« Incessible », je dis bien : « Incessible. »
15 Mai 2018
© Geodis
C’est un drôle de mot, pas franchement courant, qui s’est invité dans le débat. « Incessible. » Le Premier ministre et la ministre des Transports avaient eu recours à cet adjectif, en présentant leur « nouveau pacte ferroviaire », pour qualifier les participations de l’Etat dans la nouvelle SNCF. Afin de rassurer les syndicats, et de montrer que le passage d’un Epic à une SA n’a rien à voir avec une privatisation. Mais, dans le projet de loi voté par l’Assemblée nationale, le mot a disparu. Au gouvernement, on explique alors qu’on a choisi un mot plus fort encore. « Intégralement. » Les actions de l’entreprise seront intégralement détenues par l’Etat. Plus sûr, explique-t-on, car en cas d’augmentation du capital, « incessible » n’empêcherait pas l’entrée de partenaires privés. « Intégralement » garantit au contraire le 100 %, aussi bien lorsque la réforme est votée qu’à tout autre moment. Reste que la disparition du mot n’a pas plu. Et que le gouvernement, l’ayant compris, va le réintégrer dans le texte qui sera soumis au Sénat.
D’ailleurs étrangement, on nous dit d’un côté que le mot est inutile et qu’il n’y a là pas d’enjeu, mais une note publiée par Le Parisien montre plutôt le contraire. Dans le compte rendu par mail d’une réunion entre le gouvernement et des représentants de la SNCF, début mai, on voit que l’entreprise accepte le mot lorsqu’il s’agit de la SA Holding, mais pas pour SNCF Mobilités ou SNCF Réseau. « Amendement proposé par le cab : prévoir l’incessibilité. Nous avons insisté sur la nécessité de la restreindre au niveau de la holding. » Et, du côté de la SNCF, on insiste : « La rédaction actuelle des missions de Mobilités empêche la filialisation de TER. » D’où l’accusation de SUD-Rail : la SNCF est prise la main dans le sac. Elle projette en fait le démantèlement et la privatisation. Réponses de l’entreprise. Sur la réunion. « Il n’y avait là rien d’engageant, rien de validé, rien de stabilisé ». Sur le refus de l’incessibilité : il ne s’agissait que d’un point technique, pour permettre la cession d’activités non ferroviaires, comme cela a été fait « pour ses activités télécoms ou hôtellerie pour investir sur son cœur de métier ». Quant aux TER, il s’agit simplement, de « pouvoir créer des filiales lorsqu’un marché l’exige du fait de situations très particulières ; marché transfrontalier (comme Ceva), CDG Express… » Ceva, c’est, rappelons-le, le futur Léman Express franco-suisse.
Un soupçon de même nature est venu d’un « avant-projet de structuration de la SNCF en 2020 » publié par Les Infos, le média interne de la SNCF et repris par Le Monde. Y figurent, en râteau, sous la holding, mais à côté de Mobilités et de Réseau, deux autres filiales : d’une part Geodis, de l’autre Transport ferroviaire de marchandises, comprenant Fret SNCF (qui n’est aujourd’hui pas une filiale). Sont-elles « intégralement » détenues par SNCF, les parts sont-elles incessibles ? Sans doute pas, mais tout ceci mérite précision. D’un côté, pour respecter la lettre et l’esprit du 100 % public, concernant les trois entités. Et de l’autre, pour ne pas paralyser le groupe, qui doit « respirer », comme disait Louis Gallois : acquérir, céder, pouvoir cohabiter avec d’autres. Déjà, un très grand nombre de filiales sont ouvertes à d’autres actionnaires. Parmi les plus célèbres, la SNCF a 42 % de Systra, 55 % d’Eurostar, ou 70 % de Keolis.
Reste que le mot incessible va bien faire son retour, comme l’a dit sur France Inter ce matin Elisabeth Borne : « On dira deux fois la même chose. Si c’est la façon de se faire comprendre, pas de problème, on peut le mettre dans la loi. » L’Etat possédera « intégralement » le capital de SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Les parts seront « incessibles ». Et l’entreprise, immarcescible, mais ça, ça ne sera pas dans la loi.
F. D.
Titres \"Incessibles\"
Vous décrivez des postures rigides des uns et des autres sur un bien public en crise. Rien ne dis que, le contrôle total de l\'Etat sur le système est la...
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