Le nouveau pacte ferroviaire voté en 2018 a permis de dynamiser le secteur, affirme une mission parlementaire qui a essayé de mesurer l’impact de cette réforme. Le 10 mai, devant la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoires de l’Assemblée nationale, les deux co-rapporteurs, Emmanuel Maquet (LR, Somme) et David Valence (Renaissance – Apparenté au groupe, Vosges) ont estimé que cette loi n°2018-515 qui a nécessité l’élaboration de nombreux textes et ordonnances, est désormais « stabilisée et en voie d’appropriation par les autorités organisatrices des transports ».
Elle a non seulement permis de fixer les modalités d’ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs mais aussi transformé en profondeur le groupe SNCF, avec une holding de tête devenue société anonyme dont le capital est intégralement détenu par l’Etat et incessible. Cela dans un contexte de « stagnation, voire de baisse de l’offre ferroviaire, contrairement à la plupart des autres pays européens » et alors que la France avait fait le choix d’attendre avant d’ouvrir à la concurrence, quand la Suède s’y est mise en 1990, l’Allemagne entre 1998 et 2014 et l’Italie à partir de 2003.
D’autres sociétés anonymes ont vu le jour, dont SNCF Réseau, SNCF Voyageurs, Gares & Connexions, Fret SNCF… « D’après nos auditions, cette nouvelle architecture a permis de responsabiliser en clarifiant les compétences dévolues et de donner une plus rigueur dans la gestion financière et opérationnelle. En revanche, SNCF Réseau n’a pas encore adopté une démarche commerciale volontariste, ou seulement embryonnaire, en utilisation optimale de chaque sillon, », affirme Emmanuel Maquet. Or, l’implication de SNCF Réseau est la clé de la réussite, ajoute-t-il.
Baisse des prix de 23 %
Même si l’ouverture à la concurrence peut sembler lente, indiquent les rapporteurs, « le calendrier est raisonnable, pas surprenant, le processus est bien lancé et progressif « . L’approche adoptée a été pragmatique, avec l’objectif de renforcer les circulations de trains et de baisser les tarifs. Ainsi, l’arrivée en décembre 2021 de Trenitalia sur l’axe Paris-Lyon a permis d’augmenter l’offre et le trafic (+15 %), et de réduire les prix de 23 % entre septembre 2019 et octobre 2022, estiment les députés. Selon eux, pour les services librement organisés (SLO) ouverts à la concurrence depuis le 13 décembre 2020, le marché français présente un potentiel important et la dynamique devrait se poursuivre comme en témoignent les quarante-deux notifications émises auprès de l’Autorité de régulation des transports (ART) par six entreprises ferroviaires souhaitant opérer des SLO.
S’agissant des services conventionnés, la loi donne le droit aux régions de passer directement des contrats avec la SNCF jusqu’en décembre 2023 et pour une durée de dix ans. « C’est ce qu’ont fait l’Occitanie, la Bretagne et le Centre Val de Loire« , rappelle Emmanuel Maquet. Mais, ajoute-t-il, ces régions ont aussi bénéficié de la pression de l’ouverture de la concurrence qui leur ont permis d’obtenir des avancées de la part de la SNCF. « Ainsi, le Centre Val de Loire a pu doubler le montant de ces pénalités« , indique par exemple l’élu.
Du côté des régions qui ont lancé des appels d’offre (le Sud, les Hauts-de-France, Pays de la Loire, Grand Est), celles qui ont déjà choisi leurs opérateurs (Sud et Hauts-de-France) vont gagner en qualité de service avec une offre renforcée (14 allers-retours sont prévus par exemple sur la liaison Marseille-Toulon-Nice contre 7 actuellement, et un engagement sur une baisse de 40 % des retards). Ces démarches s’accompagnent d’une montée en compétence des régions, assure le député.
Pour les trains d’équilibre du territoire (TET, 7 trains de jour et 5 de nuit), le calendrier d’ouverture à la concurrence est satisfaisant mais le rapport s’inquiète de la faiblesse des effectifs chargés de sa mise en oeuvre. Entre 5 à 7 équivalent temps pleins sont seulement affectés à ces lignes dans les services de l’Etat.
Péages trop élevés
Des obstacles pourraient toutefois entraver toute cette dynamique. Le business model du système ferroviaire n’est pas assuré, estiment les députés. La situation, fragile, repose sur le postulat d’une hausse des ressources de SNCF Réseau qui n’est pas garantie. Or, le réseau vieillissant nécessite un effort financier accru, tant pour la régénération que pour la modernisation. Le rapport plaide pour l’élaboration d’une loi de programmation donnant de la visibilité sur les investissements à venir et les montants à consentir.
Autre frein : le montant des péages, « l’un des plus élevés d’Europe ». Selon Emmanuel Maquet, « il représente 40 % du coût du billet contre 30 % en Allemagne ou 15 % en Suède« . Le rapport propose de lancer une réflexion sur le sujet.
Il prône aussi un accès équitable et transparent à toutes les données. En particulier sur la maintenance. Les régions ont notamment fait part aux enquêteurs des difficultés de transmissions d’informations sur ce thème primordial pour pouvoir lancer des appels d’offres. D’où l’importance de l’ART, dont les moyens doivent être sécurisés, insiste le rapport.
Par ailleurs, la création de sociétés de location de matériel roulant pourrait faciliter l’arrivée de nouveaux opérateurs, surtout les plus petits d’entre eux, qui doivent faire face à d’importants investissements. La Caisse dépôts et consignations pourrait y être impliquée, suggèrent encore les auteurs du rapport.
Pour faciliter la vie des usagers, qui feront face à l’avenir à une offre fragmentée en autant de sociétés ferroviaires qu’il y aura de lots à exploiter, les députés estiment que l’appli SNCF Connect (« privilégiée par les voyageurs« , selon eux) ne devrait pas se restreindre aux seuls voyages proposés par la SNCF mais s’ouvrir aussi à ses concurrents.
Dernier bémol, le nouveau pacte ferroviaire ne semble pas avoir remporté l’adhésion du personnel SNCF, estiment les députés, la concurrence continuant à susciter une hostilité très forte parmi le personnel SNCF, « parfois systématisée », commentent-ils. Par ailleurs, les critiques souvent entendues sur le manque d’attractivité de la SNCF depuis la réforme sur la fin de l’embauche au statut ne les convainquent pas. Toutes les entreprises en France connaissent ce même type de difficultés, rappellent-ils.
Marie-Hélène Poingt