C’est l’heure de vérité sur les règles sociales qui vont s’appliquer au secteur ferroviaire avec l’ouverture à la concurrence. Selon nos informations, l’UTP (l’Union des Transports Publics, la fédération patronale du secteur) a en effet envoyé le 7 janvier aux organisations syndicales le texte de la convention collective concernant les rémunérations et les classifications des métiers.
Ce texte a été obtenu au terme de deux longues et difficiles années de négociations, tant du côté patronal favorable à la mise en place d’obligations minimales que du côté des organisations syndicales demandant le décalque pur et simple des règles appliquées à la SNCF.
« Dans le même temps, le gouvernement faisait pression pour que l’on aboutisse rapidement. Et personne ne s’attendait à ce qu’on termine les négociations en plein mouvement de grève. Finalement, on a trouvé le meilleur compromis possible au sein des adhérents du conseil d’administration de l’UTP », affirme un des membres.
Des salaires minimums en dessous des pratiques
Côté rémunérations, les montants des salaires minimums retenus par le texte sont plutôt en dessous de ce qui se pratique actuellement dans les entreprises ferroviaires, mais se rapprochent des rémunérations en cours à la SNCF. D’après des représentants d’entreprises privées, qui ont réalisé des benchmarks, les salaires pratiqués dans le privé sont en effet plus élevés qu’à la SNCF. De plus, font-ils valoir, certains métiers étant particulièrement sous tensions (au premier rang les conducteurs), les salaires devraient plutôt tendre à la hausse à l’avenir. « On ne devait pas connaître de dumping social », affirme un représentant de l’AFRA (Association française du Rail, qui rassemble les opérateurs alternatifs à la SNCF), résumant l’avis général.
Par ailleurs, le texte de la convention collective acte le principe de négociations salariales annuelles, selon un représentant syndical. Il prévoit aussi le versement de primes d’ancienneté avec des grilles précises pour les différentes catégories de salariés, employés, agents de maîtrise et cadres, les primes étant calculées sur le salaire réel. Il fixe aussi des indemnités supplémentaires pour les jours fériés.
Contrairement aux règles appliquées par la SNCF qui aboutissent à des avancements automatiques de carrière (et qui étaient réclamés par les syndicats), le texte laisse aussi aux entreprises la liberté d’organiser le déroulement de carrière de leurs salariés. Mais les représentants syndicaux ont obtenu un encadrement de ces processus d’évolution des carrières, qui devront s’inscrire dans des échelles de niveaux.
Des marges de liberté pour organiser la polyvalence
Côté classifications, un sujet très technique mais qui a d’importantes conséquences sur l’organisation du travail et la productivité, le texte a défini 150 emplois « types », tout en laissant une marge de liberté aux entreprises pour définir leurs propres postes (alors que les syndicats demandaient un encadrement strict avec des emplois « repères »). Et il définit de façon large la polyvalence, permettant là encore aux entreprises de s’organiser comme elles le souhaitent.
Une signature avant le 24 janvier
Reste maintenant à voir quelles organisations syndicales signeront le texte d’ici au 24 janvier, date butoir. Pour qu’il soit validé, il faut la signature d’organisations syndicales représentant au moins 30 % des salariés. On pense à l’Unsa Ferroviaire et la CFDT-Cheminots qui devraient reconnaître des avancées et pourraient signer. Mais quelle sera la position de la CGT-Cheminots et de Sud Rail qui sont en position de rejeter l’accord, représentant à elles deux plus de 50 % des salariés ? Dans le contexte actuel de très fortes tensions, personne ne se risque à faire des pronostics. D’autant que Laurent Brun a déjà dénoncé dans nos colonnes une « convention de branche a minima ».
Des tensions au sein de l’UTP
Il n’y a pas que des représentants syndicaux qui critiquent le texte. Côté patronal, certaines entreprises craignent des surcoûts et estiment que la SNCF s’en est bien sortie. Selon nos informations, Europorte (qui a pourtant négocié un accord d’entreprise reconnu de haut niveau) s’est même posé la question de son maintien au sein de l’UTP, et Eurotunnel devrait quitter l’organisation patronale.
Cette dernière nuance la portée de la convention de branche, qui est « un accord de haut niveau très structurant » mais qui n’est, en même temps, que le premier étage de la fusée. Le second étage sera constitué des accords d’entreprise que les différents opérateurs doivent maintenant négocier en interne avec des règles qui pourront être plus favorables. Et l’UTP prévient : si jamais le texte de la convention collective n’est pas signé, c’est le Code du travail, moins favorable, qui s’appliquera.
Marie-Hélène Poingt