Le compte à rebours a commencé. La date de la reprise ayant été annoncée au 11 mai, un travail intense s’est mis en place pour tenir les délais. L’Union des transports publics (UTP) est étroitement associée à la réflexion ainsi que la SNCF et la RATP, au cours de réunions régulières, organisées trois fois par semaine au ministère des Transports.
Cette semaine, les pouvoirs publics devraient décider des mesures d’hygiène à mettre en place après discussions avec les membres de l’UTP. Puis les trois semaines suivantes seront consacrées à la préparation de la mise en œuvre et aux achats à réaliser.
Eventuellement des masques « maison » en attendant des masques grand public
Avec en moyenne 20 à 30 % de service durant cette période de confinement, les transports publics ont garanti la continuité du service public, estiment les opérateurs. « Les transports publics ont complètement joué leur rôle de service essentiel. Mais il faut bien comprendre que la reprise ne se fera pas en un claquement de doigts », rappelle Frédéric Baverez, le directeur exécutif France de Keolis.
La question du port de masque est centrale. « Dans les transports publics, il est impossible de respecter la distance d’1 mètre à 1,5 mètre. Il faudra nécessairement recourir à des masques, éventuellement à des masques faits maison en attendant des masques grand public », explique à VRT Thierry Mallet, le président de l’UTP, également PDG de Transdev.
Il faut aussi décider des dispositifs à installer : faut-il des protections physiques pour les conducteurs ? Distribuer du gel hydroalcoolique aux agents mais aussi aux voyageurs ? Comment renforcer la désinfection des véhicules ?
Même avec le port du masque obligatoire, il faut se poser la question de la densité acceptable dans les transports collectifs : maximale ou intermédiaire ?
« La question de la densité d’usagers dans les transports est très importante. Pour faire respecter une certaine densité dans nos transports, il faut faire en sorte que les flux soient lissés et pour cela demander aux entreprises de décaler leurs heures de démarrage et de sortie », explique Thierry Mallet. Les pouvoirs publics devront également demander aux entreprises de continuer à recourir autant que possible au télétravail.
Un contrôle social collectif sans doute nécessaire
Dans les transports, les opérateurs pourraient installer des stickers au sol pour rappeler le nombre de personnes maximal autorisé à bord. Les opérateurs s’intéressent aussi à tout ce qui se fait dans les pays qui sont « en avance » sur la France. A Singapour, par exemple, on met un autocollant sur un siège sur deux pour en interdire l’usage.
Mais comment contrôler le respect de ces règles ? « Il y aura forcément besoin d’un peu de contrôle social collectif, de collaboratif », répond Thierry Mallet. « Nous ne voulons pas que le contrôle du port du masque repose sur les opérateurs », affirme de son côté Frédéric Baverez.
Au-delà de la reprise, d’autres enjeux entrent en ligne de compte. L’activité des opérateurs de transport public va être durablement affectée. Leurs recettes, qui sont quasiment passées à zéro durant la crise, devraient encore rester très faibles un bon moment en raison d’une reprise probablement très progressive. Thierry Mallet s’attend à une remontée du nombre de passagers de 30 % à 40 % dans un premier temps.
Ce nombre très réduit de passagers s’expliquera non seulement par la poursuite du télétravail mais aussi parce que les déplacements devraient principalement concerner les trajets domicile-travail et très peu les loisirs. Enfin, on s’attend à un report modal en faveur de la voiture et du vélo. « En Chine, les premiers jours de reprise, la part modale de la voiture a été multipliée par 2, celle du vélo par 3 et celle du transport public a été divisée par deux », rappelle le président de l’UTP.
Les opérateurs ne devraient pas non plus proposer tout de suite une offre revenue à 100 % car le taux d’absentéisme devrait continuer à être important, entre arrêts maladie, gardes d’enfants et droits de retrait.
Pour ne pas se retrouver avec des rames ou des véhicules bondés, l’UTP estime qu’il faudra adapter les offres de transport au cas par cas et en temps réel, et en les renforçant sur les trajets longs. Pour les déplacements courts, il faudra encourager la marche et le vélo.
« Il ne faut pas chercher à édicter des règles générales mais gérer les situations au niveau local », estime également Frédéric Baverez. Selon lui, « il faudra de deux à trois semaines pour reconstruire les plans de transports. Il y a aura beaucoup de contraintes à prendre en compte et de nombreux échanges à prévoir avec les autorités organisatrices des transports ».
En Ile-de-France où 5 millions de personnes utilisent quotidiennement les transports en commun (mais 500 000 pendant la période de confinement), la présidente de la région s’attend à une offre de transport limitée à 50 % du niveau habituel dans un premier temps. Valérie Pécresse, également présidente d’Ile-de-France Mobilités, a indiqué au Parisien du 17 avril avoir toutefois demandé « un service renforcé au-delà de 50 % pour les lignes les plus chargées ».
Un appel à l’aide de l’Etat ou de l’Europe
Enfin, puisque cette crise va durer longtemps, il faudra aussi et surtout redonner confiance. Tant du côté des usagers que du côté des opérateurs et des autorités organisatrices. L’UTP souhaite jouer la transparence sur les coûts des opérateurs qui ont tous enregistré des pertes en assurant un service de l’ordre de 20 à 30 % du service habituel. Leurs recettes passagers qui sont déjà faibles en temps habituels (elles représentent 30 % du total en moyenne) avec des taux de marge très faibles, souvent inférieurs à 1 %, se sont écroulées pendant la crise avec une chute de la fréquentation de l’ordre de 90 %. D’autant que ce sont souvent ajoutées des mesures de réductions tarifaires, voire de gratuité. Tout semble indiquer que les recettes devraient rester durablement orientées à la baisse. « Nous avons décidé que tous les réseaux devaient évaluer leurs coûts de façon transparente, en tenant compte des baisses des recettes et des surcoûts liés aux mesures de protection sanitaire, et en soustrayant les économies réalisées avec le recours au chômage partiel », précise Thierry Mallet. Or, les coûts fixes des transports restent élevés, même quand ils ne fonctionnent pas ou peu.
Les négociations qui vont s’ouvrir avec les collectivités locales sont donc cruciales. L’Etat devrait aussi entrer au centre du jeu car, avec la crise économique, les collectivités voient également leurs rentrées d’argent se tasser (versement-mobilité, TICPE…) L’UTP réclame donc une aide de l’Etat, voire une aide européenne, à l’image de ce qu’ont fait plusieurs pays, comme les Etats-Unis qui ont décidé d’un plan de soutien de 25 milliards de dollars en faveur des transports publics.
Marie-Hélène Poingt