Président de l’Association française des gestionnaires d’Infrastructures ferroviaires indépendants (AGIFI), également président de Eiffage Rail Express, Loïc Dorbec milite pour que les entreprises privées participent davantage au développement du ferroviaire, que ce soit pour les marchés de régénération ou pour les lignes nouvelles. Selon lui, accepter l’arrivée de nouveaux acteurs augmentera l’efficacité et la part globale du marché.
Ville, Rail & Transports. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui des lignes à grande vitesse réalisées en partenariat public-privé (PPP)?
Loïc Dorbec : Le bilan est très positif et nous partageons cette satisfaction avec notre client SNCF Réseau puisque nous avons réalisé ensemble, dans les temps et dans les budgets, ces projets de lignes à grande vitesse.
Si on se réfère aux indicateurs de performance, ces lignes fonctionnent bien. Ce sont de belles réussites du point de vue opérationnel et environnemental.
Ce modèle de PPP permet à l’Etat d’exprimer de façon plus forte ses exigences environnementales. Nos entreprises vont même au-delà en créant des observatoires environnementaux ou en nouant des partenariats locaux en faveur de l’insertion.
Ces lignes donnent aussi l’opportunité de tester des solutions nouvelles, en termes de techniques, de méthodes de travail, d’outils utilisés.
Nous avons des modèles d’organisations plus souples, et nous pouvons expérimenter de nouvelles façons de travailler, ce que la SNCF n’arrive pas toujours à faire. Par exemple sur la LGV Bretagne-Pays de Loire, nous avons développé un nouveau système de caténaire et l’ingénierie de SNCF réseau a reconnu qu’elle n’aurait pas réussi à développer cette innovation à cette vitesse.
En nous mettant en compétition, SNCF Réseau sait qu’elle pousse les entreprises à être plus performantes, et de manière accélérée, ce que ne permettrait pas un schéma classique, surtout dans le monde si cadré du ferroviaire.
VRT. Quelles sont les perspectives selon vous?
L. D. Depuis quelques années, on observe une dynamique favorable au ferroviaire. Ainsi, la loi permet aux régions de prendre en charge les lignes de desserte fine du territoire. Nous sommes prêts à les aider. Les annonces récentes de lancement de nouvelles LGV représentent aussi une bonne nouvelle. Nous sommes conscients des difficultés de financement. Mais il y a beaucoup d’argent disponible dans la sphère privée. Il y a la place pour des montages faisant appel à des participations privées quelle que soit la forme.
Si on était resté sur des schémas classiques, les quatre LGV lancées par Nicolas Sarkozy auraient été réalisées les unes après les autres. Si on veut continuer à développer le réseau ferroviaire, l’apport des moyens du privé est une force pour accélérer. Nous avons la capacité de respecter les délais.
Aujourd’hui, les outils du PPP n’ont pas bonne presse auprès de Bercy. Mais il faudra bien qu’à un moment, la réalité économique prime sur les postures conceptuelles. Nous entendons les inquiétudes sur le manque de transparence. Nous travaillons pour rassurer les collectivités sur ces aspects. Je suis persuadé que des PPP finiront par être lancées, quelles que soient leurs formes.
VRT. Comment accompagner la modernisation du rail?
L. D. Nous contribuons tous les jours à la modernisation du réseau. Nous mettons en place des innovations grâce à la digitalisation. SNCF Réseau fait face à des enjeux particuliers avec la commande centralisée du réseau et aimerait fait appel aux privé pour avancer sur ce dossier, comme cela a été fait pour GSM-Rail. (Global système for mobil communications) Cela permettrait d’accélérer le déploiement de solutions plus modernes.
L’Etat ne donne pas les moyens budgétaires suffisants pour régénérer le réseau. Au lieu de 2,8 milliards d’euros, il faudrait plutôt 3,5 ou 4 milliards d’euros annuels. Plusieurs options sont possibles, notamment faire appel à du financement privé, ce qui permettrait de régénérer le réseau plus rapidement. Il faut aussi dimensionner l’enveloppe par rapport à la capacité de Réseau à mettre en oeuvre les travaux de régénération. Nous avons cette capacité et la LOM va nous permettre de le montrer sur les petites lignes.
VRT. Que préconisez-vous pour y arriver?
L. D. Il faut commencer par établir un diagnostic de l’existant. Aujourd’hui, il y a un manque de connaissance. Il faudrait faire le bilan pour savoir comment régénérer et à quel prix.
Prenons un exemple : il y a quelques années, il a été décidé qu’il fallait supprimer tous les passages à niveau dangereux. Mais une commission parlementaire a fait une enquête et est arrivée à la conclusion que cette décision a des effets négatifs car on va moins vite. Donc la commission parlementaire pense qu’il vaudrait mieux investir dans la modernisation pour le même budget plutôt que de supprimer des PN.
VRT. Quelles sont aujourd’hui les principales demandes de la profession que vous représentez?
L. D. Il ne faut pas se tromper de combat : il n’y a pas de concurrence entre le privé et le public. Notre plus grand adversaire, ce sont les autres modes de transport. Dans un monde où la prise de conscience écologique est de plus en plus forte, il faut surtout développer le ferroviaire. Tout le monde pourra gagner correctement sa vie si le ferroviaire se développe. Cela peut paraître difficile à comprendre au sein de la SNCF. Mais il faut dépasser ces incompréhensions et voir que nous pouvons travailler ensemble et développer ensemble au lieu d’empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs. Développer la concurrence augmentera la part de marché dans l’intérêt de tous. Osons la diversité! Elle est génératrice de plus d’intelligence collective.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt