Rencontre après les Assises : la gouvernance n’en finit plus de faire débat
A l’initiative de Ville, Rail & Transports, et dans le cadre de la manifestation Transrail Connection 2012, une conférence-débat a réuni des acteurs majeurs du transport. Il s’agissait de faire le bilan des Assises du ferroviaire, clôturées en décembre dernier. La question de la gouvernance a dominé les débats, alors que l’ouverture à la concurrence met la pression sur le secteur. Animée par Gilles Savary, le président de la commission Europe des Assises, la conférence-débat post-Assises du ferroviaire avait un objectif : tirer les enseignements des différentes commissions, et revenir sur les thèmes qui y ont été abordés. « En quoi le secteur ferroviaire doit-il être réformé selon vous ? », a commencé par demander Gilles Savary aux participants à la table ronde. Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail a répondu sans ambages : « Le système ne fonctionne pas. Le niveau de travaux a bon dos, mais la vérité c’est que nous n’arrivons plus à faire circuler correctement des trains », a-t-il déploré, avant de rappeler : « Nous sommes censés disposer de sillons deux mois à l’avance, mais depuis quelque temps, il s’agit seulement d’une dizaine de jours. »
David Azéma, directeur général délégué du groupe SNCF, s’est fait un plaisir « d’abonder dans son sens ». Avant d’ajouter : « Les Assises ont ouvert avec quatre thèmes les raisons du dysfonctionnement. Il va falloir remettre le système à plat, et je pense qu’on peut y arriver en 4 ou 5 ans. Il faut se préparer à un travail de longue haleine et changer notre rapport au temps. »
Jean-Yves Petit, représentant de l’Association des régions de France (ARF), et délégué Transports de la région Paca, a lui aussi fustigé la façon dont les choses se déroulent actuellement. « La réactivité de notre système est quasi nulle et entraîne des surcoûts qui retombent bien souvent sur les régions. Il n’y a pas de pilote et l’Etat ne joue pas son rôle. Les autorités régulatrices ne s’entendent pas entre elles », a-t-il asséné.
La question de la gouvernance était en filigrane du débat jusque-là, mais elle n’a pas tardé à surgir directement. « Pour les voyageurs, c’est différent, mais pour le fret on sait bien que le problème vient de ce que RFF et ses interlocuteurs ne travaillent pas bien ensemble », a taclé Emmanuel Delachambre. Comme une perche tendue à David Azéma, qui a enfoncé le clou : « Suite aux Assises du ferroviaire on va unifier de facto les trois composantes que sont RFF, la DCF et l’infra SNCF. C’est une bonne chose, mais il n’est pas certain que cela suffira. »
Après que Gilles Savary eut souligné que l’oraison funèbre de la loi de 1997 – créant RFF et faisant de la SNCF son gestionnaire d’infrastructure délégué – venait d’être prononcée, le débat s’est porté sur le financement du secteur. Il s’agissait là d’une autre des commissions des Assises du ferroviaire. « Il faut trouver de la recette dans le multimodal, ainsi que cela a été souligné lors des Assises », a revendiqué Rémi Cunin, président d’Egis Rail.
Autre thème récurrent : l’ouverture prochaine à la concurrence. Gilles Savary l’a présenté ainsi : « Anticiper l’ouverture à la concurrence prévue pour 2015 a été une des conclusions des Assises. Il faut aussi faire des économies et accélérer la régionalisation. Qu’en pensez-vous ? » Francis Grass, directeur délégué de Veolia-Transdev a été très clair. « On touche là à des dossiers importants qui doivent être réglés par le législateur c’est évident ; le thème du rapprochement Infra, par exemple, était bienvenu. Mais il y a encore des clarifications à apporter sur certaines zones qui ne sont pas vraiment attribuées : qui s’occupera de l’info-voyageurs, de la billettique ? » Non sans une dose de provocation, l’animateur de la conférence a mis en avant le fait que « deux thèses s’affrontent : mettre les métiers de l’infrastructure dans RFF, ou les intégrer dans l’opérateur historique, à l’allemande, avec un risque que celui-ci se mette en travers. »
David Azéma, en se faisant un fervent défenseur de l’ouverture du marché, lui a répondu : « De toute façon l’ouverture à la concurrence est actée et nous pensons que c’est une très bonne chose. Mais attention à ne pas tout mélanger : il n’y a pas de lien entre l’ouverture d’un marché et sa gouvernance. » Et de prendre pour exemple l’Allemagne, qui a ouvert largement son marché tout en maintenant un système ferroviaire intégré.
En soulignant la complexité de cette thématique, Emmanuel Delachambre a souhaité que « ceux qui savent faire travaillent ensemble, et il faut qu’on leur permette de le faire. Peu importe chez qui. »
Jean-Yves Petit a fait entendre la voix des régions sur le thème de l’ouverture à la concurrence, et il n’a pas été très amène : « C’est une erreur de penser que la concurrence va régler les problèmes. Les régions n’en ont pas besoin, parce que les besoins sont financiers. Personne n’a eu de réponse au problème du transport public régional pendant ces Assises » a-t-il achevé.
Pour Gilles Savary la bonne solution est de développer une ressource affectée aux régions. Ce qui implique, a-t-il ajouté, que si une région décide de proposer du TER gratuit ou à un euro, c’est à elle, et non à l’Etat, d’en supporter le coût.
Le pendant de ces enjeux est la situation sociale. Un sujet sensible, que Bruno Gazeau, délégué général de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) a abordé brièvement. « Sur le fret, il y aura une convention collective de branche. » Pour les voyageurs, « le temps de la confiance et de la négociation sera d’au moins 18 mois, et cela fait un peu court pour mettre les TER en concurrence en 2014 ».
En guise de conclusion, David Azéma a estimé qu’il faut globalement « changer de temporalité ». Et de préciser que la situation actuelle peut se résumer de la façon suivante : « La Deutsche Bahn part à l’assaut de l’Europe ; en France on réfléchit. »
Julien Sartre
Si j’étais ministre des Transports…
Gilles Savary a demandé à chacun des intervenants présents de se livrer à un petit exercice de projection : ce qu’il ferait s’il était ministre des Transports. Voici leurs réponses :
• Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail : « Je mettrais en place des mesures d’urgence pour le réseau, les opérateurs et les clients. J’accélérerais le regroupement des acteurs. Et je demande à la SNCF de trouver un nouveau contrat social. Il faut une nouvelle convention collective, parce que la SNCF est là encore pour longtemps et doit le rester. »
• Bruno Gazeau, délégué général de l’UTP : n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
• Francis Grass, directeur délégué de Veolia-Transdev : « On parle d’expérimentation en 2014, mais il y a le sujet du matériel qu’il faut traiter maintenant. Le social je pense qu’il faut l’activer maintenant, de telle sorte que la négociation puisse commencer. On a un chantier de profession à mener avec la SNCF. »
• Rémi Cunin, président d’Egis Rail : « Il faut trouver des sources de financement en pensant multimodal. »
• David Azéma, directeur général délégué du groupe SNCF : « On doit arrêter de dire une chose à Bruxelles et de faire autre chose à Paris. Et on engage le nouveau pacte social. Il faut donner envie au groupe SNCF de se transformer. »
• Jean-Yves Petit, représentant de l’ARF : « On fera en sorte que l’Etat assume son rôle. Ensuite, on fera une loi de programmation des financements du transport régional. »
Publié le 10/12/2024