Les hauts quais de la NAT
Mis à jour le 23 mai 2017
Le Stif s’apprête à rehausser les quais de 71 gares d’Ile-de-France, pour les rendre accessibles au nouveau train à plancher haut. «Le tabouret est trop loin du piano ? Aucun problème, on va rapprocher le piano. » Ce trait d’esprit de l’un des dirigeants du Stif résume le profond malaise partagé par beaucoup de ceux qui travaillent en vue du déploiement de la nouvelle automotrice Transilien (Nat ou Francilien) en Ile-de-France. La NAT a été commandée avec un plancher haut (970 mm) pour desservir les gares du Transilien, qui sont à 85 % des gares à quai bas (le plus souvent à 550 mm). Pour assurer une bonne accessibilité, de plain-pied, comme l’exige la loi de 2005, il va par conséquent falloir rehausser la plupart des quais d’Ile-de-France. Il faudra ensuite revoir les accès aux quais depuis la voirie, en passant par la gare. Car à partir du moment où l’on intervient sur les quais, c’est l’engrenage : tout doit être mis en conformité par rapport à la législation sur les PMR. Si l’on rehausse les quais, il va donc falloir créer des rampes d’accès, revoir les accès souterrains, déplacer les ascenseurs, les passerelles.
Une cascade de travaux et, au final, une addition colossale. Dans une première étude sur le seul réseau de 108 gares concernées par les 172 premières NAT (lignes Paris-Nord-Ouest, Paris-Saint-Lazare et Paris-Est), le coût estimé d’un rehaussement de 71 gares s’élèverait à 470 millions d’euros, à quoi s’ajoutent les coûts de mise en accessibilité de 81 gares pour 215 millions d’euros. Pour relever les quais de l’ensemble des 254 gares du réseau de référence de l’Ile-de-France, le coût des travaux pourrait dépasser allègrement les deux milliards d’euros.
Cette affaire agace beaucoup les élus. « C’est une aberration », a déclaré le président du groupe UMP à la région Ile-de-France, Roger Karoutchi. « Nous avons découvert cette histoire des quais après l’appel d’offres. Nous sommes très mécontents, c’est tout de même un demi-milliard de travaux. Je ne comprends pas que l’on mette autant d’argent sur ce sujet et pas un sou pour les non-voyants. Ceux qui ont choisi le Francilien, ils ne sont pas finauds », assène pour sa part le Vert Jean-Pierre Girault, président de la commission transports à la région Ile-de-France. Le Stif se serait-il trompé de hauteur de quais en rédigeant sa commande ? Pas du tout, c’est après mûre réflexion que le cahier des charges de la NAT a été établi, nous a expliqué Serge Méry, le vice-président transport de la région Ile-de-France : « A notre arrivée en 1998, nous avons constaté qu’il existait cinq hauteurs de quai différentes, héritage de la création de la SNCF à partir de la fusion de six différents réseaux en 1938. Cela posait problème, nous avons donc décidé d’essayer de faire en sorte que tous les quais d’Ile-de-France se retrouvent à une hauteur de 920 mm. C’est peut-être utopique, mais si l’on avait déjà plus que deux hauteurs de quai, l’une pour les trains, l’autre pour les RER, ce serait formidable. »
Cette hauteur optimale de 920 mm pour les quais et de 970 mm pour les trains neufs (la marge de 50 mm permettant que, malgré l’usure des roues et le poids de son chargement, le train affleure légèrement au-dessus du quai) avait été définie pour les trains en Ile-de-France au début des années 90 par un rapport des Ponts et chaussées. La région a décidé de prendre cette étude et les conseils de la SNCF pour argent comptant et de lancer cette titanesque réforme des quais : « Il fallait commencer à faire quelque chose. L’accessibilité va coûter cher, c’est-à-dire 2 milliards d’euros à la région et au Stif. C’est programmé dans le plan de mobilisation, il nous reste à obtenir la décision du président de la République », indique Serge Méry.
Le Stif travaille en ce moment sur un schéma directeur d’accessibilité (SDA) pour les 254 gares de son réseau de référence. Selon RFF, le Stif rendra accessibles aux PMR la moitié des gares à échéance 2015. En attendant, une véritable course de vitesse s’engage pour accueillir la NAT. Et la SNCF accélère la cadence de livraison de son nouveau train, alors que très peu de quais sont aujourd’hui prêts à le recevoir. « En choisissant la hauteur de 970 mm pour la NAT, on n’a pas mesuré l’impact que cela pourrait avoir sur les quais. On nous a associés tardivement aux choix techniques, et aujourd’hui on nous dit que l’infrastructure doit s’adapter. Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce choix du quai haut, mais cela a un coût et cela implique des délais », ronchonne le directeur régional Ile-de-France de RFF, Bernard Chaineaux.
Pour éviter que la grande fête de l’inauguration de la NAT, prévue fin 2009, ne soit gâchée par une infrastructure inadaptée, RFF a lancé 18 millions de travaux sur la ligne H afin que la NAT équipée de sa marche mobile provisoire puisse circuler. Des travaux qui, trafic oblige, se font de manière très improductive : la nuit et par petites tranches. RFF va poser des balises à l’entrée des gares pour que le nouveau train des Franciliens puisse distinguer une gare à quai haut d’une autre à quai bas et entreprenne de déployer, ou pas, sa marche mobile. Le système provisoire de marche mobile impose en outre de « raboter » les quais qui sont supérieurs à 550 mm. Pas vraiment productif quand on sait que ces quais seront par la suite rehaussés. En vue de l’inauguration de la fin 2009, RFF a par ailleurs engagé 20 millions d’euros de travaux, définitifs ceux-là, pour mettre quatre gares (Paris-Nord, Luzarches, Groslay et Bouffémont-Moisselles) à quai haut. D’autres travaux suivront sur une liste de gares de la ligne H d’ici à 2012, 24 gares doivent être rehaussées, notamment la gare de Saint-Denis dont la mise à niveau coûtera, à elle seule, 48 millions d’euros.
Et puis, il y a les lignes P, J et L, qui doivent accueillir la NAT entre 2010 et 2012. Pour elles, les équipes de RFF préparent également un calendrier des travaux. Avec de nombreux arbitrages à prendre, car lorsque l’on passe une gare en 920 mm, il n’est plus possible d’accueillir les trains de 600 mm. Que fera-t-on des matériels inadaptés ? A court et à moyen termes, dans toutes les gares non équipées, il faudra par ailleurs mettre en place des solutions alternatives d’assistance à la personne. Pour que les handicapés ne soient pas forcés d’attendre le terminus pour descendre du Francilien.
Mais, au fait, n’aurait-il pas été plus judicieux de déplacer le tabouret plutôt que le piano ? « Cette remarque est imbécile, balaye Serge Méry, de toute façon, quelle que soit la hauteur des quais, il aurait fallu les adapter. Avec la loi sur l’accessibilité, nous devions de toutes les manières trouver des solutions dans les dix ans. L’Etat nous a fait un beau cadeau. »
Guillaume LEBORGNE