« En Ile-de-France, il faut une compétition ouverte »
Entretien avec Jean-Marc Janaillac, président-directeur général de Transdev.
Transdev, premier acteur en Ile-de-France après la RATP et la SNCF, entend profiter de l’ouverture à la concurrence des prochains services de transport pour conforter ses positions. Le groupe s’apprête à être candidat à l’exploitation du métro du Grand Paris, de CDG Express et des tramways T9 et T10, et compte bien participer au renforcement des bus en grande couronne. Autant de rendez-vous à venir qui se préparent maintenant. Jean-Marc Janaillac, PDG de Transdev, expose pour VR&T la stratégie de son groupe dans la région capitale. Ville, Rail & Transports. L’exploitation du métro du Grand Paris sera ouverte à la concurrence. Dans quelles conditions se prépare cette exploitation ? Et quelle est la position de Transdev ?
Jean-Marc Janaillac. Le début d’exploitation de la première ligne est prévu fin 2022. Pour y parvenir, si l’on fait le compte à rebours, il faudra avoir désigné l’exploitant début 2020, publié l’appel d’offres courant 2018, finalisé le cahier des charges en 2017. Les choses se préparent donc maintenant. Or, il y a un point spécifique et original du métro du Grand Paris par rapport à d’autres métros automatiques : il y a un gestionnaire d’infrastructure, qui est la RATP, distinct de l’exploitant.
VR&T. C’est même dans la loi…
J.-M. J. Oui et, tout en respectant ce qui est prévu, il faut trouver une solution qui donne aux opérateurs la capacité d’exercer pleinement leurs fonctions : mener une exploitation efficace, satisfaire le public et, en particulier, réagir rapidement aux différents incidents d’exploitation qui peuvent arriver. A chaque fois qu’une porte palière ferme mal, si l’exploitant doit appeler un mainteneur pour résoudre le problème, le système ne va pas fonctionner.
Nous discutons donc pour savoir jusqu’où vont les compétences du gestionnaire d’infrastructure et où commencent les compétences de l’exploitant. C’était l’objet d’une réunion, organisée fin février, par la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, avec le Stif, la SGP, la RATP, Keolis et nous, Transdev. Plutôt que de débattre de questions idéologiques et de lancer des excommunications, nous sommes partis, d’un côté, de ce dont nous avons besoin pour assurer l’exploitation et, de l’autre côté, de ce dont la RATP a besoin pour assurer son rôle de gestionnaire d’infrastructures. La DGITM a fait une liste d’opérations, afin que l’on se mette d’accord sur qui fait quoi.
VR&T. Quels sont les points difficiles ?
J.-M. J. La maintenance des voies et des tunnels ne pose aucun problème. Mais, quand on en vient aux automatismes, il est difficile de voir où s’arrête la maintenance et où commence l’exploitation. C’est une discussion de spécialistes. Nous y sommes allés dans un esprit positif, afin de trouver une solution.
Cette attitude pragmatique doit nous permettre, si tout le monde est de bonne foi et de bonne volonté, de parvenir à une solution qui satisfera les uns et les autres. Car ce n’est pas de l’intérêt du potentiel exploitant de se contenter de balayer les couloirs, et ce n’est pas non plus de l’intérêt de la RATP que le rôle de l’exploitant soit réduit. Elle aussi sera candidate à l’exploitation et voudra faire de ce métro une vitrine de son savoir-faire. Et c’est encore l’intérêt du Stif d’avoir en face de lui un exploitant qui soit pleinement exploitant, auquel il puisse demander des comptes en terme de performance, de qualité et de continuité de service.
VR&T. Pragmatisme, bien sûr, mais il faut tout de même quelques principes ?
J.-M. J. Nous voulons simplement un système clair et transparent de responsabilité. Par exemple, nous avons recours à la sous-traitance dans la maintenance de matériel roulant. Dans certains systèmes, le mainteneur et l’opérateur rapportent tous les deux à l’autorité organisatrice. Nous n’y sommes pas favorables. Lorsque nous sous-traitons la maintenance, nous souhaitons que le mainteneur nous rapporte. En tant qu’exploitants, nous sommes responsables vis-à-vis de l’autorité organisatrice du bon fonctionnement de l’ensemble du système.
VR&T. Il y a un autre point important, en suspens pour le Grand Paris Express, c’est le choix entre un appel d’offres d’ensemble, ou un appel d’offres par lots. Que souhaitez-vous ?
J.-M. J. Le Stif décidera, mais notre vœu, c’est qu’il y ait trois lots : la ligne 15, les lignes 16 et 17 ensemble puisqu’elles ont un tronc commun, et la ligne 18. Ce qui donne le maximum de sens au maximum de concurrents. Or, je pense que l’intérêt du Stif, c’est d’avoir le plus grand nombre possible de concurrents et de solutions. C’est le moyen d’avoir une compétition ouverte.
VR&T. Mais tout le monde souhaite-t-il une compétition ouverte ?
