Le rapport de la Cour des comptes présenté le 25 janvier sur la gestion des ressources humaines à la RATP tombe à point nommé : il intervient quelques jours après l’intervention de Valérie Pécresse, la présidente de l’Ile-de-France, demandant plus de souplesse dans le temps de travail des conducteurs de bus que ne le prévoit le projet de décret sur le cadre social territorialisé (CST) précisant les conditions de travail des agents avec l’ouverture à la concurrence des lignes de bus RATP.
Si les Sages estiment que la RATP n’est pas assez préparée pour répondre aux futurs appels d’offres dans le cadre de cette compétition, ils l’expliquent en partie « par un défaut d’anticipation de la part de l’Etat ». Ce qui place, selon eux, « l’entreprise dans une position délicate » pour négocier « une nouvelle organisation du travail pour ses conducteurs de bus ».
S’ils reconnaissent toutefois des progrès en matière de productivité mis en œuvre, ils estiment que l’organisation du travail et l’accumulation de dispositifs avantageux génèrent des surcoûts de nature à pénaliser l’entreprise dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
Les auteurs du rapport rappellent ainsi que le temps de travail effectif à la RATP est très inférieur à la norme de 1 607 heures annuelles et même au temps de travail annuel théorique défini par les accords internes. Il oscille entre 6 h 30 et 7 h 34 selon les métiers, indiquent-ils. Mais la moyenne effective constatée en 2018 est inférieure pour les mainteneurs, les agents de station et des gares et les conducteurs du ferré, écrivent-ils, précisant qu’une part importante du temps de présence des conducteurs des métros et des RER correspond à ce que la RATP appelle « autres temps productifs », notamment des temps durant lesquels aucune tâche précise ne leur est demandée.
De plus, souligne le rapport, le temps de travail est organisé dans le cadre d’un plafond journalier, qui rigidifie l’organisation du travail. La Cour estime que cela complique la tâche de l’entreprise et cela se traduit par une perte de productivité. Elle recommande de calculer le temps de travail sur un cycle de quelques semaines et non à l’échelle de chaque jour, ce qui donnerait davantage de marges de manœuvre pour mieux employer les agents. Mais le sujet est sensible et la RATP a renoncé, il y a quelques années, à le réformer après avoir perdu plusieurs fois auprès des recours d’organisations syndicales.
La Cour des comptes distingue toutefois les conducteurs de bus des autres. Le temps de travail est de 6 h 42 pour les conducteurs de bus et de 6 h 30 pour les conducteurs travaillant sur le réseau ferré. Mais si les conducteurs de bus travaillent moins longtemps que leurs collègues dans des réseaux de bus de province, ils sont aussi moins absents. Ce qui conduit à relativiser les comparaisons. De plus, les conditions de travail difficiles à Paris et en banlieue justifient aussi ces aménagements.
En revanche, la Cour des comptes pointe le temps de travail « particulièrement limité » des conducteurs de métro et de RER. « Les contraintes d’exploitation ne suffisent pas à (l’) expliquer », écrit la Cour, pour qui ce cadre social est largement hérité de l’histoire. Pour le comprendre, il faut remonter aux négociations sur le temps de travail, qui avaient abouti à donner 17 jours de RTT alors que le temps de travail de ces agents était déjà calculé sur 38 heures. Autre critique formulée : le service sur le métro et le RER n’est pas fractionné. En le divisant en deux fois, « on pourrait augmenter le temps de conduite journalier en restant dans des limites raisonnables » .
Selon la Cour, la RATP doit donc « impérativement réexaminer les règles qui encadrent ses différentes activités en concertation avec les organisations syndicales », en augmentant notamment « la durée effective de travail des conducteurs du métro et de RER ».
Le gendarme des comptes public a aussi des mots très durs contre le système des primes mis au point, qualifié de « complexe », « illisible » et « incohérent »… A tel point qu’il y a de fréquentes erreurs, et que même les agents ne le comprennent pas ! Ces primes s’expliquent notamment par le fait que chaque département négocie ses propres accords. « Certaines peuvent être détournées de leur objectif initial et utilisées pour éviter un conflit social ».
