Dans notre dernière lettre confidentielle, nous avions rapporté des propos de Laurent Probst, directeur général d’Ile-de-France Mobilités, devant l’Association des usagers des transports d’Ile-de-France. Propos invitant à un renversement des objectifs que s’est fixés la RATP pour 2025. De 80 % de bus électriques et 20 % de bus au gaz, faudrait-il passer à 20 % de bus électriques et 80 % de bus au gaz ? Si cette inversion des proportions n’est pas du tout à prendre au pied de la lettre et tient de la boutade, elle témoigne d’un questionnement. Laurent Probst poursuit le débat pour Ville Rail & Transports, et précise la stratégie de l’autorité organisatrice en faveur des « bus écologiques ». Sujet qui comprend les bus électriques et ne s’y limite pas.
VR&T. Où en est-on aujourd’hui du déploiement des bus propres ?
Laurent Probst. Début 2016, quand nous sommes arrivés [la nouvelle direction du Stif dans la foulée du changement de majorité, NDLR], nous nous sommes rendu compte que le sujet des bus écologiques en Ile-de-France était assez peu avancé. Le seul moyen qu’avait déployé la majorité précédente, qui semblait à ses yeux une bonne solution, c’était le bus hybride. Début 2016, on assistait donc au début d’un déploiement massif des bus hybrides. Mais on en était presque à zéro pour le bus électrique comme — et c’est étrange alors que cette technologie est mûre — pour le bus au GNV.
En juin 2016, a commencé l’équipement de la ligne 341 en bus électriques. Cette ligne est 100 % électrique depuis le début 2017. En même temps, a eu lieu l’expérimentation d’autres bus électriques par la RATP. Nous avons pu commencer à faire une analyse de chacune des technologies.
VR&T. Quel constat faites-vous, sur la base de cette première expérience ?
Laurent Probst. Le constat que nous faisons, c’est que les bus électriques sont très chers. Va-t-on réussir à faire baisser le prix ? Nous parions, pour cela, sur les appels d’offre massifs. En fin d’année, nous allons lancer un appel d’offres pour 200 véhicules avec la RATP et un autre, pour 450 véhicules destinés à la Grande couronne, pour lequel Ile-de-France Mobilités s’est associé à la Centrale d’achat du transport public. Les bus de la RATP seront des bus électriques, les bus Optile de Grande couronne seront pour l’essentiel des bus électriques et des bus au gaz. La répartition exacte n’est pas fixée, mais ce sera entre 30 % et 50 % pour chacun des deux principaux modes.
VR&T. On dit que le mode électrique est plus intéressant en termes de possession. Qu’en est-il ?
Laurent Probst. C’est intéressant en termes de maintenance et de carburant. Mais il y a la question des batteries. Aujourd’hui, l’acquisition d’un bus électrique coûte 580 000 euros. Plus de la moitié du coût vient de la batterie. Or, les batteries durent 6 à 7 ans, et il faut les remplacer à mi-vie du bus. Tant qu’on n’aura pas trouvé une solution pour les batteries, nous serons face à un problème économique. La question, c’est la durée de vie des batteries, mais c’est aussi leur autonomie. Les 180 km d’autonomie dont nous disposons aujourd’hui conviennent à Paris. Mais, hors Paris, il faudrait beaucoup plus. Ajoutons à cela la climatisation, qui « pompe » beaucoup d’énergie.
VR&T. Craignez-vous une impasse technologique ?
Laurent Probst. Au contraire, nous faisons le pari de la technologie électrique. Aujourd’hui sur la ligne 341, 23 bus Bolloré ont été livrés et, avec la RATP, nous allons en recevoir une vingtaine de plus pour les lignes 115 et 126, permettant les recharges au terminus : sur une ligne par prise, sur l’autre par pantographe inversé . Nous allons également recevoir une dizaine de bus avec Transdev sur le réseau d’Argenteuil, et nous faisons une expérimentation sur le réseau de Versailles avec Keolis. Ensuite, un appel d’offres a été lancé par la RATP, pour 40 millions d’euros, sur environ 80 bus, qui va être attribué à la fin de l’année . Au second semestre également, nous allons commencer l’expérimentation de bus articulés électriques. Fin 2017, comme je vous le disais, nous lançons les premiers grands appels d’offre. L’électrique, on y croit, mais il doit faire ses preuves.
VR&T. Ne fait-il pas ses preuves en Chine ?
Laurent Probst. Les Chinois ont une longueur d’avance. Et le risque, c’est d’acheter chinois. Ou de faire comme aux Pays-Pas, où Ebusco est un faux nez d’une entreprise chinoise. BYD est venu me voir : ce constructeur cherche une usine en France pour assurer l’assemblage des bus, mais le moteur, la chaîne de traction, les batteries viendront de Chine. Et Yutong est dans cette même stratégie. Certes, il vaut mieux que l’assemblage se fasse en France plutôt qu’en Chine, mais notre apport est assez limité… Cela dit, nous avons des exigences différentes de celles des Chinois.