J.-M. J. Il faut être cohérent. Si on pratique la concurrence ailleurs, il faut l’assumer chez soi. L’ouverture à la concurrence me paraît une bonne chose, et la RATP est bien placée. Elle a une maîtrise du métro automatique et a beaucoup d’atouts à faire jouer. Mais qu’il y ait d’autres concurrents qui montrent ce qu’ils sont capables de faire, c’est dans l’intérêt de tout le monde.
Nous avons d’ailleurs des idées sur les métros du Grand Paris, d’organisation et d’opération différentes. Pour la ligne 18, on peut imaginer des trains modulables en fonction des heures, ou bien faire, comme nous faisons à Séoul, des trains express et des trains omnibus.
VR&T. L’ordonnance concernant la réalisation de CDG Express vient d’être signée par la ministre de l’Ecologie. Là aussi, vous êtes attendus.
J.-M. J. Nous serons candidats à la liaison CDG Express, qui sera réalisée par ADP et SNCF Réseau, et dont l’exploitation sera mise en concurrence. Nous sommes les seuls en France à exploiter une liaison ville – aéroport, avec Rhônexpress à Lyon. Nous sommes par ailleurs présents à CDG avec le métro automatique, plus un certain nombre d’activités aéroportuaires de bus. C’est un territoire que nous connaissons bien et ce sont des interlocuteurs que nous connaissons bien. Et ils sont apparemment satisfaits des services que nous leur rendons. Sur le CDG Val, nous avons un taux de disponibilité de 99.96 %.
VR&T. Candidat aussi aux futurs trams T9 et T10 ?
J.-M. J. Dès qu’ils seront ouverts à la concurrence, nous répondrons. Entre Nantes, Montpellier, Grenoble, Mulhouse, nous avons une bonne expérience du tramway, sans parler de New Orleans, Sydney, Rabat. Il n’y a pas de raison que nous ne soyons pas candidat à l’exploitation du tramway.
VR&T. Alors, en Ile-de-France, vous êtes candidat partout ?
J.-M. J. N’oubliez pas que, hors SNCF et RATP, nous sommes le premier opérateur de transport en Ile-de-France. Nous faisons 660 millions d’euros de chiffre d’affaires dans la région, où nous avons quelque 7 000 collaborateurs et 3 500 véhicules : 3 122 dans les lignes régulières, 200 en aéroportuaire, et 163 en tourisme et transport à la demande. Etant en grande couronne, nos bus sont moins visibles que ceux de Paris, et ils ne sont pas toujours marqués à nos couleurs. Mais nous n’avons pas beaucoup moins de bus que la RATP.
VR&T. A propos de bus, justement, on voit de plus en plus se poser la question de l’intermodalité du futur Grand Paris Express avec les autres modes de transport. Comment la voyez-vous ?
J.-M. J. Totalement en phase avec le nouveau vice-président chargé des transports de la région, nous disons que le métro automatique du Grand Paris a un sens si l’on peut y accéder facilement. De proches habitants pourront se rendre à pied jusqu’aux gares, mais le plus grand nombre aura besoin des bus. Et nous estimons indispensable une restructuration très forte des bus en Ile-de-France et un renforcement en deux points. L’un directement lié au métro du Grand Paris, avec de lignes de bus desservant les gares, et l’autre, concernant les bus de grande couronne, avec des lignes transversales, pour des coûts très modestes. Les bus ont un rôle très important à jouer.
VR&T. Comment les gares du Grand Paris vont-elles accueillir les bus ?
J.-M. J. Ce n’était pas la préoccupation première des concepteurs du Grand Paris, mais nous commençons à travailler avec l’unité Espace public et Intermodalité de la SGP. Il ne faut pas être confronté à ce qui existe actuellement à Massy-TGV ou à Marne-la-Vallée Chessy, où les TGV Ouigo génèrent des flux de circulation d’approche ingérables qui causent des problèmes aux communes concernées. A Helsinki ou à Stockholm par exemple, on voit ce que sont des gares routières et intermodales. A Stockholm, en plein cœur de ville, fonctionne une gare de chemin de fer et juste à côté une gare routière couverte, avec des services, des boutiques, des quais. Ce que nous n’avons pas en France. Le Grand Paris devrait être l’occasion de créer ces gares, à plus forte raison si l’on tient compte des cars longue distance dits Macron. On peut imaginer que les gens prennent le métro pour gagner une gare confortable en périphérie, qui serve de base de départ vers les destinations des cars longue distance.
VR&T. Mais ce n’est pas si facile d’installer des gares routières…
J.-M. J. S’il s’agit juste de zones de parking, cela n’intéresse pas les riverains, qui y voient plutôt une nuisance, et cela n’intéresse pas les promoteurs parce qu’il n’y a pas d’activité commerciale importante. Il faut inventer un espace où coexistent des bus qui ne font que de courts arrêts, des cars qui stationnent plus longtemps pour les voyageurs avec des bagages, et un système de commerces tout autour. Cela prend de la place, il faut le prévoir, mais certaines gares du Grand Paris doivent le permettre.
