Bus électrique : la nouvelle stratégie de la RATP
Après avoir mis en service ses premiers autobus hybrides de série en fin d’année dernière sur la ligne 21, Paris veut désormais passer très vite à la traction 100 % électrique. Mais à la différence de Londres ou Barcelone qui ont opté pour des bus chinois, la Ville lumière préfère laisser le temps aux constructeurs européens de fourbir leurs armes
« C’est un choix volontaire de la RATP : nous allons passer aux bus électriques, car nous sommes convaincus qu’ils représentent la voie d’avenir. » Pierre Mongin, qui présentait en janvier ses vœux à la presse, n’a jamais été aussi catégorique. Le président de la Régie ne veut pas encore révéler dans le détail les prochaines étapes de sa stratégie de transition énergétique qu’il aurait déjà préparée de longue date avec son équipe. En revanche, il insiste sur le caractère définitif de la décision prise. Et le virage doit même s’amorcer dès cette année, d’autant que la RATP dispose justement d’un « bon budget dynamique », comme le qualifie Pierre Mongin, avec 1,6 milliard d’euros d’investissement, soit un niveau encore jamais atteint…
Les quinze autobus hybrides Man Lion’s City mis en circulation sur la ligne 21 à partir de décembre dernier participent pleinement de cette démarche. Ils seront d’ailleurs rejoints par quinze Iveco Citelis sur la 147 et quinze Heuliez GX 427 sur la 91. Certes, la RATP doit aussi réceptionner cette année 147 autobus diesel Euro 6 (Iveco Urbanway, Man Lion’s City et Mercedes Citaro), mais il ne faut voir dans ces différentes commandes aucune contradiction : « En tant qu’opérateur, rappelle Pierre Mongin, je mets en œuvre les décisions des élus, et il nous faut gérer cette nouvelle transition énergétique en faisant appel au diesel et à l’hybride. »
A PARIS, L’HYBRIDE EST LE PASSAGE OBLIGÉ
Comme la plupart des constructeurs et opérateurs le reconnaissent, l’hybridation est effectivement le passage technique obligé pour mieux accéder à l’autobus 100 % électrique. A cela rien d’étonnant : si l’hybride conserve bien son groupe thermique, il utilise justement les mêmes moteurs de traction pour la transmission de l’effort, ainsi que les mêmes supercondensateurs et batteries pour la récupération d’énergie que ceux équipant les véhicules tout électriques. Nombre d’experts s’accordent aussi à dire aujourd’hui que, dans les années à venir, 10 % des bus vendus rouleront directement à l’électricité, sans groupe thermique. Ils pronostiquent même que la totalité des véhicules commercialisés à terme feront appel à la traction électrique intégrale. La RATP ne compte toutefois pas mettre tous ses œufs (en l’occurrence les quelque 4 500 autobus de son parc) dans le même panier : « Je fais une exception avec le biogaz, que nous garderons comme une alternative à terme », précise Pierre Mongin. Le centre bus de Créteil doit être dédié, de façon pérenne, à l’utilisation du gaz de méthane recyclé provenant de l’usine de traitement des eaux de Valenton. On se souvient qu’il y a une quinzaine d’années, Créteil avait accueilli les premiers autobus RATP fonctionnant au GNV (Gaz naturel pour véhicule), et Aubervilliers ceux au GPL (Gaz de pétrole liquéfié). Depuis, la Régie a définitivement abandonné ledit GPL, le constructeur Daf (seul fournisseur européen de motorisation GPL avec Man) ayant suspendu la fabrication de ses moteurs adaptés à cette filière. En revanche, les Agora GNV d’Irisbus, affectés au centre-bus de Créteil, y demeurent toujours bien actifs…
LONDRES ET BARCELONE CHOISISSENT LE CHINOIS BYD
A Londres, comme à Berlin, Vienne, Stockholm ou encore Barcelone, la révolution du bus électrique pointe déjà le bout de son nez. Paris ne doit donc pas être en reste, mais ne veut toutefois nullement se précipiter : « Il faut laisser le temps aux constructeurs français et européens de se préparer, tempère Pierre Mongin. On ne va pas se mettre à acheter aux Chinois ! » C’est pourtant ce que vient de faire TfL (Transport for London), l’autorité organisatrice des transports londoniens, mais aussi Barcelone. La capitale de la Catalogne aurait même indirectement facilité au constructeur chinois Byd son entrée sur le marché, en lui assurant sur place une homologation de son véhicule pour l’Europe. La jeune entreprise, fondée en 1995 dans l’empire du Milieu, n’a pas choisi sa raison sociale au hasard : elle a tout simplement voulu adopter les initiales de Build Your Dreams (« Construisez vos rêves »). Ayant lancé son activité avec seulement vingt collaborateurs, elle en compte aujourd’hui plus de 150 000 ! Et à l’évidence, ses rêves de croissance sont déjà devenus réalité…
A Londres, deux autobus standard de 12 m à traction 100 % électrique, fournis par Byd, ont été mis en service commercial, le 19 décembre dernier, par l’opérateur Go-Ahead. Ils roulent à titre probatoire sur les lignes à fort trafic 507 et 521, encore bien connues sous leur ancien nom de « Red Arrows », et qui assurent une relation plus spécialement dédiée aux voyageurs transitant entre les gares de Victoria, Waterloo et London Bridge.
Les véhicules sont rechargés quatre à cinq heures par nuit au dépôt de Waterloo, ce qui leur confère une autonomie d’environ 250 km, a priori suffisante pour assurer une journée de service (les parcours journaliers moyens pratiqués à la RATP, qui considère avoir un fort taux d’utilisation de son matériel roulant, oscillent autour de 180 km). Le constructeur Byd, qui entend concevoir ses autobus électriques ex nihilo et non comme la simple « électrification » d’un véhicule diesel ou hybride, a choisi la solution « batteries+moteurs de roue », qu’il estime être la plus pertinente sur le plan technique. Les essais préliminaires menés par Byd démontrent une économie potentielle d’exploitation de 75 % par rapport à un véhicule diesel équivalent, ce qui, compte tenu de l’inévitable surcoût à l’achat, devrait permettre à l’opérateur de dégager ladite économie avant la dixième année de possession.
Six autobus électriques supplémentaires vont incessamment rejoindre Londres déjà fort du plus grand parc européen d’hybrides, avec quelque 600 véhicules aujourd’hui et plus de 1 700 prévus en 2016 ! Compte tenu de l’engagement du maire de Londres, Boris Johnson, en faveur du développement d’autobus propres dans sa ville, le constructeur Byd pourrait trouver sur les rives de la Tamise un juteux marché. Mais rien, du côté de la RATP, ne laisse pour le moment penser qu’il va aussi « construire ses rêves » en bord de Seine…
Philippe Hérissé