Bloomberg l’a publié le 11 avril. Selon l’agence d’information économique et financière, Siemens et Bombardier pourraient réunir leurs activités
ferroviaires (construction, signalisation) dans une entreprise commune estimée au bas mot à 10 milliards d’euros. Soit l’addition de Siemens Mobility, évalué par les analystes de la Société Générale à 7,2 milliards d’euros, et de 70 % des cinq milliards d’euros que vaut Bombardier Transport selon Veritas Investment Research Corp. 70 %, car le groupe familial Bombardier a cédé l’an dernier 30 % à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Les chiffres d’affaires sont comparables. Pour 2016, Siemens Mobility a réalisé un CA de 7,825 milliards d’euros, et un bénéfice de 678 millions. Bombardier Transport un CA de 7,128 milliards d’euros, et un Ebit de 373 millions.
Les discussions entre les deux groupes seraient bien avancées. Elles auraient commencé au début de 2017 et pourraient conduire à un deal vers le milieu de l’année. Comme il se doit, à Munich (Siemens) et à Montréal (Bombardier), les groupes se sont abstenus de commenter. Les Bourses y ont cru, les actions des deux groupes s’appréciant, tandis que celles d’Alstom fléchissaient.
Cela fait vingt ans qu’on parle de la fusion prochaine de deux des trois grands européens du ferroviaire. En pointant des surcapacités, eu égard au marché. Mais depuis le temps qu’on parle d’Airbus du ferroviaire, les trois « gros » sont toujours là. Et, même, des constructeurs de moyenne importance sont venus les taquiner. Mais, depuis deux ans, on a l’impression que l’heure d’un regroupement a sonné.
C’est la création de CRRC, le 1er juin 2015, du méga chinois né de la fusion de CSR et de CNR, qui force les groupes à l’envisager.
La cession d’Alstom Power à General Electric a donné lieu à des contre-propositions. Siemens tend alors la main à Alstom : créons un Power commun plutôt allemand, et un Transportation plutôt français (mais avec une signalisation nettement allemande…). Ce fut nein à la proposition de Joe Kaser, le patron de Siemens, qui veut créer un groupe capable d’affronter la menace chinoise. Puis Emmanuel Macron, succédant à Arnaud Montebourg au ministère de l’Economie et de l’Industrie, envisage une alliance Alstom-Bombardier. Sans succès. Manquait la troisième combinaison possible. La solution Siemens-Bombardier. La voici avancée.
La situation actuelle des deux groupes est contrastée. Bombardier va mal. Et Siemens va bien. Bombardier, pris à la gorge par les déboires de son aéronautique, a cherché à vendre sa branche transport ou à en ouvrir le capital. Le groupe, sauvé par l’entrée au capital de la Caisse de dépôt et placement du Quebec, a pu repousser une offre de CRRC. Mais, d’un avis général, l’entrée au capital de la Caisse ne faisait que retarder l’heure des échéances. Pour les Canadiens, c’est l’aéronautique qui est centrale. C’est d’ailleurs la branche Transport du groupe, essentiellement européenne, qui doit être la principale victime d’un nouveau plan de suppression de 7 500 emplois dans les effectifs de tout le groupe, d’ici fin 2018…
En revanche, la rentabilité du Transport de Siemens s’est améliorée ces trois dernières années. Et cette activité fait partie d’un groupe extrêmement puissant, qui approche les 80 milliards d’euros. En toute logique, l’accord, s’il se conclut, devrait accorder une place déterminante au conglomérat allemand. D’autant qu’il est constant dans sa politique de proposition d’alliance européenne.
Si jamais les groupes s’entendent, il faudra convaincre les syndicats qui savent bien que la fusion veut dire casse sociale, dans un contexte difficile pour Bombardier. Et convaincre la Commission européenne qui, jusqu’à présent, a soigneusement évité la création de champion européen, au nom de la concurrence libre et non faussée.
Les temps ont changé. On entend parler de-ci de-là de « protectionnisme européen ». Henri Poupart-Lafarge, le patron d’Alstom, reconnaît que les industriels européens doivent cesser d’être face à leurs concurrents asiatiques « les idiots de la bande ». Le Parlement européen a adopté la résolution de la députée SPD allemande Martina Werner, invitant la Commission à soutenir l’industrie ferroviaire européenne.
Reste qu’il faudra sans doute, si l’opération a lieu, que le nouveau groupe cède des activités en Allemagne, où Bombardier et Siemens sont puissamment implantés. Comme l’est d’ailleurs Alstom. C’est à la faveur de tels regroupements que Stadler a pris son essor. Et c’est un dossier que devrait suivre de près le groupe chinois CRRC, à la recherche d’acquisitions, et qui a du mal à conclure avec Skoda.
Au Canada, la presse est extrêmement attentive à l’affaire Bombardier. Mais ces derniers temps, ce n’est pas la perpective de la fusion avec Siemens qui l’a intéressée. C’est l'augmentation -jugée scandaleuse – que voulaient s’accorder les six principaux dirigeants de Bombardier. 50 % pour 2016 par rapport à l’exercice précédent. Une enveloppe passant de 21,9 millions à 32,6 millions de dollars US. Ils ont foiré la mise en service de leur avion régional, l’argent public les a sauvés. Ils ont considéré qu’ils devaient en être récompensés. Tollé au Canada. Ils ont dû y renoncer, mais provisoirement. L'augmentation interviendrait en 2020.
F. D.