Cinq milliards pour les gares multiservices de demain
Gares et Connexions va consacrer 4,5 à 5 milliards d?euros sur dix ans à l?invention des grandes gares de demain. Multimodales et véritables villes dans les villes, elles devront aussi offrir aux voyageurs une concentration de services « Réinventer les gares du XXIe siècle pour accompagner la révolution des nouvelles mobilités. » C’est avec cette jolie phrase que Sophie Boissard, la directrice générale de Gares & Connexions, résume la « feuille de route » pour les cinq à dix prochaines années. Presque un an jour pour jour après la création de cette branche de la SNCF, elle présentait le 13 avril orientations et projets pour 2010.
« On vit sur un modèle conçu au XIXe siècle, justifie-t-elle. Il s’est adapté cahin-caha, mais il arrive au bout de ce qu’il peut faire. » Une gare contemporaine doit pouvoir accueillir vélos et autos en libre-service, taxis, autocars et autres tramways… bref, elle doit devenir un pôle multimodal. Or, un nombre croissant de gares subissent une explosion des flux. Les gares parisiennes, mais aussi la gare lyonnaise de la Part-Dieu, qui accueille trois fois plus de monde que ce pour quoi elle a été conçue, en sont des exemples criants. Avec déjà 2 milliards de voyageurs par an – sachant que 70 % de ces flux sont concentrés dans quelque 300 gares – et une hausse moyenne de fréquentation estimée à 2 % par an jusqu’en 2020, dont 6 % pour la branche Proximités, il est urgent d’anticiper !
L’esprit général ? Faire ce qu’il faut pour qu’on n’ait plus le sentiment de perdre son temps en gare. Pour que « ce temps contraint, subi, devienne un temps riche », poursuit Sophie Boissard. D’où la réflexion sur « une colonne vertébrale des services dont a besoin le voyageur moderne, tout en respectant l’esprit du lieu qui, contrairement aux aéroports, est profondément ancré dans la ville ». Des propos proches de ceux de la sénatrice Fabienne Keller, qui l’an dernier avait remis un rapport au gouvernement où il était question de gares “villes dans la ville”. Gares et Connexions a donc sélectionné un échantillon de services à proposer rapidement.
La promesse : « modifier radicalement la physionomie d’une centaine de sites structurants pour le réseau dans les dix ans ». Pour ces gares « multiservicielles », adaptées à « toutes les mobilités du ferroviaire à l’individuel ou semi-collectif », la SNCF prévoit une enveloppe de 4,5 à 5 milliards. Ce qui inclut aussi une série de rafraîchissements nécessaires dans des gares de moindre importance.
A 350 millions, son programme d’investissement 2010 est pratiquement dans les clous. « Le scénario est finançable », affirme la directrice générale. Côté recettes, Gares et Connexions compte en effet sur les redevances de transporteurs (70 % du chiffre d’affaires), en hausse de 2 % par an, et sur les activités non ferroviaires (30 %), pour lesquelles on table sur un doublement.
Réalisations récentes, les gares de Dijon-Ville, Caen, Le Mans, Ermont-Eaubonne ou… Wuhan en Chine, inaugurée en 2009, sont citées en exemple de la nouvelle philosophie, qui s’applique bien sûr aux créations comme à Belfort et Besançon pour la LGV Rhin-Rhône. Parmi les projets à court terme : Saint-Lazare (2012), Massy (2010), la gare de Lyon à Paris (2015) ou encore Mumbai… en Inde (2013) sont emblématiques. Et les projets à plus long terme foisonnent : Nantes, Grenoble, Bordeaux-Saint-Jean, Austerlitz…
« A chaque fois, c’est un laboratoire, raconte Jean-Marie Duthilleul, le PDG du groupe Arep. La préparation est spécifique, même si elle est porteuse de principes généraux, comme le fait que dans le quartier de gare le piéton doit être le roi. » Un principe d’ailleurs plus simple à imposer quand on est en plus partie prenante au réaménagement du quartier, à l’instar de ce qui se fera à Austerlitz, où l’Arep travaille avec l’architecte Jean Nouvel et avec la Semapa sur la ZAC Paris-Rive gauche.
A chaque fois, il faut agir en partenariat et la SNCF appliquera les conseils de Fabienne Keller : constitution de structures ad hoc (GIE, associations…) pour les sites complexes et création d’une nouvelle fonction de directeur de gare. « Dans une quarantaine de grands périmètres, c’est un responsable unique de la gestion de gare qui coordonnera les équipes », détaille Sophie Boissard.
Et il y a déjà deux urgences à gérer : l’invasion des vélos et l’arrivée annoncée des voitures électriques. « Le vélo, quand ça prend, c’est phénoménal, s’exclame-t-elle. A Strasbourg, les 1 000 places du parvis sont saturées. » Les restructurations de gares devront prévoir de nouvelles solutions de stationnement deux-roues. Quant au véhicule électrique, il faudra lui proposer des prises de rechargement. Au programme, 50 parkings à équiper. Avec, dans tous les cas d’offre nouvelle, une règle absolue : la démarche de laboratoire qui permet d’éviter une diversification tous azimuts, et d’en vérifier l’équilibre économique. Puisque en aucun cas les gares « ne doivent devenir des centres de coûts supplémentaires ».
Cécile NANGERONI