L’urbanisation à marche forcée de la planète, le renouveau des villes autour du développement durable, autant d’occasions de se développer pour l’ingénierie, au-delà du seul transport. L’ingénierie française peut en profiter pour se consolider…?ou pour rejoindre des groupes internationaux.En témoignent la création d’Artelia, la fusion d’Egis et d’Iosis, l’acquisition de Ginger par Grontmij…?Sans oublier l’inusable feuilleton Systra, au dénouement sans cesse repoussé. C’est un feuilleton pas toujours bon, à coup sûr bien long, qui ne passionne pas les foules mais qui a ses fans. Quel avenir pour Systra ? Deux propositions occupent le devant de la scène. L’une de la SNCF. L’autre de la RATP. Jean-François Bénard a remis son rapport le 14 juillet, recommandant au gouvernement la solution RATP. Il a reçu au moins l’aval de Dominique Bussereau et de Jean-Louis Borloo, tandis que la SNCF comptait notamment sur l’instruction du dossier par l’APE (Agence des participations de l’Etat) pour rattraper son handicap. Ce qui est sûr, c’est que la décision imminente parfois annoncée dans la presse se fait attendre. A la RATP, on reconnaît que « les pouvoirs publics continuent de réfléchir et n’excluent pas d’autres scénarios ».
Rappelons en attendant les propositions formulées. Le 3 décembre 2009, selon le rapport Bénard, Guillaume Pepy proposait dans une lettre à Pierre Mongin que la SNCF apporte à Systra Inexia (80 millions d’euros de CA estimés en 2010), Arep (49 millions), SNCF-International (20 millions), la RATP apportant pour sa part Xelis (15 millions). Les apports de la SNCF étant nettement supérieurs à ceux de la RATP, la SNCF devenait ipso facto majoritaire dans le champion national ainsi créé, dont elle devenait l’actionnaire industriel de référence. La proposition a ensuite été amendée, mais, pour la RATP, cela revenait à toujours à se voir offrir, nous dit-on, « un strapontin ». La SNCF se dotait ainsi d’une ingénierie sur le marché de la ville et des transports urbains, correspondant grosso modo au volet Keolis de son activité.
La RATP a fait en mars 2010 une contre-proposition : elle achète les parts de la SNCF, apporte Xelis à Systra et s’allie à d’autres ingénieries françaises, à commencer par Setec, proposant, selon Jean-François Bénard, « une ingénierie pluridisciplinaire avec un accent mis sur la ville ». Proposition que l’on préfère résumer ainsi à la RATP : « La colonne vertébrale, c’est le transport urbain au service de la ville. »
La proposition de la SNCF a une force évidente. Elle permet de maintenir l’ensemble des activités de Systra (urbain et ferroviaire), tout en renforçant suffisamment le groupe pour atteindre rapidement une taille plus respectable sur le marché mondial. Une faiblesse : elle fait comme s’il n’y avait pas de problème majeur de gouvernance, et que la concurrence entre RATP et SNCF/Keolis pour l’exploitation de services de transport était indifférente à la question de l’ingénierie, bref, que les deux Epic pouvaient continuer à cohabiter…
La proposition de la RATP, beaucoup plus carrée sur la question du capital, règle franchement la question de gouvernance. Sa faiblesse : en faisant sortir la SNCF, on se prive de la majeure partie des compétences en ferroviaire et en grande vitesse. Certes, nous dit-on à la RATP, « nous n’avons jamais nié la double compétence (ferroviaire et urbain) de Systra ». D’où l’intérêt de Setec. Cependant, l’apport de Setec Ferroviaire ne peut évidemment pas compenser la défection de la SNCF. D’autant qu’on se prive aussi du savoir-faire de la SNCF comme exploitant, de l’interface exploitation/conception qui dans ses deux métiers, urbain et ferroviaire, fait la force de Systra par rapport à des groupes plus puissants.
La bataille de Systra est majeure et va bien au-delà du chiffre d’affaires du groupe d’ingénierie. Car avec 280 millions d’euros de CA en 2010, même portés à 320 selon la proposition RATP ou à plus de 400 selon celle de la SNCF, on n’atteint pas le seuil parfois avancé de 500 millions pour peser sur le marché mondial. L’affaire Systra est importante parce qu’il s’agit de la nouvelle empoignade entre ses deux groupes publics, RATP et SNCF, chacun comptant bien sur la force de prescription d’une ingénierie prestigieuse pour faire progresser l’ensemble de ses activités.
Ce lien exploitation/ingénierie est un modèle national, éminemment respectable, que pratiquent aussi, remarque-t-on à la RATP, MTR (Hong Kong) et le groupe Deutsche Bahn. Mais il peut être aussi un handicap sur certains marchés où l’on apprécie au contraire une ingénierie indépendante qui puisse prescrire des solutions ouvertes.
On ne peut de toute façon pas résumer la situation de l’ingénierie de transports ou de la ville à la bataille pour Systra. Egis, jusqu’à présent filiale à 100 % de la Caisse des dépôts, vient de franchir une étape décisive en fusionnant avec le privé Iosis, selon une formule combinant participation des cadres référents et actionnariat public. Leader de l’ingénierie de la construction, le groupe se place résolument sur le marché de la ville, en associant les infrastructures. On a vu aussi cette année Coteba et Sogreah fusionner dans Artelia, en centrant leur stratégie sur les métiers de la ville. On a vu cette année encore Ginger être repris par le néerlandais Grontmij et venir grossir aussi un groupe d’ingénierie centré lui aussi sur les métiers de la ville et de la construction.
En regardant l’ensemble de ces mouvements, un des acteurs regrette que les auditions de Jean-François Bénard se soient limitées à la « technostructure hexagonale », se dit surpris par l’approche franco-française de Systra, et juge qu’il est temps de penser européen plutôt que de délirer sur le champion franco-français…
Quoi qu’il en soit, les métiers de la ville sont en pleine explosion. C’était déjà un des sujets de prédilection de Jean-Paul Bailly quand il était président de la RATP. Et c’est la RATP qui, en mars 2010, a synthétisé ce mouvement dans une note que résume ainsi Jean-François Bénard : « En 2010, la proportion de personnes qui habitent dans des villes a dépassé 50 %. Selon l’ONU, elle devrait atteindre 60 % en 2030 et 70 % en 2050. Dans ces conditions, les besoins en infrastructures sont considérables. (…) Or, nombre de villes de plus de 500 000 habitants ne disposent d’aucun système lourd de transport. Ce serait le cas, selon la note, de 30 % des agglomérations aux Etats-Unis, de 75 % en Amérique latine, de 85 % en Asie (hors Japon) et de 95 % en Afrique. » C’est sur cet énorme marché que les groupes d’ingénierie privés, publics, franco-français, franco-européens sont en train de se concentrer, et de se consolider.
Il y a 8 années - Junjie Ling
Il y a 8 années - Junjie Ling
Il y a 9 années - Junjie Ling