Présent sur le territoire depuis dix ans, CarPostal France gère aujourd’hui 8 réseaux urbains et 5 départementaux. L’opérateur de transport, qui s’inspire de l’expérience acquise en Suisse par sa maison-mère, est essentiellement implanté dans la grande moitié Est de la France. Il s’intéresse toutefois à l’Ile-de-France où les perspectives sont prometteuses. Nathalie Courant, directrice générale de CarPostal France, expose les avancées et les projets du groupe à VR&T.
Ville, Rail & Transports. Cela fait dix ans que CarPostal s’est implanté en France. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
Nathalie Courant. Notre histoire est particulière car ce sont les élus de Dole qui sont venus nous chercher en Suisse pour que nous gérions le réseau urbain de la ville. Ils nous ont choisis car ils connaissaient la qualité de notre service. Avec le temps, nous avons répondu à des appels d’offres en France. Par exemple à Haguenau dans le Bas-Rhin où nous avons créé le réseau. Nous avons mis en place toutes les recettes qui font le succès du transport public, en particulier une offre cadencée.
En 2006, nous avons décidé d’avoir un siège en France. Le développement s’est accéléré en 2009, tant dans l’urbain que dans l’interurbain (un domaine que nous avons investi à partir de la fin 2008).
Nous avons un cœur de cible bien défini : les agglomérations de petite et moyenne taille, ainsi que les départements à partir du moment où les lots proposés sont suffisamment importants pour nous permettre d’être compétitifs. Nous pouvons répondre à des offres portant sur des lots de petite taille si nous sommes déjà installés dans un département. Sinon, il nous faut un volume d’affaires suffisant qui nous permettent de nous implanter. Nous avons fait le choix d’investir dans l’expertise pour avoir des réponses pertinentes.
C’est une stratégie claire et assumée : nous savons dans quels domaines nous sommes bons. Notre développement se fait de façon régulière.
Aujourd’hui, CarPostal France gère 8 réseaux urbains et 5 réseaux dans des départements. Sur 2014, en année pleine, notre chiffre d’affaires atteint 80 millions d’euros. Il s’élevait à 75 millions en 2013.
VR&T. Quels sont vos objectifs ?
N. C. Nous nous développons soit en remportant des appels d'offres, soit en acquérant des entreprises. Quand nous avons racheté l’entreprise Rochette dans la Loire, d’un seul coup, nous avons bénéficié d’une nouvelle base de développement.
Notre objectif, c’est de gagner une ou deux implantations par an et de ne pas en perdre. C’est ce que nous avons réussi jusqu’à présent. Nous avons ainsi conservé les deux contrats que nous gérions et qui ont été remis en appel d’offres : Bourg-en-Bresse et Haguenau. Nos clients nous renouvellent leur confiance car ils apprécient notre professionnalisme et les valeurs du groupe. Mais nous nous fixons des limites : nous ne pourrions pas augmenter de plus de 50 % notre chiffre d’affaire sur un an car cela ne serait pas raisonnable.
VR&T. Avez-vous l’ambition de passer à la vitesse supérieure en offrant vos services à des agglomérations plus importantes ou en étendant votre implantation géographique?
N. C. Nous ne souhaitons pas nous éparpiller, y compris géographiquement. Nous sommes surtout présents dans la grande moitié Est de la France. Nous souhaitons nous maintenir dans cette zone géographique. La structure de l’entreprise doit être adaptée à notre volume d’affaires. Mais nous intégrons aussi l’Ile-de-France dans notre développement car c’est un marché qui offre de belles perspectives. Demain, nous nous porterons candidats à des appels d’offres en Ile-de-France. Mais pas tous : tout dépendra de la façon dont seront lancés les appels d’offres.
VR&T. Lesquels ?
N. C. Nous ne pourrons pas être un acteur aussi important que les groupes puissants qui s’intéressent au territoire francilien. Mais nous pourrions nous intéresser à la deuxième ou à la troisième couronne parisienne. A partir de là, nous pourrons envisager quels sont les potentiels de développement. Mais nous ne pourrons pas nous battre sur tous les fronts. Je vous rappelle que nous n’avons pas de compétences dans le domaine du transport ferroviaire ou du tramway. Et nos équipes ne sont pas pléthoriques.
Aujourd’hui tout est centralisé sur notre siège qui est finalement assez léger : nous sommes une quarantaine de salariés au siège. Si l’on inclut tous les salariés en France, CarPostal emploie 1 000 personnes. Peut-être un jour faudra-t-il redévelopper nos structures de siège ou en région.
