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« La gratuité des transports sera l’un des grands thèmes des prochaines municipales »

Publié le 03/09/2018 à 12h51
Maxime Huré

Interview de Maxime Huré, maître de conférences à l’Université de Perpignan, et chercheur à Sciences Po Lyon.

Ville, Rail & Transports. Vous avez été amené à travailler sur l’instauration de la gratuité à Dunkerque. Quelle a été votre mission ?
Maxime Huré. Dans le cadre d’un collectif de jeunes chercheurs [l’association VIGS, NDLR], nous avons été sollicités par Dunkerque dès 2015, donc peu après les élections municipales. Nous avons formé une petite équipe et avons vite compris que la nouvelle équipe municipale souhaitait mettre en place la gratuité en deux temps (d’abord la gratuité le week-end avant de passer à la gratuité totale) et disposer d’une évaluation du dispositif par des chercheurs.
En effet, en France, il y a eu peu de recherches sur le sujet, sinon des positions un peu idéologiques de chercheurs qui n’avaient pas travaillé la question.
Nous avons lancé en mars 2017 une première étude pour évaluer les effets de la gratuité le week-end. La communauté urbaine souhaitait un regard sur trois aspects : elle souhaitait savoir si la gratuité se traduirait par une hausse de la fréquentation, s’il y aurait de nouveaux usagers et s’il y aurait un report modal. Nous avons constaté une hausse de fréquentation de près de 30 % le samedi et de 80 % le dimanche.
Il faut noter que cette mesure très politique d’instaurer la gratuité a été accompagnée d’un projet de renforcement de la qualité du réseau puisque presque 65 millions d’euros ont été investis sur cinq ans, pour mettre en place notamment des bus en site propre.

VR&T. Quels changements avez-vous constatés ?
M. H. Un nouveau public est arrivé dans les transports publics. Parmi eux, nous avons constaté qu’il y avait des individus en situation de grande pauvreté ainsi que des personnes âgées qui se sentaient un peu isolées. Ces personnes ont profité de cette mesure pour retisser du lien social. Nous avons aussi observé un retour dans les bus des familles, qui ont profité du dispositif pour se rendre à des manifestations ou à des activités récréatives. Clairement, le public familial va lâcher la voiture pour prendre le bus. Enfin, un public de jeunes entre 16 et 18 ans a également profité de la mesure. Des usagers classiques se sont retrouvés dans des bus bien remplis, ce qui a parfois pu donner lieu à des réactions négatives de leur part.

VR&T. Avez-vous observé un report modal ?
M. H. Nous avons adressé un questionnaire à 400 personnes. Sur la question du report modal, nous devrons encore vérifier les chiffres. Mais à la question : quel mode de transport avez-vous abandonné ? 67 % ont dit qu’ils avaient renoncé à la voiture pour prendre le bus le week-end, 33 % la marche et 16 % le vélo (sachant que les modes n’étaient pas exclusifs les uns des autres).
Les chiffres sur la bicyclette sont à relativiser puisque la pratique du vélo à Dunkerque qui est très faible : sa part modale est de 1,2 %.

VR&T. Les objectifs des élus ont-ils été atteints selon vous ?
M. H. Les élus voulaient aussi rendre de nouveau attractif le centre-ville. Cette mesure y contribue très clairement : les bus sont surfréquentés lors de grandes manifestations organisées dans la ville. Les commerçants, qui se montraient réservés avant le lancement du dispositif, se montraient plutôt satisfaits six mois après.

VR&T. Que pouvez-vous dire aux opposants de la gratuité ?
M. H. Certaines idées reçues ont été battues en brèche comme l’affirmation selon laquelle les réseaux gratuits seraient plus dégradés que les autres. A Dunkerque ou à Châteauroux, rien de tel n’a été observé. On observe qu’il y a plus d’usagers et que les politiques investissent davantage contrairement à ce qu’on pourrait croire.

VR&T. La gratuité peut-elle être mise en place par n’importe quel réseau selon vous ?
M. H. On voit que la gratuité des transports ne concerne pas que les petites villes. Peu à peu, les seuils sont dépassés. Dunkerque rassemble plus de 200 000 habitants, Tallinn plus de 400 000. Ce sont souvent des réseaux où les recettes générées par les transports ne sont pas très élevées et se situent en dessous de 8 %. Certains chercheurs disent qu’au-dessus de 5 %, il n’est pas possible pour un réseau de passer à la gratuité. Or, Paris, Grenoble ou Clermont ont des recettes bien supérieures et y réfléchissent.
Ce que l’on observe, c’est que les collectivités qui mettent en place la gratuité ne le font pas toutes pour les mêmes raisons. Certaines le font car leur réseau est peu utilisé et se disent qu’ainsi il aura une meilleure utilité sociale. C’est ce qu’avait fait Châteauroux en 2001.
D’autres veulent redynamiser leur centre-ville. C’est le cas de Dunkerque mais aussi de Clermont. D’autres encore le veulent pour lutter contre la pollution atmosphérique, comme à Grenoble, Dunkerque, ou encore en Allemagne où la mesure sera expérimentée dans trois grandes villes.
La gratuité est avant tout une mesure très politique qui répond à des objectifs variés.

VR&T. N’y a-t-il pas tout de même quelques limites ?
M. H. La question du financement se pose, non pas à court terme, mais à long terme : il faut se demander si, à une échéance de dix à 15 ans, on aura assez de ressources pour la financer.
C’est une question cruciale pour les grands réseaux comme Paris qui doivent construire un budget sur le long terme et qui risquent la sursaturation.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne pourront pas passer du jour au lendemain à la gratuité. Mais c’est une mesure qui peut se mettre en place progressivement.
Et ponctuellement. La gratuité existe les jours de pollution. On peut aussi penser à des mesures ciblées telles que la gratuité le week-end, ou sur les lignes de nuit, les lignes de plage… Ce peut être une mesure qui va s’imposer progressivement. Elle sera un des thèmes très présents lors des prochaines élections municipales.

Propos recueillis par Marie-Hélène POINGT

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