Un chercheur et un dirigeant, Jean-Pierre Orfeuil et Yann Leriche, scrutent dans un ouvrage commun l’usage à venir du véhicule autonome. Le premier des deux auteurs, urbaniste et spécialiste des mobilités urbaines, est un pilier de L’institut pour la ville en mouvement. Le second dirige les activités Amérique du Nord et Véhicule autonome de Transdev.
Tous deux s’affranchissent d’un credo largement partagé. Celui d’une voiture autonome disponible au plus tôt et faisant d’un coup de baguette magique s’évanouir les tracas de la mobilité. Price Waterhouse Coopers estimait l’an dernier qu’en 2030, les véhicules électriques représenteront 30 % des ventes totales… En somme, s’étonnent deux auteurs, « le nouveau monde, c’est pour dans dix ans ! ».
De plus, pointent-ils, si l’on attend de ce véhicule des miracles, ces miracles ne sont pas les mêmes : le modèle de Serguei Brin, cofondateur de Google, selon lequel « on appellera une voiture que l’on partagera éventuellement avec d’autres », est à l’inverse d’Elon Musk, où « chacun appellera sa voiture qui pourra également aller chercher toute seule une pizza ». Les cités imaginaires ne se ressemblent pas. Et sont peut-être des mirages. Car, un constat s’impose aujourd’hui, la fameuse disruption technique est loin d’être aussi aboutie qu’on a bien voulu le croire.
De quoi inviter, en cette phase de relative désillusion technique, à « prendre (un peu) son temps et beaucoup de recul ». Orfeuil et Leriche, allant de façon salutaire « à rebours de l’idéologie actuelle » rappellent « qu’aucun objet technologique ne peut être appréhendé sans considérer qu’il est aussi et sans doute un objet social avant même sa mise en service ».
Leur ouvrage passe le véhicule autonome au crible de « Trust », acronyme qui compose cinq dimensions ; technologie, règles, usages, services et systèmes, territoire. Au terme de l’analyse, Orfeuil et Leriche proposent de s’en tenir, au vu des technologies, à une « autonomie conditionnée aux circonstances ». Ils soulignent la responsabilité des acteurs territoriaux dans l’invention des usages, qui pourront faire du véhicule autonome la meilleure ou la pire des choses. « Les désillusions liées à l’automobile, rappellent-ils, sont, pour partie, liées au fait qu’elle pollue et embouteille mais sans doute plus fondamentalement au fait que la diffusion de son usage a transformé les territoires, au point que le discours sur l’automobile a progressivement glissé du registre de l’ouverture des possibles au registre de l’obligation de l’utilisation. »
F.D.