Pourquoi Keolis a gagné
21 Mar 2014
Mis à jour le 23 mai 2017
C’est le montant de l’offre de Keolis qui aurait fait la différence, selon son rival. Un écart de 25 millions de dollars possible grâce à des marges bénéficiaires qui seraient bien plus faibles. Le 8 janvier, les responsables des transports de l’Etat américain du Massachusetts ont retenu Keolis commuter Services, une coentreprise réunissant le groupe Keolis (60 %) et SNCF (40 %), pour exploiter les trains de banlieue de Boston. A l’unanimité, les six membres du conseil ont entériné le choix du Massachusetts Bay Transit Authority (MBTA), qui leur proposait de choisir Keolis pour remplacer The Massachusetts Bay Commuter Railroad Company (MBCR), une filiale de Transdev (Veolia Transportation, Bombardier et Alternate Concepts Inc.) qui gérait ces trains de navetteurs depuis 2003.
Keolis s’engage à transporter 36 millions de passagers par an sur les 13 lignes du réseau, soit 1 000 km de lignes et 134 gares à desservir. Ce contrat de huit ans représente un total de 2,64 milliards, qui pourra être prolongé de deux fois deux années, soit un total de 4,3 milliards, à l’issue des douze années.
Aux Etats-Unis, les responsables de MBCR, la filiale de Transdev à 60 %, se sont étonnés des déclarations de la directrice générale du MBTA, Beverly A. Scott, qui avait annoncé dans la presse américaine, dès le 4 janvier, qu’elle proposerait Keolis au conseil des transports de l’Etat chargé de choisir le nouvel opérateur. Pour expliquer les raisons de son choix, en faveur de Keolis, la directrice générale a précisé que l’offre de Keolis était inférieure de 25 millions de dollars, comme le rapporte Transdev. Si Jean-Pierre Farandou, le président du Groupe Keolis, ne peut évidemment pas confirmer le chiffre, puisqu’il ne connaît pas l’offre de Transdev, il rappelle que Transdev a remporté le marché des bus de Melbourne en faisant une offre inférieure de 6 % à celle de Keolis. Pourtant « une grande partie de la différence entre les deux offres provenait d’une baisse des bénéfices », a expliqué Beverly Scott, dans le journal Boston Globe. « La marge bénéficiaire estimée de Keolis a été de 77 % de moins que son rival, réalisés dans le cadre d'une promesse de payer des salaires plus bas pour les postes administratifs. »
Mais Jean-Pierre Farandou assure : « nous avons appliqué les mêmes marges bénéficiaires sur ce contrat que sur les autres. Et le contrat n’impose aucun investissement. » Et d’insister plutôt sur la sélection. « Nous avons obtenu une note de 4 sur 5 sur les critères de qualité de service, soit 20 points de mieux sur 100 que notre concurrent », poursuit le président du groupe, remportant un « good » comme note globale à son dossier alors que le MBCR, n’a obtenu qu’un « acceptable », selon le Boston Globe. Il semble que Transdev ait pâti d’une baisse de qualité de service, notamment au cours de l’hiver 2010-2011, particulièrement mauvais, et de locomotives vieillissantes, même si le service s’est depuis largement amélioré. « MBCR connaît une ponctualité de 95 %, une satisfaction client de 88 %, et a été nommé meilleur opérateur ferroviaire en matière de sécurité, selon les autorités américaines », relaie Transdev. Pourtant, la fréquentation des trains a baissé de 10 % en dix années de services, alors que celle du réseau de bus de Boston a augmenté de 17 % dans le même temps et de 15 % dans le reste du pays.
Dans le nouveau contrat, le taux de régularité aurait été rehaussé à 99 %, selon nos informations, sans bonus lié à cet objectif. Un contrat aussi exigeant, augure donc des malus pour Keolis, selon ses concurrents.
« En fin de compte, dans le nouveau contrat, incitations et compensations ont été éliminées », a déclaré Beverly Scott, du MBTA, au Boston Globe. « Le contrat prévoit des pénalités plus fortes pour un service médiocre, 12 millions de dollars par an contre 3 millions de dollars auparavant. A titre de comparaison, et même si les termes contractuels ont changé, Transdev aurait perdu 8 millions d’euros par an, avec son taux de régularité à 95 % », dévoile une source proche du dossier.
Par ailleurs, Keolis a dépensé plus de 400 000 dollars en trois ans en lobbying. Moins aisé financièrement, le sortant aurait pour sa part usé de coups bas, ne se gênant pas pour remettre sur la sellette le rôle controversé de la SNCF dans la déportation des juifs.
Il reste encore, à Transdev, l’arme du recours contentieux. Dès les premières fuites du résultat dans la presse locale, le 4 janvier, MBCR déclarait : « Cette divulgation soulève de sérieuses questions sur la procédure telle qu’elle a été menée jusqu’ici. […] Dans les derniers jours d’un appel d’offres marathon de deux ans, il est normal qu’on jette toutes ses forces dans la bataille et tous les coups sont permis, analyse un proche du dossier. Il est probable que localement, les juristes étudient cette possibilité comme après chaque appel d’offres, mais pas certain que ce soit de l’intérêt de MCBR… » Un recours représente en effet encore des dépenses et en fonction du motif invoqué, il ne serait pas nécessairement suspensif.
Yann GOUBIN