La crise va-t-elle favoriser le retour du protectionnisme ?
Même si le secteur du rail semble plutôt bien tirer son épingle du jeu face à la crise, il n’est pas à l’abri de certains effets collatéraux Le commentaire du patron de la DB, Hartmut Mehdorn, tiré du communiqué de presse publié lors de l’attribution du marché de 15 trains à grande vitesse à Siemens en décembredernier a de quoi surprendre: « Cette commande va constituer un appel d’air pour l’industrie ferroviaire allemande et préserver des emplois à l’heure où l’économie a besoin d’une nouvelle impulsion », écrit le chef de la DB. Sans particulièrement indiquer avoir choisi le meilleur produit. « Dans le fond, rien ne change. Mais avec la crise, le protectionnisme est simplement de plus en plus assumé », remarque un industriel. Evidemment, lorsque l’on aborde le sujet du protectionnisme avec les patrons du rail, la main sur le cœur et dans une remarquable unité, ils répondent : « Impossible, il y a les appels d’offres européens. » Certes, on n’est plus dans le temps où les contrats se négociaient de gré à gré. Mais on le sait, il n’est pas bien difficile de tordre les aiguilles pour faciliter les choses à un candidat préféré. Et bien rares sont les recours en justice dans un secteur où l’on évite de se fâcher avec ses grands clients. Voici donc venu le temps des cahiers des charges épousant délicatement les formes du produit du constructeur national.
Un exemple récent en Allemagne avec le fameux appel d’offres de la DB : 800 voitures à deux niveaux à construire pour une enveloppe de 1,5 milliard : qui est intéressé ? Réponse : uniquement Bombardier. Le cahier des charges était tellement compliqué et proche de la précédente génération du produit construite par une usine allemande du très germanique constructeur canadien qu’après une soigneuse étude ni Siemens, ni Alstom, ni Stadler n’ont voulu déposer d’offre. « Un appel d’offres majeur de la DB avec une seule réponse, ça fait un peu tache, râle un concurrent. Mais vu la manière dont était libellé le cahier des charges, on était certain de perdre », assure-t-il.
Question préférence nationale, la France n’est pas en reste avec l’appel d’offres MI09 en cours d’instruction à la RATP. Dans le jargon, on l’appelle « commande Sarkozy », le président de la République ayant tenu à l’annoncer personnellement. Sur cette courte série portant sur une trentaine de rames de RER à double niveau (environ 600 millions d’euros) et ressemblant comme deux gouttes d’eau au MI2N d’Alstom, les autres constructeurs auraient adoré pouvoir défendre leurs chances. Pour sauver les meubles, Bombardier a choisi de s’entendre avec Alstom dont il sera sous-traitant à hauteur de 30 % en cas d’attribution du contrat. La crise donne des arguments aux politiques pour rappeler à ceux qui achètent les trains que, dans « un tel contexte », le pays comprendrait mal que l’on aille confier des marchés publics à un groupe étranger.
Les grands appels d’offres sont-ils pour autant courus d’avance ? Sans doute pas, car les opérateurs souhaitent garder l’aiguillon de la concurrence. Mais leur marge de manœuvre semble de plus en plus réduite et le « construire local » de moins en moins optionnel. C’est ce qui explique l’actuelle hésitation de Siemens à répondre au futur appel d’offres de TGV nouvelle génération. C’est ce qui explique aussi que dans l’hypothèse où il répondrait le groupe allemand confierait une partie de l’assemblage des rames à l’alsacien Lohr Industrie. « La participation de Siemens est un sujet très politique, cela pourrait se jouer au cours d’une entrevue entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy », estime un industriel.
Si les constructeurs savent rappeler aux décideurs l’importance de l’emploi local, ils sont par contre beaucoup moins regardants sur ce critère avec leurs propres fournisseurs. Sous couvert de l’anonymat le plus opaque, plusieurs équipementiers nous ont indiqué qu’il leur semblerait souhaitable que les constructeurs ferroviaires et la SNCF se convertissent quelque peu au patriotisme économique. « Bombardier ou Alstom sont très habiles pour vanter leur construction locale et en tirer parti auprès des décideurs politiques. En réalité, ils sont des assembleurs de technologies achetées à des fournisseurs du monde entier. Dans la phase équipement, de plus en plus souvent, c’est le prix qui prévaut quand on ne demande pas explicitement une part de fabrication locale en Chine », dénonce un équipementier.
Guillaume LEBORGNE
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