Passe Navigo : du tarif unique au compte personnel
Mis à jour le 06 juin 2017
Valérie Pécresse, en bisbille avec Manuel Valls sur le financement du passe Navigo unique, met les chiffres sur la table. Au-delà de l’impasse actuelle, l’exécutif régional redoute les nouveaux surcoûts, liés par exemple au futur Grand Paris. Une table ronde rassemblant économistes et responsables de transport a préparé les esprits à des changements importants. Relèvement de la part acquittée par l’usager. Et, peut-être un jour, abandon de l’abonnement unique au profit de tarifications personnalisées. Valérie Pécresse s’est toujours opposée au passe Navigo unique, estimant que son surcoût, d’environ 450 millions d’euros par an serait trop lourd. Mais elle a toujours dit, aussi, que si elle était élue présidente du conseil régional, elle ne reviendrait pas sur la mesure : une fois qu’elle est prise, elle est quasiment irréversible. D’où la négociation entreprise par la nouvelle présidente avec l’Etat pour aider à son financement, puisque le Premier ministre a fortement soutenu la mesure arrêtée en fin de mandat par la précédente majorité. D’où, parallèlement, des messages répétés sur une augmentation qui ne sera pas « taboue ». Le Premier ministre a promis de trouver une solution. Elle n’est pas encore là. 2016 sera bouclée avec des recettes exceptionnelles. On ne sait pas aller au-delà, faute de recettes pérennes suffisantes. Une augmentation du versement transport a bien été décidée en juillet dernier. Elle va rapporter 150 millions en année pleine. Reste à en trouver 300 chaque année. Et à ces 300 millions d’euros, il convient d’ajouter l’augmentation des subventions que le Stif doit verser à la RATP et à la SNCF, dans le cadre des nouveaux contrats signés en 2016. Et il faut aussi se préparer à la très forte augmentation des coûts de fonctionnement, due à la mise en service des premières lignes du Grand Paris Express. Une augmentation évaluée à un milliard d’euros par an d’ici 2024-2025, rappelle Stéphane Beaudet, vice-président Transports de la région.
Une table ronde organisée par le Stif le 20 juin a donc demandé opportunément : le passe Navigo à 70 euros est-il viable ? A première vue, la réponse est dans la question. D’ailleurs la presse a évoqué, avant le colloque, une augmentation de 10 à 15 euros, baptisée par la présidente « taxe Valls », façon de rappeler au Premier ministre qu’il doit honorer ses engagements. Arithmétiquement, il ne serait pas compliqué d’en revenir à l’équilibre antérieur. Le prix moyen du passe Navigo était estimé à 83 euros avant le passe unique. Une augmentation d’une quinzaine d’euros comblerait le trou. Gilles Carrez, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale qui dit « comprendre » la nouvelle tarification, estime qu’il fallait à tout le moins réévaluer le prix de l’abonnement.
La mesure n’est pas facile à prendre. Mais, le problème, c’est qu’elle rétablit en fait un déséquilibre. Un chiffre le résume : le Francilien acquitte 28 % du prix du transport. L’affaire du passe unique permet de s’interroger sur la nature même de la tarification. Le sujet posé, dit Valérie Pécresse, c’est « le vrai prix du transport ». Et d’ajouter. « Le temps est venu de parler un langage de vérité et que chacun assume ses responsabilités. »
La question est d’autant plus grave que la part acquittée par l’usager s’érode. Guy Le Bras, directeur général du Gart, témoigne de toute façon qu’il a eu bien du mal à expliquer aux Britanniques la notion, élémentaire en France, de taux de couverture des dépenses par les recettes. Tant il va de soi outre-Manche que chacun doit acquitter le coût de fonctionnement du transport. Peut-on aller jusque-là ? Non, quand on sait que cela veut dire pour le Grand Londres – pour autant que les données soient comparables – l’équivalent d’un passe Navigo toutes zones s’élève à 415 euros…
Outre un relèvement de la part acquittée, une piste à la faveur des économistes conviés par la présidente du Stif : faire en sorte que chacun paye selon le service utilisé. Une « tarification différenciée où les usagers voyageant aux heures de pointe paient des prix plus élevés que ceux voyageant aux heures creuses » leur semble la stratégie « la plus socialement désirable », selon Philippe Gagnepain (Paris School of Economics) et Marc Ivaldi (Toulouse School of Economics). A défaut, il faudrait revenir à une tarification zonale, établissant un lien entre tarif et distance. Les technologies nouvelles permettent facilement de modulations plus subtiles, grâce à des systèmes de check-in check-out. Précisons qu’il y a une dizaine d’années, déjà, un dirigeant de Thales déclarait que les systèmes vendus par le groupe au Danemark ou aux Pays-Bas permettraient aux autorités organisatrices et aux transporteurs de mettre un terme à leur hantise : l’abonnement mensuel.
Toutes les recettes évoquées ne vont pas passer comme lettre à la poste. Jacques Baudrier, conseiller régional communiste, récuse un raisonnement économique qui ne parle que du coût du transport public sans mettre en regard les coûts de pollution ou de congestion que le transport public épargne. Un président d’association a averti : bonne chance à ceux qui voudraient infliger à nouveau aux habitants de la grande couronne la double peine, d’un service moins performant et d’une tarification plus élevée.
Cela dit, il y a aussi d’autres solutions que de faire payer l’usager. On évoque encore le retour au taux de TVA de 5,5 %. Gilles Carrez qui connaît bien Bercy, n’y croit pas une seconde. Pas plus qu’il ne croit au transfert d’une part de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) des départements exsangues à la région. La plupart des intervenants ont déploré l’abandon par le gouvernement de l’écotaxe poids lourd. Le conseil régional a d’ailleurs voté le principe d’une telle taxe pour les poids lourds en transit. Marc Pélissier, président de l’AUT-Ile-de-France, favorable à une telle mesure, considère de plus qu’il serait raisonnable d’abandonner certains tronçons du Grand Paris Express. Et il va de soi, selon les économistes présents, qu’une nouvelle approche tarifaire doit être abordée « simultanément avec une réflexion sur la taxation des véhicules privés ».
Quelle que soit la solution, ou plutôt les solutions, ce qui semble sûr, c’est que la tarification actuelle va devoir être refondue. Pas seulement dans ses montants. Dans sa structure.
F. D.