VR&T. Avez-vous des références ?
J.-M. J. Nous gérons – parmi d’autres – la gare routière d’Argenteuil par délégation du Stif. C’est une gare intéressante qui va être rénovée à la fin de cette année, en offrant un espace complet de parking pour les voitures, y compris électriques, un espace complet de parking pour les vélos, y compris électriques, une agence commerciale vendant les billets des divers opérateurs, un système d’information dynamique. Cela fera un vrai pôle d’échange. Voyez d’autre part ce que nous avons fait à Echirolles, près de Grenoble, dans le cadre de ce qu’on a appelé Lemon, Laboratoire d’expérimentation sur les mobilités nouvelles, avec l’EPFL, les autorités locales, des start-up.
La première expérimentation de Lemon a été un carrefour de mobilité qui a consisté à travailler sur les cheminements piétons menant à une station de tramway, avec un espace aménagé, des abris tout en bois. Il y a bien des choses à faire dans les modes doux pour accéder aux gares.
Pour les gares du Grand Paris, on ne pourra pas mettre des bus et des cars partout. L’essentiel est d’éviter que les gens viennent avec leur voiture individuelle. Il faut en faire un lieu de développement des transports individuels partagés : covoiturage urbain organisé, taxis partagés, tout ce qui peut être mis en œuvre grâce à la numérisation.
VR&T. La RATP se lance en Ile-de-France dans une grande expérimentation de bus électrique. Vous suivez ?
J.-M. J. Nous allons même précéder. Nous expérimentons déjà sur le dépôt d’Argenteuil un premier bus électrique Ebusco complètement autonome et nous avons pour objectif, en 2016, vraisemblablement au début de l’été, d’exploiter la totalité d’une ligne avec des véhicules du même type. L’enjeu est d’avoir un vrai retour d’expérience sur les conditions d’exploitation, de maintenance, mais aussi sur l’aménagement du dépôt et les conditions de charge d’un véhicule. Car stationner et recharger une dizaine de véhicules suppose des aménagements spécifiques. Nous travaillons avec ERDF sur l’alimentation électrique.
VR&T. Quelles autres expériences avez-vous ?
J.-M. J. Nous exploitons 40 bus électriques en Californie, nous avons des bus électriques en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas. Et nous venons de gagner un contrat à Eindhoven, aux Pays-Bas : en 2020, tous les bus – plus de 200 – seront électriques. Dès la fin de l’année, il y en aura près de 50, constituant la plus grande exploitation de bus électriques en Europe. En France, nous avons aussi l’expérience Wattmobile à Nice. Tout cela fait un living lab, offrant de nombreuses expériences que nous avons mises à profit avec le Stif, pour cette prochaine ligne électrique.
VR&T. Mais vous n’avez pas un plan aussi ambitieux que la RATP, de conversion de tout le parc en véhicules propres d’ici 2025…
J.-M. J. La décision ne nous appartient pas, elle relève du Stif. Je comprends l’intérêt des bus électriques mais le fait est qu’aujourd’hui ils coûtent plus cher. Le Stif aura-t-il les moyens pour tout mener de front ? Si le résultat, c’est de mettre des bus électriques dans Paris, mais moins de bus en grande couronne et que les gens y prennent plus leur voiture individuelle, l’équation écologique ne sera pas positive. Il faut monter en puissance en fonction des ressources. Ailleurs en France, le rythme de conversion dépend de la politique de chaque ville, où nous sommes présents. Ce peut être la politique de certains maires de mettre des bus électriques. Nous travaillons sur des projets dans plusieurs villes, à Nantes par exemple, sur un Busway, un bus articulé électrique. Nous sommes respectueux de nos clients, qui sont les autorités locales. Ce sont eux qui arbitrent. Compte tenu des avantages indéniables du bus électriques en terme de qualité (absence de bruit, absence de rejet), cette solution va s’étendre mais le choix va porter sur le rythme. Nous avons acquis assez d’expérience à travers le monde pour conseiller les élus, mais la décision ne nous appartient pas.
Propos recueillis par François Dumont
« Ce n’est pas une proposition sérieuse »
Petite question sur les trains de nuit en marge d’un entretien très francilien. Et réponse directe.
VR&T. A la suite des récentes décisions d’Alain Vidalies concernant le maintien de deux trains de nuit et un appel à manifestation d’intérêt pour ceux que le gouvernement ne veut plus subventionner, vous avez fait part de votre « consternation ». Un mot très fort !
J.-M. J. Il y avait une autre solution, qui était d’étendre l’appel à manifestation d’intérêt à toutes les lignes de nuit, dont les deux lignes subventionnées. Cela permettait d’en sauver plus. Au contraire, le ministre maintient, en le finançant, un système qui a prouvé son inefficacité et propose aux nouveaux opérateurs de reprendre très vite, à partir de début juillet, des exploitations dont il dit lui-même que chaque passager coûte cent euros. Nous considérons que ce n’est pas une proposition sérieuse.
Publié le 10/12/2024