VR&T. Vous inspirez-vous des pratiques suisses pour élaborer votre offre de service ?
N. C. Le cadencement et le passage systématique en gare rendent les transports publics très attractifs : par exemple sur le réseau urbain de Villefranche-sur-Saône, le trafic voyageurs a augmenté de +70 % entre 2009 et 2013. C’est une évidence, la qualité de l’offre attire les clients.
Nous bénéficions aussi de toutes les innovations développées en Suisse par le groupe CarPostal. Par exemple le dyn paper : c’est un affichage électronique des horaires installé aux points d’arrêts, qui donne également des informations sur les situations perturbées. Alimenté grâce au solaire, il est actuellement en phase de test. Si l’expérience est jugée concluante, il sera implanté dans 14 000 stations en Suisse. Nous le testerons également à Villefranche-sur-Saône et dans la Loire, donc en réseau urbain et interurbain.
Autre innovation qui donnera un temps d’avance à notre groupe : depuis trois ans, 5 cars fonctionnant avec une pile à combustible circulent en Suisse en Argovie. CarPostal dispose de sa propre station de distribution en hydrogène. Pour aller plus loin dans ce domaine, nous faisons aussi partie du projet européen CHIS (Clean hydrogen in european cities), un projet sur 5 ans dans 8 villes européennes. Enfin, CarPostal vient de créer un labo de la mobilité avec l’Ecole fédérale polytechnique de Lausanne pour faire de la recherche sur des innovations liées à la mobilité.
VR&T. Quelles différences observez-vous entre les marchés suisse et français ?
N. C. En suisse, l’investissement en faveur du voyageur est très important. L’utilisation massive des transports publics en Suisse est culturelle. C’est certainement la différence essentielle même si, en France, il y a eu une phase de développement très importante des transports collectifs. Mais on voit bien aujourd’hui que les ressources des collectivités sont très contraintes. Et on entend qu’il faut optimiser au maximum pour être le plus efficace possible.
En Suisse aussi bien sûr, les autorités organisatrices font attention aux enveloppes budgétaires et demandent un ajustement optimisé de l’offre. Mais peut-être parvient-on mieux à différencier les heures de pointe des heures creuses. Par exemple en utilisant des bus XXL pour lesquels on ajoute une remorque à certaines heures pour coller à la demande. En France, ce n’est pas possible car il faudrait des gares routières adaptées.
VR&T. Le marché sur lequel vous évoluez est-il fortement concurrentiel ?
N. C. Nous sommes en concurrence avec les grands groupes qui, même s’ils misent sur l’international, se positionnent sur des réseaux de taille moyenne et petite.
Dans l’interurbain, en outre, il y a beaucoup d’entreprises locales ou familiales qui sont souvent performantes. Le marché est donc très concurrentiel.
Il n’y a pour le moment en France, en tant qu’opérateurs européens, que Vectalia et nous. La libéralisation du transport ferroviaire incitera peut-être demain d’autres groupes européens à se présenter sur le marché.
Reste aussi maintenant à savoir quelles seront les incidences de la réforme territoriale et de la création des métropoles.
VR&T. Diriez-vous, comme on l’entend souvent, que les marges des opérateurs de transport public sont très faibles, voire parfois inexistantes ?
N. C. Je parlerai plutôt de la notion du juste prix. Mais nous ne prenons jamais de marchés à pertes. Nous ajustons le produit au prix. Nous arrivons à proposer des variantes ajustées aux capacités financières des collectivités.
Nous avons aussi une pratique d’écoute et de pragmatisme pour ajuster notre offre et faire du sur-mesure. Ce ne sont pas que des mots. Nous avons récemment réalisé une étude de notoriété auprès d’élus et de responsables techniques Transport. Nous avons constaté que c’est surtout grâce au bouche à oreille que nous sommes connus. Et même si on ne nous connaît pas directement, nous bénéficions d’une très bonne image.
VR&T. Quelles grandes tendances observez-vous dans les demandes des collectivités locales ?
N. C. On parle plus de mobilité que de transport. Et on intègre les modes de transport autres que le transport public, comme le vélo, l’auto-partage… Nous avons évidemment intégré une chaîne complète de mobilité comme cela se fait en Suisse. A Berne, quand vous descendez du train, vous vous retrouvez tout de suite dans une gare routière dotée d’un parc à vélos et connectée aux transports publics. Tout est facile pour le client. Nous continuons à travailler dans cette direction pour avoir la palette de services la plus étendue possible.
Propos recueillis par Marie-Hélène POINGT