Industrie ferroviaire : Alain Bocquet et Yanick Paternotte réclament un Airbus du rail
L’un est député communiste, l’autre, UMP. Tous deux ont présenté d’une même voix un rapport sur l’industrie ferroviaire qui met le doigt sur le défaut criant d’une Europe du rail. Et ils émettent sans attendre vingt-cinq propositions concrètes pour donner de la visibilité à une filière industrielle française dont les sous-traitants sont durement éprouvés par la mondialisation. «Tout le monde savait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait. » C’est en se référant à Churchill qu’Alain Bocquet (PCF), président de la commission d’enquête parlementaire sur la filière ferroviaire française, et Yanick Paternotte (UMP), rapporteur, ont appelé, en présentant leur rapport, le 15 juin, à la création d’un consortium ferroviaire européen. Impossible ? Les industriels l’ont dit aux députés. Nécessaire pourtant, répondent ceux-ci. Ils voient les pays émergents se doter d’industries ferroviaires exportatrices : aujourd’hui, la Chine, devenue, soulignent-ils, le leader mondial de la construction ferroviaire, et demain, pourquoi pas, l’Inde ou le Brésil ? L’Europe, cependant, reste techniquement et politiquement morcelée. La commission d’enquête s’est rendue à Bruxelles, où on l’a reçue « poliment ». Mais, déplore Yanick Paternotte, « il n’y a pas d’envie » de la part d’une Commission européenne qui a pensé à ouvrir ses marchés sans consolider son industrie. L’unification réglementaire et la standardisation de la sécurité ne progressent pas. Or, sans elles, il ne peut y avoir de massification de la production. De plus, alors que pour l’ensemble des marchés publics (tous secteurs confondus) l’Europe ouvre la porte à un chiffre d’affaires de 312 milliards d’euros, les Etats-Unis l’entrebâillent avec 34 milliards, et le Japon la laisse quasiment close avec 22 milliards. Une situation particulièrement grave dans le ferroviaire. « Nos entreprises, relèvent les députés en tête de leur rapport, risquent de devenir d’autant plus vulnérables que l’Union européenne a trop largement ouvert ses marchés, sans exigence de réciprocité réelle vis-à-vis de certains pays tiers, qui, eux, conservent une priorité quasi absolue sur chacun de leur marché domestique. » L’argument de la réciprocité était jusqu’à présent tabou dans le langage communautaire. Sur ce point, on sent enfin, relève Alain Bocquet, un frémissement tout récent.
Les députés ne s’en tiennent pas à cet appel à l’Union européenne. Leur rapport avance vingt-cinq propositions à court ou à moyen terme (entre six et dix-huit mois), avec un maître mot : visibilité. Sans visibilité, les constructeurs souffrent et les sous-traitants meurent. Aussi demandent-ils à la SNCF, « mère poule ayant abandonné ses petits poussins », d’être à la hauteur du pilotage de fait qu’elle exerce encore sur la filière ferroviaire, en donnant d’ici six mois des perspectives sur ses prochaines commandes au cours des cinq prochaines années. Une SNCF qui de son côté se plaint régulièrement de manquer de visibilité sur des éléments constitutifs de ses activités, comme l’évolution des péages…
La Fédération des industries ferroviaires se dit très satisfaite des conclusions de la commission d’enquête. Son communiqué du 17 juin appuie notamment la demande « d’une perspective claire des investissements à moyen terme des grands donneurs d’ordres, au premier rang desquels la SNCF (proposition 1) », et approuve l’organisation d’un « forum annuel sur les perspectives des marchés ferroviaires (proposition 17) ». Elle soutient la création d’un fonds de modernisation des équipementiers ferroviaires (proposition 12) et la mise en place de clusters (proposition 10). Enfin, la FIF approuve l’exigence d’un cadre réglementaire favorisant, d’une part, la construction d’une Europe ferroviaire harmonisée, d’autre part, la mise en œuvre de modes de financement au service de l’innovation. Mais cette harmonisation et cette innovation peuvent-elles aller jusqu’à la création de « l’Airbus du rail » que souhaite la commission d’enquête ?
F.D.
Publié le 10/12/2024