La ligne nouvelle chinoise en service au Kenya
Presque huit mois après la ligne nouvelle de Djibouti à Addis-Abeba inaugurée en octobre dernier, l’ingénierie chinoise remplace un deuxième chemin de fer colonial africain à voie métrique par une voie normale. Cette fois, c’est au Kenya…
entre le port de Mombasa, sur l’océan indien, et la capitale Nairobi. Deux villes déjà reliées par une ligne à voie métrique construite par les Britanniques et les Indiens entre 1896 et 1901, dont les performances (capacité et vitesse) ne permettaient plus de transporter le fret en provenance du port.
Le 31 mai, le président kenyan Uhuru Kenyatta a officiellement ouvert la ligne nouvelle, logiquement nommée Standard Gauge Railway (SGR, soit « chemin de fer à voie normale »). Le chef d’Etat, en pleine campagne électorale, a emprunté à l’occasion le tout premier train de voyageurs Madaraka Express (Madaraka signifiant « autodétermination » en swahili), après avoir lancé, la veille, le train inaugural de fret.
Long de 472 km, le nouvel itinéraire entre les deux principales villes du Kenya est en grande partie parallèle au tracé de l’ancienne voie métrique du Chemin de fer Kenya-Ouganda. A voie unique, la ligne nouvelle est conçue selon les normes chinoises de catégorie 1, robustes et nécessitant un faible niveau de maintenance. Posée sur traverses béton, cette voie accepte une charge de 25 tonnes par essieu (soit plus que les 22,5 t/essieu du réseau classique français) et autorise le passage de trains de voyageurs jusqu’à 140 km/h (120 km/h en pratique) et des trains de fret jusqu’à 80 km/h.
De quoi permettre aux trains sans arrêt de relier Mombasa à Nairobi en quatre heures et demie (contre neuf heures en bus ou une douzaine d’heures par l’ancien Lunatic Express), pour un prix de 900 shillings (7,75 euros) en classe économique, soit légèrement moins que le bus, le billet en classe Business étant quant à lui trois fois plus cher. Deux types de Madaraka Express relient les nouvelles gares monumentales de Mombasa et Nairobi : les Intercity sans arrêt et le County Train desservant les sept gares intermédiaires de Mariakani, Miasenyi, Voi, Mtito Andei, Kibwezi, Emali et Athi River.
Côté fret, Kenya Railway Corp a déclaré que l’envoi d’un conteneur EVP entre Mombasa et Nairobi reviendrait à 50 000 shillings (429 euros) par le SGR, contre 90 000 shillings (775 euros) par la route, en huit heures maximum (soit un gain de temps pouvant atteindre 24 heures). Mais c’est surtout en capacité que le fret bénéficiera de gains colossaux, qui devraient permettre de décongestionner l’axe routier entre Mombasa et Nairobi.
La nouvelle voie ferrée entre ces deux villes est censée être le premier tronçon d’un nouveau réseau à voie normale couvrant également l’Ouganda, le Rwanda et le Sud-Soudan. En poursuivant au Kenya par la phase 2, entre Nairobi et Malaba, à la frontière ougandaise. Egalement confiés à CRBC, les travaux de la phase 2 ont été officiellement lancés en octobre dernier. Alors que côté ougandais, les 273 km jusqu’à Kampala ont été attribués à une autre entreprise chinoise, China Harbour Engineering, qui doit mener à bien les travaux d’ici la mi-2020.
Financée à 90 % par la Banque Exim de Chine et construit par China Road & Bridge Corporation (CRBC) entre fin 2014 (soit un an après le lancement symbolique des travaux) et début 2017, la ligne nouvelle Mombasa – Nairobi est revenue à 2,8 milliards d’euros. Même s’il est censé accélérer le développement du Kenya et créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois, cet investissement inquiète l’opposition politique et la Banque mondiale. Certains y voient aussi une mainmise de la Chine, qui souhaite ouvertement disposer ici d’une tête de pont pour accéder au cœur de l’Afrique. Une Chine devenue, le temps de la construction de la ligne nouvelle, le premier partenaire commercial du Kenya, détrônant l’Inde, partenaire privilégié de longue date. Quoi qu’il en soit, gare à ceux qui dégraderont le plus important projet d’infrastructure réalisé au Kenya depuis son indépendance, octroyée en 1963 : la BBC rapporte que le président Kenyatta ferait passer une loi condamnant à mort par pendaison toute personne se livrant à un acte de vandalisme sur la ligne nouvelle…
P.L.
Publié le 10/12/2024
Publié le 10/12/2024