Un accord et des couacs entre la France et l'Allemagne
Le sommet ferroviaire franco-allemand du 31 août à Berlin a certes permis de préparer des accords techniques qui doivent être ratifiés lors d?Innotrans. Mais les tensions entre la SNCF et la DB sont prêtes à resurgir à tout moment Louis Nègre, le président de la FIF (Fédération des industries ferroviaires) ne devrait pas être mécontent : les Français et les Allemands ont réussi à s’entendre. En partie… Pour les Français, la FIF et, pour les Allemands, la Deutsche Bahn avaient préparé le terrain en organisant deux « réunions de sherpas », en avril à Berlin et en juillet à Paris, comme le rappelle Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la fédération. Réunions qui s’étaient bien passées. Cependant, les propos peu amènes échangés entre responsables ferroviaires français et allemands (pour s’en tenir à nos colonnes : interview de Rüdiger Grube, patron de la DB, réponse de Guillaume Pepy et de Dominique Bussereau) ont empoisonné l’atmosphère. Rüdiger Grube et Guillaume Pepy ont décidé de faire la paix à Rome avant les vacances. Mais le ministre des Transports allemands Peter Ramsauer ayant à nouveau attaqué début août la fermeture du marché français, et lancé un tonitruant Es reicht ! (ça suffit !), la SNCF s’est sentie trahie.
Le 31 août à Berlin, Peter Ramsauer, Dominique Bussereau, Rüdiger Grube et Guillaume Pepy ont tout de même pu discuter ensemble dans une « bonne ambiance », selon le ministre allemand. Même si, précise-t-il, cela n’avait « rien d’une discussion de salon de thé ». Dominique Bussereau, pour sa part, a trouvé le climat « gemütlich » (chaleureux). Bien plus chaud en tout cas que la réunion glaciale tant redoutée. Et, pour le secrétaire d’Etat français, la réunion a permis de « mettre de l’huile dans les rouages » et d’expliquer le contexte français aux Allemands : rapport du sénateur Grignon sur l’expérimentation de la concurrence dans le TER, renouvellement des exécutifs régionaux, trains d’aménagement du territoire, mise en place de l’Araf.
Selon nos informations, si les Français et les Allemands s’en sont tenus à un accord a minima, c’est faute d’un deal plus global, initialement envisagé, aux termes duquel les Français se seraient engagés à ouvrir le transport régional à la concurrence, tandis que les Allemands auraient appliqué la directive eurovignette.
La rencontre a débouché sur un projet de groupe de travail de « haut niveau ». Formé au niveau des ministères et secrétariats d’Etat, il s’efforcera de faire avancer la coopération sur des sujets concrets. A la FIF, on énumère : un approfondissement de l’accord de reconnaissance mutuelle des matériels, une accélération de l’harmonisation technique, des dispositions communes contre le bruit ferroviaire, le réveil de l’organisme de coopération ferroviaire Deufrako en sommeil depuis des lustres, la mise au point d’une clause de réciprocité permettant de s’assurer d’une concurrence équitable entre les industriels de divers pays, notamment asiatiques, et l’Europe, fondée sur l’ouverture réciproque des marchés. Les parties prenantes envisagent une ratification du document de travail par les ministres des Transports à Berlin lors d’Innotrans, le 21 septembre. Sont concernés : EBA et EPSF (autorités de régulation), FIF et VDB (fédérations d’industries), RFF et DB Netz (gestionnaires d’infrastructure), ainsi que Deutsche Bahn et SNCF (entreprises historiques).
Les sujets qui fâchent devaient attendre. Cependant, dès le lendemain, Peter Ramsauer, qui s’exprimait avec Rüdiger Grube devant la presse, donnait l’impression de repartir de plus belle. La France aurait selon lui « promis d’ouvrir pas à pas à la concurrence son trafic régional de passagers ». Autre doléance de la Bahn rappelée par le ministre : « l’impossibilité d’organiser des liaisons autonomes en France », à cause des restrictions sur le cabotage ou la taxe sur les locomotives étrangères. De son côté, assurait-il, l’Allemagne s’engagerait à lever les obstacles à la concurrence sur son trafic grandes lignes.
Le terme de « promesse » employé par le ministre allemand a semblé malvenu… d’autant qu’il ne correspond pas à ce qu’a dit Dominique Bussereau. Les Allemands ont en fait donné le sentiment de vouloir sortir vainqueur du sommet de Berlin, avec des annonces fortes (dont celle sur la circulation d’un ICE dans le tunnel, lire ci-dessous) qui laissent entendre qu’ils ont fait plier les Français… ce qui n’est manifestement pas le cas.
A la SNCF, où on est « un peu » exaspéré, la direction se tait, mais de bonnes âmes font observer, mine de rien, que la séparation entre gestionnaire d’infrastructure et entreprise ferroviaire est loin d’être achevée en Allemagne, et que la Commission européenne s’y intéresse de très près ; que la DB réalise, selon ses derniers résultats semestriels, 50 % de son bénéfice avec DB Netz, situation dont ne peuvent plus bénéficier les entreprises ayant mené à bien la séparation ; que la concurrence au jour le jour dans le transport régional n’est peut-être pas si équitable que cela ; ou encore que le refus allemand de voir mis en place un régulateur européen est plutôt suspect ; on imagine même que, face à des difficultés avec l’opinion publique (grave problème de climatisation cet été, problèmes récurrents de roues, situation calamiteuse de la S-Bahn berlinoise), les attaques anti-françaises permettent de détourner l’attention. En guise de dégel, c’est raté. Dominique Bussereau, germanophile convaincu, doit être peiné par cette mésentente qui ne s’éteint pas. Reste qu’il s’apprête à quitter son poste après avoir conclu un accord franco-allemand. Modeste peut-être, mais remarquable vu le climat.
François DUMONT et Antoine HEULARD
Publié le 10/12/2024