Interview d’Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports.
VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?
Aurélien Bigo. Les politiques publiques font actuellement la promotion de modes de transport ou de technologies bas-carbone. Mais dans le même temps, les mobilités intenses en énergie et en carbone ne sont pas découragées, voire même sont encouragées. La somme de ces tendances positives et négatives nous mène au total à des émissions relativement stables ces dernières années, loin des fortes baisses d’émissions nécessaires. Les mesures proposées ici visent à assumer la baisse des usages les plus carbonés actuellement en vigueur.
1. Abaisser les vitesses sur les routes, en particulier en instaurant les 110 km/h sur les autoroutes et 100 km/h sur les nationales, mesure permettant les plus fortes baisses d’émissions à très court terme, avec de faibles coûts de mise en œuvre et même des économies pour les automobilistes. Dans le même temps, instaurer les 30 km/h dans les zones urbaines dès qu’il n’y a qu’une seule voie par sens de circulation (comme cela a été fait en Espagne), aussi bien dans les villes que les villages, afin d’améliorer la sécurisation de la marche et du vélo.
2. Renforcer la fiscalité carbone sur les modes les plus difficiles à décarboner et aujourd’hui au moins partiellement exonérés de fiscalité énergétique, à savoir l’aérien, le maritime et les poids lourds. Cela viserait simultanément à encourager la réduction de leur usage (en modérant la demande, en favorisant d’autres modes) et leur passage à des énergies décarbonées. Cela dégagerait des financements pour accompagner la transition des plus fragiles vers des transports bas-carbone.
3. Réorienter le marché des voitures vers les véhicules légers et sobres, en sollicitant les normes (sur la vitesse maximale, le poids ou encore les émissions à ne pas dépasser) et en renforçant la fiscalité (sur le poids, les émissions…) afin de réinvestir le montant des malus sur les véhicules légers, allant du vélo au quadricycle en passant par le vélo à assistance électrique, le vélomobile ou encore les vélos cargos (les véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture), pour lesquels un grand plan de développement industriel et de relocalisation de ces véhicules serait lancé.
4. Instaurer un moratoire sur la construction et l’agrandissement des aéroports et de voies routières rapides. Sur l’aménagement du territoire et en lien avec les déplacements quotidiens, stopper la construction de routes communales liées à l’étalement du logement, de même que l’artificialisation liée à la construction de centres commerciaux et d’entrepôts logistiques en périphérie.
VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?
A. B. Je juge ce mandat comme positif sur trois points : sur la mise en place de l’objectif de neutralité carbone et la dynamique que cela a pu instaurer à l’international ; sur la volonté d’accélérer certaines technologies pour la décarbonation, telles que l’électrification des voitures ; enfin, la mise en place de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), qui a pu montrer que des citoyens formés aux enjeux vont généralement bien plus loin que les politiques sur les évolutions de sobriété, ainsi la majorité des mesures citées dans la 1re question ont été proposées par la CCC, et des enquêtes montrent aussi une faveur importante des citoyens pour nombre de ces mesures.
En revanche, le constat est bien plus sévère sur le manque de sollicitation des leviers de sobriété de la transition, pourtant indispensables au respect de nos objectifs de décarbonation des transports. Cela s’est notamment reflété par une forte baisse d’ambition par rapport aux propositions de la CCC, par exemple sur l’aérien, le poids des véhicules ou les 110 km/h. Enfin, l’écart est toujours grandissant entre les objectifs et les trajectoires, sans vraiment chercher à corriger ce décalage et accepter que la technologie seule ne suffira pas.
VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?
A. B. De nombreuses nuisances sont liées à la voiture (consommation d’espace, sédentarité, bruit, pollution, etc.). Les traiter nécessite notamment un fort rééquilibrage de l’espace public en faveur des mobilités sobres en énergie, en ressources et en espace. Il faut assumer une hiérarchie entre les modes de transport afin de systématiquement favoriser la marche, devant le vélo, les transports en commun ferroviaires, routiers, puis la voiture (ainsi que l’avion pour la longue distance). Cela devrait aussi s’accompagner d’un vaste plan pour permettre à tous les élèves de primaire, collège et lycée d’aller à pied ou à vélo jusqu’à leur établissement en toute sécurité, véritable question de santé publique et de comportement des plus jeunes à habituer aux mobilités durables.
VRT. Question subsidiaire : De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?
A. B. Se méfier de la solution magique de manière générale, notamment technologique, car elle n’existe pas. Elle est souvent invoquée comme un alibi pour ne rien changer, alors qu’il faudra combiner des changements importants sur les 5 leviers de transition (modération de la demande, report modal, amélioration du remplissage des véhicules, efficacité énergétique décarbonation de l’énergie) pour espérer rattraper le retard accumulé sur nos trajectoires d’émissions.
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