Les grilles salariales sont aussi critiquées : elles sont « coûteuses », « inflationnistes » et « inadaptées aux besoins ». Résultats d’une double évolution, ancienneté et choix de l’encadrement, elles ont contribué à faire bondir les dépenses de personnels : + 12,2 % entre 2012 et 2018.
D’où l’appel de la Cour à quasiment tout remettre sur la table en revoyant les règles de progression de carrière, en simplifiant le dispositif indemnitaire, en baissant les primes à l’acte et en renforçant le caractère incitatif des primes de performances… Et en assurant plus de contrôles.
Marie-Hélène Poingt
C’est la fin d’une époque : à partir du 15 décembre, on n’entendra plus le strident coup de sifflet qui donnait le départ des trains. Les chefs de gare vont disparaître, laissant aux conducteurs la responsabilité de se donner à eux-mêmes le top départ.
En pratique, avant d’actionner les commandes et de s’élancer, l’agent de conduite devra s’assurer que quatre conditions sont remplies : est-ce que le train est prêt ? Est-ce que tous les voyageurs sont bien montés à bord ? Est-ce que le signal est ouvert, autorisant le démarrage ? Tout en s’assurant bien sûr de respecter l’heure du départ. Quatre vérifications actuellement effectuées par plusieurs agents, alors que demain c’est le tractionnaire qui aura en main toutes les informations.
En réalité, cette procédure de départ des trains n’est pas totalement nouvelle. Elle est déjà appliquée sur 9 000 des 15 000 trains quotidiennement assurés par la SNCF. C’est en particulier le cas des trains Equipés agent seul (EAS) en Ile-de-France et d’une partie des TER (40 % environ). Les TGV sont donc principalement concernés, ainsi que les Intercités, auxquels s’ajoutent 60 % des TER et une partie des Transilien.
Harmonisation européenne
Si la SNCF franchit ce nouveau cap aujourd’hui, c’est pour respecter les règles européennes, explique-t-elle. « C’est une mise en conformité européenne sous le contrôle de l’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire, ndlr). Elle concerne toutes les entreprises ferroviaires qui roulent en France », souligne Frédéric Delorme, le directeur général Sécurité de la SNCF. « Les règles deviennent identiques à celles mises en place en Allemagne, Belgique, Suisse ou Italie. Cela améliore l’efficacité globale et simplifie les procédures, car tout le monde fait la même chose », ajoute-t-il.
La SNCF se prépare à la généralisation de ces procédures depuis 2018. « Tous les conducteurs ont été formés collectivement et ont bénéficié d’une formation complémentaire individualisée », explique le directeur général chargé de la sécurité.
Toutefois, dans un premier temps, qui durera six mois, il est prévu d’accompagner le changement en « gardant du monde en soutien sur les quais », puis de réaliser un retour d’expérience. Il n’y aura donc pas de suppressions de postes sur les quais pendant les six premiers mois de l’année, le temps de voir comment cela se passe. Mais la SNCF n’indique pas le nombre de postes qui pourrait être menacé à terme.
Des agents en assistance dans certaines gares
Dans certaines gares, il est d’ores et déjà certain que des agents seront toujours sur les quais au moment du départ des trains pour assister le conducteur qui restera le maître du départ. En effet, la SNCF a procédé à une étude de sécurité dans chaque gare et vu, au cas par cas, celles qui nécessiteraient une présence humaine en raison de leurs particularités (voies courbes, croisements importants de flux de voyageurs…). « Si un quai est en courbe et ne permet pas au conducteur de voir l’ensemble de son train, c’est un agent à quai qui lui donnera les informations et lui indiquera quand tous les voyageurs seront montés à bord », précise notamment Frédéric Delorme.
Reste un élément que la SNCF n’avait sans doute pas prévu, et qui pourrait, si l’on peut dire, faire ses affaires : ce changement se fera en pleine période de grève et pourrait de ce fait passer presque inaperçu alors qu’il est potentiellement très sensible socialement.
M.-H. P.