesse de l’autocar : compte tenu des aléas du climat et de la circulation routière et de la longueur variable des arrêts, fonction du nombre de voyageurs et du temps de délivrance des billets, seule une marge de sécurité importante permet de garantir la correspondance avec les trains.
5 – Ceux qui ne le prennent jamais (ministres, grands élus…)
vantent volontiers l’autocar, mais passer du train au car implique, inévitablement, une régression de la qualité de service. Georges Frêche le reconnaissaitt implicitement quand il déclarait : « Les lignes qui ne sont pas rentables, il faudra bien les fermer ; les gens prendront le car, ils n’en mourront pas… »
Et, logiquement, tout transfert sur route se traduit par une évasion de clientèle, de l’ordre de 30 % selon la Cour des comptes : il faudrait en tenir compte quand on compare les performances environnementales du train et du car, le report sur la voiture augmentant la consommation de pétrole, les nuisances, la congestion et les risques d’accident.
Dans son ouvrage très documenté Des Omnibus aux TER (éditions La Vie du Rail, 2002), Pierre-Henri Emangard cite un taux moyen de perte de trafic de 37 % lors des nombreux transferts intervenus dans les années 1970. Un taux de 50 % aujourd’hui est vraisemblable. En effet, depuis 30 ans, le taux de motorisation des ménages est passé de 60 % à plus de 80 % ; le confort et la fiabilité des voitures se sont améliorés ; le réseau routier a été modernisé ; le prix des carburants, rapporté au salaire moyen, a été divisé par 3. Enfin, les dessertes ferroviaires étaient très mauvaises en 1970.
Des données précises sont connues pour le cas inverse d’un transfert sur rail. Sur la relation Nantes – Pornic, assurée par car en 1990, des trains ont été introduits en été, puis la desserte a été entièrement basculée sur rail en 2001-2002. La hausse du trafic a été spectaculaire : entre 2000 et 2005, le nombre de voyageurs a été multiplié par 3,5.
Il faut aussi admettre que le réseau ferré forme un tout et que, pour les voyageurs comme pour le fret, il est dangereux d’en élaguer les branches les moins fréquentées. Supprime-t-on les lignes de bus peu fréquentées d’un réseau urbain ? Ce qui compte, c’est la fréquentation globale du réseau TER, la fréquentation d’une ligne donnée est moins significative.
Remplacer les trains par des cars aux heures creuses ? La Fnaut ne s’y oppose pas par principe, mais elle s’interroge sur la réalité des économies ainsi réalisées (le matériel et le personnel ferroviaires sont alors inutilisés), et elle observe que le panachage train-car désoriente les voyageurs et les dissuade d’utiliser le TER. Bien d’autres mesures peuvent être prises avant d’en arriver là.
Il est irrationnel de condamner prématurément le train et de fermer des lignes peu utilisées parce que mal équipées et mal exploitées. Il faut au contraire essayer de les valoriser après des années de défaitisme et de dogmatisme antiferroviaire, car une hausse du prix du pétrole est inévitable à moyen terme et susceptible de provoquer une forte hausse de leur fréquentation (la SNCF envisage un quadruplement du trafic TER).
Les relations intercités
La FNTV et le député Hervé Mariton réclament que les autocaristes soient autorisés à exploiter des services express à moyenne et longue distances sur autoroute, « en complémentarité avec le train ». Il est normal, et souhaitable, qu’une telle autorisation leur soit déjà accordée pour les relations sur lesquelles, faute de voie ferrée directe, le train n’est pas compétitif par rapport au car express, par exemple Nice – Aix-en-Provence ou Nantes – Poitiers. Mais, hors de ces cas très particuliers, le train et le car sont inévitablement en concurrence sur les liaisons intercités : la FNTV parle d’ailleurs d’offre « alternative ou complémentaire au rail » et imagine que « des lignes d’autocars pourraient utilement remplacer les lignes ferroviaires en grande difficulté ».
