Viaduc de Térénez : un exemple d'efficacité et d'élégance
Le viaduc de Térénez, dont la construction a commencé en avril 2007 au sud de Brest, est le premier pont courbe à haubans de France Les automobilistes qui emprunteront à partir de 2010 le nouveau pont de Térénez franchissant la rivière Aulne, sur la route reliant la presqu’île de Crozon au pays de Brest, dans le Finistère, vont être gâtés. On leur édifie en ce moment un superbe viaduc à proximité de l’ouvrage existant, plus grand pont suspendu d’Europe lors de sa construction en 1925. Réhabilité après la guerre, l’octogénaire souffre cependant d’un mal quasi incurable : l’alcali réaction ou maladie du béton. Malgré un suivi régulier par souci de sécurité et des remèdes musclés comme le ceinturage mis en place autour de l’une de ses deux piles, l’ampleur des dégradations aurait nécessité de très importants travaux dépassant les 9 millions d’euros (valeur 1994). De plus, les réparations se seraient traduites par une interruption totale de la circulation pendant plusieurs mois. La perspective reconstruction d’un ouvrage sur le même emplacement a aussi été vite écartée. Démolir l’ancien pont pour en créer un nouveau prenait trois ans, pendant lesquels le parcours des véhicules s’allongeait de 26 km avec un passage imposé par Châteaulin.
En 1998, le conseil général du Finistère et le comité de pilotage associant élus locaux et équipes techniques, optent donc pour une solution radicale : la construction d’un nouvel ouvrage. Un pont conçu pour préserver et valoriser ce site superbe, à forte valeur écologique et paysagère marquée par les méandres de l’Aulne et la proximité de l’abbaye de Landevennec. « L’ouvrage devra attirer le regard et être en harmonie avec le paysage », insistait à cette époque Yvette Duval, vice-présidente du conseil général, alors à l’aménagement et l’environnement. Maître d’ouvrage, cette entité prend intégralement en charge le coût estimé à 35,3 millions d’euros, démolition de l’ouvrage d’origine compris. Le projet est confié au Service d’Etudes techniques des routes et autoroutes (Setra), maître d’œuvre, auquel sont associés Charles Lavigne, architecte en chef du projet, et Michel Virlogeux, ingénieur-consultant. Plutôt que l’ouvrage rectiligne imaginé au départ, pour fluidifier la circulation et surtout éviter deux dangereux angles presque à 90° se raccordant à la route très encaissée à cet endroit, ce dernier propose un tracé entièrement en courbe. De lourdes études sont entreprises, notamment pour bien gérer la problématique du gabarit routier du fait de la courbe et de l’inclinaison des haubans, un véhicule ne devant, bien sûr, pas risquer de venir heurter l’un d’eux. Sept techniciens de la société Arcadis sont mobilisés pendant un an et demi pour les études d’exécution ! La conception du tablier et des pylônes nécessite par ailleurs des essais en soufflerie. Les esquisses s’affinent peu à peu. L’idée de base a consisté à placer les trottoirs réservés aux piétons et aux cyclistes plus bas que la chaussée, ceux-ci passant à l’extérieur des pylônes. Cette dénivellation entre plaques de béton procure une rigidité au tablier et simplifie les conditions de bétonnage puisqu’il n’est pas nécessaire de créer un creux central qui demanderait un coffrage complexe. Mais du fait de cette courbure, la distribution des efforts dans l’ouvrage se modifiera au fur et à mesure de la construction. Un sérieux défi à relever pour l’entreprise chargée des travaux. « La complexité pour nous, c’est à la fois le tablier, les pylônes, le fait que ce soit incliné et courbe », reconnaît Antoine de Cambourg, responsable du projet chez Dodin- Campenon Bernard (groupe Vinci). Bref, la quasi intégralité du projet. « Cette forme architecturale nécessite de développer des méthodes spécifiques pour chaque partie de l’ouvrage. Mais je ne suis pas inquiet. L’organisation met en œuvre des synergies entre les différentes composantes du groupe, Dodin-Campenon Bernard pour la construction, Sogea Bretagne et GTM Bretagne pour apporter l’ancrage local de la main d’œuvre, Freyssinet pour la précontrainte et les haubans. Tout cela a permis de monter un groupement d’entreprises qui apportent chacune les technicités complémentaires. »
Le pont à haubans se composera de portées respectives de 115 m, 285 m, 115 m. Situé une quarantaine de mètres au-dessus de l’Aulne large à cet endroit de 292 m, son tablier mince sera constitué de voussoirs longs chacun de 7,50 m. Actuellement en construction sur la rive gauche, le pylône P2 supportera une boîte d’ancrage – énorme pièce métallique de 100 t – dans laquelle seront fixés les haubans. Une fois celle-ci installée, les équipages mobiles servant de coffrage aux 8 paires de voussoirs qui seront posés en encorbellement (de part et d’autre du pylône) pourront alors être mis en place. Cette pose devrait démarrer en juin 2009. Le même principe sera répété pour l’autre pylône avec un décalage de six mois environ. Vu en plan, ce tracé définitif sera en quelque sorte à l’image d’un fer à cheval dont l’ouvrage comprend trois rayons différents. Entre les deux pylônes hauts de 90 m implantés dans l’eau, celui pour la travée principale sur la rivière atteindra 800 m, ceux des deux travées de rive 200 m. « Une longueur droite de presque 300 m pour un pont à haubans c’est classique. En courbe, c’est une première », explique Thomas Lavigne, architecte, fils de Charles. « Cette courbure n’est pas gratuite. Elle est imposée par le tracé en U de la route. C’est la très grande difficulté de réalisation du projet, mais en même temps elle représente tout l’intérêt technique et architectural de l’ouvrage, confie Michel Virlogeux. Il va être marquant par ses formes, par le défi que représente la construction en courbe. J’ai eu la chance de faire le pont de Normandie, le viaduc d’Avignon pour le TGV Méditerranée, le viaduc de Millau. Par rapport à ce dernier, ici ce n’est pas la même échelle. Sur un plan financier c’est du 1 à 10, donc il faut relativiser. Mais sur le plan technique c’est quelque chose de remarquable et pour moi, Térénez sera un des très grands ». Charles Lavigne, disparu en 2004, serait sans doute très fier. « Le futur pont de Térénez est un ouvrage exceptionnel dans ses formes et dans ses techniques, presque une œuvre de sculpteur, disait-il. Le résultat offrira une silhouette très aérienne posée sur deux pylônes aux formes épurées, inclinés, comme couchés par les vents, dans ce site magnifique au cœur du Finistère. »
Michel BARBERON
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