Yvan Lefranc-Morin, le directeur général de Flixbus France, explique à Ville, Rail & Transports comment il analyse le rachat de Ouibus par BlaBlaCar et quelles sont les options possibles sur le marché des cars Macron.
Ville, Rail & Transports. Comment avez-vous réagi à l’annonce du rachat de Ouibus par BlaBlaCar ?
Yvan Lefranc-Morin. La SNCF met fin à l’hémorragie financière, c’est une bonne nouvelle. Il est en effet très difficile de lutter contre un acteur financé par la puissance publique : Ouibus a cumulé 180 millions d’euros de pertes entre 2012 et 2017 pour 160 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulé. Aucun acteur privé n’aurait jamais pu se le permettre.
Le rachat de Ouibus par BlaBlaCar ne peut qu’améliorer la situation. Nous sommes assez satisfaits de pouvoir nous dire que nous allons enfin pouvoir évoluer dans un marché plus sain.
VR&T. Comment expliquez-vous ce mariage ?
Y. L.-M. Je vois deux aspects. D’une part, BlaBlaCar va accéder au portail de distribution de OUI.sncf, ce qu’il voulait depuis des années. Mais SNCF le refusait jusqu’alors de peur de se cannibaliser : le covoiturage aurait pu faire concurrence à Ouibus et à Ouigo.
D’autre part, BlaBlaCar doit définir une stratégie : que va-t-il faire de Ouibus ? Va-t-il pousser le car ou le covoiturage ? S’il développe l’offre d’autocars comme il l’annonce, c’est très risqué car le marché est déjà saturé. Il risque de se tuer lui-même car dans ce cas, un système de vases communicants va se mettre en place : les clients de l’autocar sont nombreux à venir du covoiturage, beaucoup passent de l’un à l’autre. Quel mode de transport vont-ils privilégier ? Dans un cas (le covoiturage), vous ne prenez pas de risque : vous mettez en relation l’offre et la demande. Dans l’autre, vous prenez un risque car si vous faites circuler un bus vide, vous devez le payer. BlaBlaCar sera-t-il prêt à assumer ce coût ? Si c’est le cas, il changerait de modèle et passerait d’une plateforme de distribution à un système de réseau. On peut aussi imaginer que BlaBlaCar réduise la voilure de Ouibus pour ne garder que les axes sur lesquels il n’arrive pas à satisfaire la demande de covoiturage. Ce qui le ferait rester dans une organisation proche de sa situation actuelle.
Aujourd’hui, je constate que c’est le mariage de deux sociétés qui n’ont pas encore réussi à trouver leur business model. C’est l’aveu d’un échec.
VR&T. Peut-on s’attendre à une hausse des tarifs des cars Macron ?
Y. L.-M. Actuellement, nos coûts de production sont en train d’exploser, on le voit notamment sur le poste carburant. Pour le moment, nous ne les avons pas répercutés. Si l’inflation se poursuit, à un moment ou à un autre, il faudra répercuter ces hausses de coûts de production sur le prix des billets. Mais il n’y aura pas de hausses importantes. On peut s’attendre à un ajustement qui permette au modèle économique de s’équilibrer.
VR&T. Pourriez-vous être intéressé par une distribution sur une plateforme multimodale comme celle de OUI.sncf ?
Y. L.-M. Nous n’avons pas de position figée en la matière. Aujourd’hui, nous n’avons pas fait ce choix car nous voulons être maîtres de notre distribution. Nous arrivons à vendre 100 % de nos billets par nos propres canaux de distribution car notre marque est puissante. Notre plateforme vend des billets dans 28 pays et nous transportons 50 millions de passagers par an. C’est une vraie force. Quand on se fait distribuer, on paie des coûts très importants. Toutefois, nous sommes pragmatiques. Si nous jugeons opportun demain d’être distribué sur OUI.sncf ou une autre plateforme, nous le ferons.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt