Pour le think tank dirigé par Jean-Marc Jancovici — qui vient de publier son Plan de transformation de l’économie française — on ne peut, pour réduire les gaz à effet de serre dûs au transport, miser sur la seule électrification des véhicules. Laurent Perron, pour le Shift Project, demande qu’on joue d’abord sur la demande de transport, qu’on privilégie les véhicules légers, qu’on soutienne les filières moins voraces en énergie que la voiture individuelle. Et appelle à la planification d’une politique de sobriété.
Interview de Laurent Perron, chef de projet Industrie automobile, The Shift Project.
VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?
Laurent Perron. Le secteur des transports, qui représente environ 1/3 des émissions nationales, est le seul à ne pas avoir baissé depuis 1990. Il a même augmenté de 12% entre 1990 et 2015.
A elle seule, la voiture particulière représente 16% des émissions nationales.
Et pourtant, l’objectif reste la décarbonation complète du transport routier d’ici 2050. La transition vers l’électrification de la mobilité est présentée comme la (seule ?) voie permettant de respecter cet engagement.
Mais ne s’intéresser qu’à la réduction des émissions à l’échappement (ou à l’usage) occulte une grande partie de la problématique de la mobilité, notamment automobile. La demande de mobilité (le nombre de kilomètres.passager parcourus), le taux d’occupation des véhicules, le choix des modes de transport et l’empreinte carbone complète (donc y compris les émissions de fabrication et de fin de vie des véhicules et celles de production des vecteurs d’énergie) doivent être considérés pour décarboner sérieusement les transports.
La nécessaire prise en compte de ce périmètre complet conduit à formuler plusieurs propositions pour la prochaine mandature :
- Orienter l’offre et la demande vers des véhicules légers par la mise en place d’un système de bonus sur la masse pour l’achat de véhicules neufs, et par la sévérisation du malus.
- Orienter la réglementation vers la prise en compte du cycle de vie complet des véhicules et pas seulement des émissions à l’usage, en rendant obligatoire l’affichage de l’empreinte carbone des véhicules neufs. Cet affichage sera un 1er pas vers une réglementation européenne basée sur l’Analyse du Cycle de Vie, permettant l’émergence de véhicules sobres et bas carbone
- Soutenir massivement les filières et les solutions de mobilité moins voraces en énergie et matière que la voiture individuelle (train assez rempli, vélo y compris à assistance électrique, multimodalité…
VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?
L. P. Le quinquennat qui s’achève aura été marqué par des crises majeures en lien avec la mobilité et l’automobile. La crise des gilets jaunes a montré la dépendance d’une partie importante de la population à la voiture, à travers le coût des carburants. Si la sortie des énergies fossiles, en particulier le pétrole, dont les transports dépendent à plus de 90%, est indispensable, elle doit être socialement juste.
Force est de constater que l’accès au plus grand nombre à des véhicules sobres n’est pas assuré aujourd’hui, compte tenu des prix des véhicules électriques et hybrides. En complément, les objectifs de déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques ne seront pas atteints, alors qu’elles constituent une condition indispensable du développement massif de l’électromobilité. La crise sanitaire a quant à elle pointé la dépendance de l’industrie des transports non seulement au marché et aux approvisionnements extérieurs, mais aussi au soutien des politiques publiques. La nécessité de la réindustrialisation sur le territoire et d’une maîtrise plus importante de la chaine de valeur est maintenant prise en compte, même si elle peut paraître tardive.
On peut également noter les évolutions récentes, qui restent cependant à pérenniser et à renforcer, sur le développement des alternatives à la voiture, comme le train ou le vélo.
VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?
L. P. Un des enjeux majeurs de la mobilité pour les prochaines années sera de rendre la transition actuelle socialement juste. Un soutien différencié selon les contraintes de revenus et de mobilité doit être mis en place de manière à rendre cette transition rapide et massive. Cela peut par exemple passer par des systèmes d’ajustement des incitations en place.
L’emploi sur le territoire est évidemment un enjeu social fort. L’accompagnement des compétences et des nouvelles filières de mobilité est à mettre au cœur des prochaines politiques industrielles
VRT. Question subsidiaire : De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?
L. P. La décarbonation des transports ne peut être envisagée que de façon systémique, en prenant en compte l’ensemble des déterminants des émissions et des externalités. Miser tout sur le seul levier ou progrès technologique ne nous permettra probablement pas d’atteindre les objectifs climatiques, sociaux ou de résilience, qui plus est si on ne retient qu’une technologie comme l’électromobilité. L’électrification des 40 millions de voitures roulant en France paraît difficilement soutenable. La mise en œuvre de politique de sobriété doit désormais être planifiée.