VR&T. Quid des autres technologies ?
Laurent Probst. Nous croyons aussi beaucoup à d’autres technologies. Notamment le bus au gaz, qui est produit par les industriels européens, qui ne pollue pas et n’a pas d’effet sur le CO2, si l’on recourt au biogaz. Nous voulons qu’on accélère le déploiement.
VR&T. Que donne la comparaison des diverses technologies, en termes de coût d’acquisition et de coût de possession ?
Laurent Probst. Le bus diesel revient à 230 000 euros l’acquisition, à 500 000 euros en possession sur 15 ans.
Le bus au gaz, entre 260 000 et 300 000 euros l’acquisition, à 700 000 euros en possession sur 15 ans, y compris l’adaptation des dépôts.
Le bus hybride, respectivement 400 000 euros et 900 000 euros, pour seulement 10 à 20 % d’émission en moins qu’un bus diesel..
Le bus électrique, à 580 000 euros l’acquisition. Du fait du manque de retour d’expérience, il y a une grande incertitude sur le coût de possession. Pour en savoir plus, au niveau européen, la Commission contribue au financement du programme ZeEUS, précisément afin d’avoir un retour d’expérience. Aujourd’hui, on estime que le coût de possession s’établit entre 1 million et 1,5 million sur 15 ans.
VR&T. Compte-tenu des ces constats, que préconisez-vous ?
Laurent Probst. Nous disons aux opérateurs qu’il faut arrêter d’acheter le plus vite possible les bus diesel ou et même les bus hybrides. Ile-de-France Mobilités travaille avec eux pour qu’ils puissent dès que possible acheter des bus au gaz au lieu de bus polluants, et Ile-de-FranceFrance Mobilités financera l’adaptation des dépôts. Ceci s’inscrit dans une stratégie globale alors que, début 2016, il n’y avait aucun objectif à long terme. Le seul objectif fixé par le Syndicat des transports en Ile-de-France, c’était une délibération de 2013, qui demandait l’achat de bus hybrides partout à Paris et en petite couronne, et seulement sur 20 lignes en grande couronne.
La nouvelle stratégie d’Ile-de-France Mobilités, arrêtée au conseil de décembre 2016, c’est de viser 100 % de bus écologiques dans la zone dense d’Ile-de-France en 2025. C’est un objectif clair, et inédit.
C’est vrai qu’avant cette date, il y avait eu l’annonce du plan bus 2025 de la RATP, qui prévoit 100% de bus écologique en 2025, avec une répartition 80% électrique, 20% gaz. Cet objectif ne concerne que le réseau RATP. Il est compatible avec notre stratégie et nous ne remettons pas en cause ce plan de la RATP. Son succès ne dépend que de la capacité de la RATP à mener à bien la transition énergétique de ses dépôts et de la capacité des industriels à faire baisser le coût du bus électrique. Mais, in fine, son objectif de 80 % de bus électriques en 2025 ne peut pas être transposé sur toute l’Ile-de-France, et la technologie au gaz répondra mieux aux besoins d’autonomie d’un grand nombre de lignes de banlieue.
VR&T. Comment arriver à 100 % de bus écologiques dans la zone dense d’Ile-de-France en 2025?
Laurent Probst. Cela va représenter un effort considérable. Dans la zone dense de l’Ile-de-France, le parc s’élève à environ 7000 bus. 3 % de ces bus étaient écologiques en 2016. C’est faisable, si on y va à fond.
VR&T. Il n’y a pas que le bus électrique ou le GNV…
Laurent Probst. Nous regardons d’autres technologies. Comme l’hydrogène. A Versailles Grand Parc, nous sommes en train d’acheter deux bus. Mais chaque bus coûte un million d’euros.
Il y a deux autres technologies que nous regardons. L’une, c’est l’éthanol, jusqu’à présent produit à base de betteraves. Certains écologistes y sont défavorables, jugeant que les terres agricoles doivent être réservées à l’agro-alimentaire. Mais on sait maintenant produire l’éthanol avec des résidus agricoles. Il reste un inconvénient, c’est l’émission de particules. Mais on peut l’utiliser, hors zone dense, quand il n’y a pas de sujet de pollution locale.
L’autre technologie en développement, c’est le GTL, le Gas-To-Liquid, qui fonctionne avec un moteur assez simple. Si ça marche, c’est très intéressant, parce qu’il n’y a ni particule, ni CO2 non plus si on utilise du gaz de type biogaz.
Tout cela s’inscrit dans une vraie stratégie réaliste, et des vraies orientations. Nous avançons, nous regardons, sur la centaine de dépôts d’Ile-de- France, quels dépôts nous devons adapter et comment le faire, et nous allons affiner notre stratégie.
Propos recueillis par François Dumont