Entre la DB et la SNCF, rien ne va plus. Les deux groupes géants du ferroviaire s’affrontent sur tous les marchés. Et tous les moyens sont bons Selon les Français, il leur a fallu l’achat d’EWS et de sa filiale Euro Cargo Rail en mai 2007 par la DB pour se réveiller. Ils se seraient alors rendu compte que la DB serait un adversaire résolu sur le marché français. Selon les Allemands, le marché français est, à l’exception du fret, aujourd’hui encore entièrement fermé. Alors que leur marché ferroviaire, fret, voyageurs régional, et interrégional, est ouvert depuis longtemps. Ils accusent les Français de profiter de ce déséquilibre, en étant des acteurs particulièrement agressifs sur les marchés externes : Veolia, EuRailCo (Transdev/RATP) et Keolis (SNCF) sont actifs en Allemagne dans le transport régional ou interrégional de voyageurs. Cette argumentation trouve depuis longtemps un écho en France et le député européen (PS) Gilles Savary, bon connaisseur du ferroviaire, a souvent alerté sur les dangers de cette absence de réciprocité. Quoi qu’il en soit, la rivalité franco-allemande a pris ces derniers temps un tour plus violent. Elle l’est d’autant plus qu’elle oppose – la DB n’étant pas toujours en Bourse – deux groupes 100 % publics, dépendant de deux Etats qui ne s’entendent plus comme aux premiers temps de la construction européenne, et qui ont pour alliés naturels deux des trois plus grands constructeurs mondiaux : d’un côté Alstom, de l’autre Siemens. Il semble loin le temps où Hartmut Mehdorn, déjà président de la DB, proposait un « Yalta ferroviaire » à Louis Gallois : à toi la grande vitesse européenne, à moi le fret. Déjà sur les marchés tiers, et depuis longtemps, tous les coups bas sont permis. En Chine, un observateur du dossier reconnaissait : « Officiellement, entre Européens, Français et Allemands, on s’embrasse sur la bouche. En réalité, c’est la guerre. » Et aujourd’hui, plus question de grand partage, de gentleman agreement, d’accords de façade. Partout (fret, trafic régional, grande vitesse), le conflit est ouvert.
Jeudi 9 octobre : NTV choisit la SNCF.
Le futur concurrent des FS pour la grande vitesse, Nuovo Trasporto Viaggiatori (NTV), qui a déjà fait le choix de l’AGV, fait entrer la SNCF dans son capital à hauteur de 20 %. La SNCF l’emporte contre la DB et sera le seul partenaire industriel de référence.
Novembre : Mehdorn et Moretti se plaignent à la Commission européenne.
Les FS et la DB reprochent dans une lettre au commissaire européen aux Transports, Antonio Tajani, la « concurrence déloyale » de la SNCF en matière de transport de voyageurs sur leurs marchés respectifs. Les deux compagnies ferroviaires font valoir que leurs deux pays ont ouvert leur marché à la concurrence, ce qui profite à la SNCF alors que le marché français est fermé. Qui plus est, la SNCF participera à partir de 2011 à la libéralisation du rail en Italie. « C’est notre première action (contre la SNCF), mais faute de réponse nous pourrions en envisager d’autres », menacent les présidents Mehdorn et Moretti. De réponse, il n’y aura pas. « Nous avons bien reçu cette lettre », indique-t-on à la DG Tren, « mais le marché européen du transport de passagers n’est pas encore libéralisé. Nous ne pouvons que constater cette manifestation de mauvaise humeur des Italiens et des Allemands, mais avant 2010 nous ne pouvons pas lancer de procédure d’infraction sur ce sujet. » Pour Guillaume Pepy il s’agit d’une « réaction de mauvais perdants » : les FS voient venir en NTV un concurrent. La DB, elle, espérait devenir partenaire du nouvel opérateur.
Jeudi 20 novembre : perquisition à la SNCF.
Bienvenue dans un monde de concurrence… En un premier temps, la SNCF, face à la perquisition de son siège, comme de la direction du fret et d’autres sites, à la demande de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), fait passer un message apaisant : une telle enquête, c’est normal, tous les grands groupes doivent s’y préparer. On dit alors officieusement qu’on a « toutes les raisons de penser » qu’il s’agit d’une autosaisine. Une façon de ne pas jeter de l’huile sur le feu en pointant les concurrents. Changement d’attitude : le 12 décembre, Guillaume Pepy, devant la presse, avance une autre hypothèse. Cela pourrait venir « peut-être de la DB, peut-être de Veolia ».
Mardi 2 décembre : la SNCF remporte IBM Logistics.
Le contrat représente un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Soit une augmentation d’environ 15 % du chiffre d’affaires de la branche Transport et Logistique de la SNCF. Ce contrat américain, qui n’a rien de ferroviaire, est essentiel pour un groupe qui entend devenir un acteur mondial de l’ensemble de la chaîne du transport de marchandises… comme la DB a su le devenir. Un contrat remporté contre les plus grands groupes mondiaux du secteur. Notamment contre la DB.
Jeudi 11 décembre : le tribunal de Bordeaux donne raison à la DB.
Une plainte de Veolia, une autre du groupe DB ? A Bordeaux, c’est ainsi que les choses se sont passées. La plainte en référé de Deutsche Bahn Mobility Logistiks est jugée la première. Le tribunal administratif de Bordeaux donne raison au groupe allemand. L’attribution des transports publics à Keolis (SNCF) pour 2009-2013 au détriment de Veolia est annulée. Veolia retire sa plainte, devenue sans objet. Motif de la décision de justice : la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) n’a pas donné à l’appel à candidatures la publicité voulue, en ne le publiant pas au Journal officiel de l’Union européenne. La CUB s’est pourvue en cassation. En attendant, Veolia garde le contrat détenu depuis 2001.
Vendredi 12 décembre : selon le Times, Mehdorn veut prendre une part d’Eurostar UK.
Selon le Times, la DB pourrait bien s’intéresser au capital d’Eurostar UK et compte ainsi « mieux l’exploiter ». Position « prématurée et prétentieuse », pour Guillaume Pepy. Selon lui, le gouvernement britannique prépare la mise en place d’Eurostar en tant que compagnie ferroviaire, sans poser (pour l’instant du moins) la question de la cession d’Eurostar UK. De plus, Eurostar tel qu’il fonctionne est légitime avec quatorze ans d’expérience, un taux de régularité de 92 %, et le statut de marque ferroviaire préférée des Européens. De quoi demander à la DB ce qu’elle pourrait apporter à la desserte de Londres. Mais, pour le président de la SNCF, il n’y a pas de doute : « Tout le monde sait que la DB veut faire du Cologne – Bruxelles – Londres. »
Prochain rendez-vous : qui sera le partenaire de CFF Cargo ?
La division Fret des chemins de fer suisses est à la recherche d’un partenaire stratégique. Une fois de plus, la DB et la SNCF s’affrontent. Et cette fois, Guillaume Pepy avertit : la DB ayant aujourd’hui une position dominante dans le fret, une alliance avec les CFF poserait un problème. Il y aurait alors un abus de position dominante. Et sans doute une lettre du président Pepy au commissaire Tajani.
François DUMONT avec Guillaume LEBORGNE