Exploiter les deux modes en parallèle ne pourrait en effet qu’affaiblir le train, en le privant d’une partie de sa clientèle – au moment même où l’Etat cherche à maintenir et à développer les trains dits « d’équilibre du territoire ». Le voyageur serait perdant car les services ferroviaires les plus fragiles disparaîtraient (Caen – Rennes, Lyon – Bordeaux), la circulation automobile augmenterait et les autocaristes ne capteraient qu’une clientèle limitée attirée par une offre « low-cost » : quel intérêt pour la collectivité ?
Sur les axes plus importants, on peut se demander si le car aurait du succès, car le public préfère le train. Selon une étude récente commandée par la SNCF, les usagers des trains Intercités réclament (avant même la ponctualité ou un bar) des prises de courant pour faire fonctionner les appareils permettant de valoriser leur trajet : ordinateurs, lecteurs DVD, smartphones, téléphones, lecteurs MP3… Aucun car n’offre ce type de service.
Anecdote significative : en janvier 2010, un train Granville – Paris est resté arrêté une heure à Argentan. « Il y a eu une surcharge, et les voyageurs n’ont pas souhaité emprunter les cars mis à leur disposition », a expliqué la SNCF. Le car de substitution n’est accepté par les usagers qu’en cas de grève, faute d’alternative.
A cette réticence naturelle du public s’ajouterait la perte de temps. Le meilleur temps par rail entre Lyon et Turin (TER + Artesia) est actuellement de 4 heures 36 avec 50 mn de correspondance à Chambéry. Le même trajet en car direct TER Rhône-Alpes SNCF avec arrêt de 1 mn seulement à Chambéry se fait en 4 heures 25. Avec le rétablissement des trains directs, le rail pourrait donc être bien plus performant que la route. Ce constat est d’autant plus significatif que l’exemple choisi est favorable à l’autocar (qui circule sur autoroute de bout en bout), alors que les voies ferrées concernées sont anciennes, partiellement à voie unique, à vitesses limitées et très fréquentées.
Les trains Corail Intercités Nantes – Bordeaux ont un temps de parcours identique depuis 30 ans : 4 heures 05 pour 376 km. Par autoroute, le trajet (340 km) dure environ 3 heures 30 en voiture, arrêts non compris. Si des dessertes routières coordonnées avec le rail étaient créées, les pointes de trafic ne pourraient être assurées par le car, d’où une desserte panachée selon les jours et heures, une baisse de productivité du matériel ferroviaire, des horaires très complexes et peu lisibles, et la quasi-impossibilité d’organiser des dessertes ferroviaires sur les parcours « débordant » le tronçon Nantes – Bordeaux.
A terme, la concurrence du car fragiliserait le train. Si celui-ci disparaissait, le voyageur se reporterait sur la voiture. Avec une vitesse limitée à 90 km/h sur autoroute et de nombreux parcours hors autoroute pour desservir les villes intermédiaires, la vitesse commerciale du car ne pourrait être en effet que très inférieure à celle du train, même dans le cas défavorable au rail analysé ici. Il est donc plus rationnel de moderniser la voie ferrée et son exploitation.
En conclusion – et c’est aussi le point de vue des associations d’usagers de Grande-Bretagne, d’Allemagne ou de Suisse –, il faut entièrement repenser les relations entre train et autocar pour tirer le maximum de chaque technique, afin d’attirer les automobilistes. Le car a un large créneau de pertinence mais ne peut pas tout faire : ce n’est pas parce que le rail présente des lacunes sur certaines liaisons que la route y est forcément mieux adaptée.
Qu’il s’agisse de dessertes régionales ou interrégionales, il faut donner toutes ses chances au train, et ne réduire son rôle que là où son manque de pertinence économique est incontestable. Cette démarche de bon sens implique de coordonner train et car de manière rationnelle, de ne pas disperser l’offre sur deux modes concurrents mais de massifier le trafic sur l’ossature ferroviaire, le car assurant des rabattements ou des dessertes plus fines sur les itinéraires non desservis par le rail. Vouloir transférer du trafic du train sur le car revient en réalité à en reporter sur la voiture, à l’inverse des objectifs du Grenelle de l’environnement.
Par Jean SIVARDIERE, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports).