Le sujet des lignes express par autocar arrive enfin à maturité. Il était temps, car la France accuse un certain retard en la matière par rapport à ses voisins européens. Essentiellement parce que l’architecture mise en place par la loi d’orientation des transports intérieurs (Loti) a confié la compétence moyenne et longue distance à l’Etat, tout en optant pour une approche exclusivement ferroviaire des liaisons express nationales. Raison pour laquelle, logiquement, la plupart des lignes routières interrégionales qui existent dans notre pays sont des lignes de substitution (on a substitué le car au train pour des raisons économiques). Aujourd’hui, il faut sortir de cette logique d’un autre temps. Un rapport très attendu
Après l’étude menée dans le cadre d’une mission du Conseil général de l’écologie et du développement durable sur les enjeux et l’opportunité de favoriser le développement de lignes régulières moyenne et longue distance à travers une évolution du cadre juridique des services nationaux – un rapport qui a vocation à être rendu public –, nous pensons que le moment est venu de faire des propositions concrètes, articulées autour d’une régulation publique de notre activité. En effet, il faut se garder de tomber dans le travers de l’open access ; ce n’est pas la position de la FNTV qui privilégie la régulation de l’activité, via le dispositif juridique le plus approprié. Nous pensons que la gestion déléguée au privé a des vertus intrinsèques, mais que la régulation à la charge des autorités organisatrices est déterminante. Nous distinguons le sujet des dessertes intérieures en rapport avec des services réguliers internationaux, qui bénéficie d’un régime juridique spécifique (il s’agit d’un marché ouvert depuis février de cette année), du sujet qui nous préoccupe ici : les lignes interrégionales routières.
Le premier pas du cabotage national
C’est l’actualité la plus immédiate. La France a ouvert son marché routier moyenne et longue distance, via le cabotage sur lignes internationales. C’est l’application d’un texte européen établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocar. Cette ouverture s’effectue de manière régulée, via une autorisation délivrée par l’Etat. On ne peut pas en effet laisser se développer hors de tout contrôle et de manière anarchique une offre de transport public. Il faut en particulier que les entreprises qui déposent un dossier soient régulièrement inscrites au registre des transports (vérification des aptitudes professionnelles et des garanties financières). Il faut aussi que le service proposé ne porte pas atteinte à l’équilibre économique d’un contrat de service public conclu pour satisfaire, par ailleurs, une attente de mobilité à l’initiative des pouvoirs publics. Depuis février, l’Etat peut autoriser, pour une durée déterminée, les entreprises de transport public à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national, à l’occasion d’un service régulier de transport international (hypothèse du cabotage national). Les entreprises « candidates » doivent disposer d’une organisation de gestion leur permettant d’exercer un contrôle de leur activité afin de respecter les engagements pris de mettre en œuvre un service qui, à titre accessoire, effectue une desserte nationale ; l’objet du service doit être principalement un transport entre des arrêts situés dans des Etats différents. C’est dans cette perspective qu’« Eurolines », filiale de Veolia, a récemment déposé ses demandes.
Une offre interrégionale structurée
Voilà près de 30 ans que la Loti a été adoptée. Les attentes de mobilité ont évolué et évolueront encore dans les prochaines années. Il faut que la France adapte son organisation à la nouvelle donne. Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui est d’une tout autre ampleur que celui du cabotage national. L’offre de transport, moyenne et longue distance, est construite en France sur une logique de service public. C’est de cette offre dont il s’agit. La logique de service public a fait ses preuves, au niveau départemental et régional ; nous pensons qu’elle peut être déployée à une échelle supérieure, au niveau interrégional et même au niveau national. Les collectivités territoriales ont développé les transports collectifs ; elles ont constitué des réseaux. Les régions ont développé une offre routière, complémentaire à celle du train : le transport express régional (TER). L’Etat est resté très en retrait. L’offre autocar doit être revisitée. L’autocar représente en effet une alternative modale complémentaire à l’offre ferroviaire ; dans certains cas, elle répond mieux aux contraintes budgétaires des autorités organisatrices de transport. C’est un mode de transport sûr, propre et économique. Il le sera de plus en plus, dans un pays qui bénéficie d’importantes infrastructures routières et autoroutières : elles doivent être utilisées par des services publics de transport par autocar.
L’offre interrégionale pourrait être structurée autour de deux segments. Le premier segment, qui concerne des liaisons routières interrégionales, pourrait l’être à l’initiative de deux ou trois régions ; si une région décide de promouvoir cette offre, elle doit pouvoir être chef de file pour le compte des autres. Nous pensons par exemple à des liaisons du type Caen – Rennes – Nantes et nous pensons que de telles liaisons ont leur raison d’être dans le paysage, à l’échelle de plusieurs régions, sans que l’Etat n’ait à intervenir dans le dispositif. Le mécanisme juridique est à affiner mais très clairement il s’agit de définir une autorité organisatrice qui reste de rang régional, sur une base purement facultative. Nous savons que des projets existent et que le signal donné, le moment venu, par le législateur aura un certain écho compte tenu des besoins de mobilité qui se font jour. Une modification de la Loti est nécessaire, celle-ci ne connaissant pas, en matière de transport routier de voyageurs, de niveau interrégional. L’Etat est compétent ou la région. Il existe bien aujourd’hui des lignes qui, partant de la région Paca, desservent Grenoble, mais elles sont héritières d’une initiative de l’Etat ; celui-ci s’est empressé de transférer la compétence à la région. La régulation à mettre en œuvre s’inscrit dans le règlement européen sur les obligations de service public. Le contrat à conclure entre l’autorité organisatrice et l’opérateur confierait à ce dernier une mission de service public en termes de desserte, d’horaires et de tarifs. En contrepartie, il bénéficierait, comme c’est traditionnellement le cas, d’un droit exclusif d’exploitation. L’opérateur serait choisi à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, comme c’est le cas en délégation de service public.
De grandes transversales
Pour une offre longue distance, sur des segments qui impliquent plus de trois régions, la dimension nationale ne peut pas être d’emblée exclue. Au-delà d’un segment interrégional, disjoint du segment national, il y a un marché pour l’autocar express, compte tenu de la qualité des infrastructures routières et autoroutières en France. Il y a même un paradoxe à ne pas les utiliser pour le mode routier, plus compatible avec les orientations du Grenelle de l’environnement, au moment même où, au niveau européen, on demande à chaque mode d’afficher ses émissions en CO2 – nous savons que, compte tenu de la situation de notre parc, nos résultats seront excellents. La FNTV s’est du reste engagée volontairement avec l’Ademe dans une démarche nous permettant de communiquer ses bons résultats à nos concitoyens – le crédit de l’Ademe est considérable en la matière. Nous serons prêts d’ici à quelques semaines à les afficher ; ils seront connus de tous. Le but est de mettre en œuvre le « droit au transport » – les enjeux sociaux et économiques sont déterminants. Si la Loti est conservée comme cadre – et rien ne nous permet de penser le contraire –, on s’orienterait plutôt vers un régime de conventionnement – des délégations de service public, par exemple – et un appel d’offres. Une autre approche consisterait à identifier des projets longue distance et de lancer un appel à projets très ouvert sur le contenu et la qualité des services proposés. Nous espérons que l’on va faire confiance aux transporteurs dans ce pays, dans le respect de la régulation de leur activité, comme je l’ai indiqué auparavant. Il s’agirait de mettre en place des services haut de gamme sur réseau autoroutier ou a contrario de services à tarification réduite car cette offre fonctionne aussi, y compris lorsqu’existe une liaison ferroviaire (ex : Paris – Bruxelles). Le débat doit avoir lieu sur le fait de savoir qui peut prendre l’initiative. Il faudrait, dans l’idéal, être prêts, à la mi-2012, date à laquelle on s’interrogera vraisemblablement sur la suite à donner au conventionnement des trains d’équilibre du territoire (les TET sont conclus pour trois ans). Par exemple, sur une liaison Lyon – Bordeaux, via Clermont-Ferrand, il est possible d’imaginer les deux systèmes : l’Etat peut prendre l’initiative, ou une région chef de file.
Des pays nous montrent l’exemple : l’Espagne et le Portugal, qui ont su acclimater la concession au cas de l’autocar express. L’exemple est bien connu. Partout en Europe, selon des modalités qui différent d’un pays à l’autre – l’Europe du Nord se montrant plus libérale en la matière que l’Europe du Sud –, les voyageurs disposent d’une offre routière moyenne et longue distance. La France, sur ce point, a pris du retard. L’Etat pourrait indiquer clairement quel sera le cadre juridique de son intervention ; il faudra sans doute aménager la maîtrise d’ouvrage publique pour permettre la réalisation des infrastructures nécessaires. Nous ferons des propositions. Je pense au contrat de partenariat, qui offre l’avantage de bénéficier tout de suite d’un équipement et de rester en prise avec l’évolution des technologies de l’information, déterminantes en matière de déplacements. L’infrastructure existe ; elle est même performante. Il faut permettre la mise en place de dispositifs tout aussi performants.
En conclusion, avec la création, à l’initiative des régions, de liaisons moyennes et longues distances, on va élargir la gamme des services de transport public non urbain. Une fois que la loi sera modifiée, le sujet sera entre les mains des élus qui voudront développer des liaisons de pôle à pôle qui répondront à une vraie attente de mobilité interrégionale. Le train ne peut pas tout faire ; parfois, il s’avère plus performant de recourir à l’autocar express, un véhicule plus proche du car de grand tourisme, confortable et sûr, bénéficiant d’équipements modernes, dans la continuité des BHNS que l’on voit se développer dans les zones urbaines.
Par Michel SEYT, président de la Fédération nationale des transports de voyageurs
Publié le 10/12/2024
Publié le 12/09/2024