La présidente d’Ile-de-France Mobilités (IDFM) Valérie Pécresse a annoncé le 8 juillet au journal Les Echos l’étalement du calendrier d’ouverture à la concurrence des bus parisiens jusqu’à la fin 2026. Objectif de l’élue en charge des transports de la région capitale : calmer les inquiétudes des chauffeurs de bus de la RATP, les convaincre d’accepter, dès le 1er janvier 2025, la libéralisation des lignes de Paris et de sa proche banlieue (exigée par Bruxelles), et éviter le risque de grèves pendant les JO de l’été 2024.
Suivant les recommandations d’un rapport commandé à l’ancien patron de la RATP Jean-Paul Bailly et à Jean Grosset, ex-questeur du Conseil économique, social et environnemental (Cese), les lignes d’autobus les plus éloignées du cœur de la capitale devraient être attribuées aux nouveaux opérateurs à partir de septembre 2024, et jusqu’à la mi-2025. Chaque délégation de service public (DSP) aura entre 9 et 12 mois pour entrer en service. L’attribution des deux derniers lots de lignes, ceux de Paris intramuros (rive gauche et droite), interviendra fin 2026.
Au total, à l’issue du processus d’ouverture à la concurrence, 315 lignes de bus et 4 800 véhicules dessineront les douze nouveaux réseaux de bus de Paris et sa proche banlieue.
« Bon sens »
« Etaler le calendrier est une décision de bon sens, qui suit la position des députés. Valérie Pécresse évite ainsi un nouveau vote de la loi. Le démarrage du processus d’ouverture entre le 1er avril 2025 jusqu’à fin 2026, permet, avec les six mois de notifications des marchés, d’enjamber les JO, commente Frédéric Baverez, directeur exécutif France de Keolis. Basculer les douze DSP le 1er janvier 2015 à minuit, c’était très périlleux… Le fait d’étaler le calendrier comme cela a été fait sur les lots Optile en grande banlieue (35 lots sur 37 ont été progressivement attribués, non sans remous sociaux au départ, ndlr), est raisonnable », ajoute le représentant de la filiale transport urbain de la SNCF qui sera sur les rangs au moment des appels d’offres.
Bouclier social renforcé
Mais c’est sur le plan social que Valérie Pécresse veut vraiment bouger les lignes : elle prévoit que les chauffeurs de bus qui seraient transférés dans une autre entreprise suite à l’attribution d’un marché à un nouvel opérateur (Transdev, Keolis, Lacroix & Savac et d’autres transporteurs potentiels) puissent conserver leurs avantages sociaux de la RATP. C’est-à-dire garantir aux agents transférés le même « sac à dos social » qu’ils avaient à la Régie: retraite, complémentaire santé, comité d’entreprises etc.. 17 000 conducteurs sont potentiellement concernés.
C’est le prix à payer pour s’assurer la paix sociale pendant les Jeux olympiques, paralympiques et après.
L’actuel décret CST (cadre social territorialisé) qui encadre le transfert des conducteurs, leur accorde des conditions moins avantageuses. IDFM devra, pour tenir sa promesse, faire modifier ce décret avec l’accord du ministère des Transports.
« Cela va alourdir le coût, et réduire les possibilités de faire des gains de productivité, réagit Frédéric Baverez. On s’adaptera… Mais c’est comme si vous deviez courir un 100 mètres alors qu’on vous ajoute des pierres dans votre sac à dos. Tout le monde va courir avec le même sac… Mais si IDFM espérait faire des économies avec des opérateurs moins chargés et qui courraient donc plus vite, c’est raté », estime le représentant de Keolis.
« On ira quand même, notre seul vrai sujet de préoccupation, c’est le risque lié au non- transfert des personnels : il est prévu que l’agent statutaire de la RATP qui refuse son transfert soit licencié par le nouvel entrant. C’est hallucinant ! Ce risque-là, si IDFM ne l’encadre pas, on ne le prendra pas, on ne remettra pas d’offre finale car c’est la roulette russe ! », conclut Frédéric Baverez.
Interrogé, Transdev, autre possible concurrent de la RATP, n’a pas souhaité commenter les annonces de Valérie Pécresse.
Même dépôt de bus
La patronne de la région et de l’autorité gestionnaire des transports franciliens promet également que les chauffeurs resteront affectés à leur ligne actuelle, mais aussi au même dépôt, pour éviter de trop les éloigner de leur lieu de travail. A l’origine, ils devaient être assignés à des lignes, pas à des dépôts, or certaines lignes sont exploitées en fonction des têtes de lignes et donc à partir de deux dépôts. Ils risquaient donc de s’éloigner de leur lieu de travail. « Jean Castex a levé le lièvre en discutant avec les salariés, et ça aussi, c’est une mesure de bon sens », commente Frédéric Baverez.
En contrepartie, Valérie Pécresse demande aux chauffeurs de renoncer pour une durée d’un an à la réduction de leurs heures de travail de 13h à 11h pour les journées « en double service », le temps de remédier aux pénuries de conducteurs.
En revanche, les effectifs de structure (les agents administratifs qui travaillent à la paie, au contrôle de gestion, par exemple, mais aussi les cadres supérieurs) que la RATP prévoyait de transférer à la concurrence resteraient finalement en poste. La RATP fait machine arrière sur ce sujet et Valérie Pécresse est prête à leur donner raison. Côté syndicat de cadres, on peut se féliciter de cette décision, le transfert des cadres étant particulièrement mal perçu par les intéressés. Pour construire la paix sociale, Jean Castex devra faire avec ces effectifs de structure non transférables : on parle ici de 700 personnes.
Nathalie Arensonas