Entretien avec Pierre Serre-Combe, chargé de mission au CEA-Liten pour l’animation du plan gouvernemental « stockage de l’énergie » de la Nouvelle France Industrielle class= »p1″>
Le groupe qui planche sur l’hydrogène dans le cadre du projet Nouvelle France industrielle devait remettre au gouvernement avant début avril sa feuille de route pour développer
la filière. A ce jour, une dizaine de stations sont opérationnelles en France. Chargé de mission sur le sujet à l’institut CEA/Liten, Pierre Serre-Combe estime qu’avec un budget de 100 millions d’euros, il sera possible d’installer une centaine de stations pour un millier de véhicules d’ici à 2018. Et ainsi de lancer le marché.
Ville, Rail & Transports. Dans le cadre du projet Nouvelle France industrielle lancé par le gouvernement, un groupe sur l’hydrogène a été mis en place, piloté par Florence Lambert, directrice du CEA-Liten (Commissariat à l’énergie atomique). Quelle est la feuille de route ?
Pierre Serre-Combe. Sur les 34 plans visant à aider à la constitution de champions industriels, certains ont été élaborés dans la continuité de ce qui existait déjà. C’est le cas par exemple pour le TGV du futur. D’autres plans portent sur des sujets plus transverses comme celui qui a été confié à Florence Lambert et qui concerne le stockage de l’énergie. Sa feuille de route a été validée par le gouvernement en 2014, avec un volet batterie, puis un volet hydrogène pour lequel un plan de déploiement axé sur la mobilité hydrogène a été finalisé et devrait être remis au gouvernement fin mars-début avril.
Si initialement le plan stockage était focalisé sur la batterie avec des industriels qui maîtrisent son industrialisation, du produit de base au produit fini, il est apparu rapidement nécessaire d’élargir la thématique de stockage de l’énergie aux technologies de l’hydrogène.
C’est un secteur émergent qui doit trouver sa place mais qui pourrait révolutionner le secteur de l’énergie Au Japon, parce que le contexte y était favorable, avec un prix élevé de l’électricité, le déploiement de microgénérateurs à pile à combustible permet de produire pour des habitations de la chaleur et de l’électricité à partir du gaz naturel. Aux Etats-Unis, le marché des chariots élévateurs a permis de faire décoller le marché de la pile à combustible. Aujourd’hui, les chariots élévateurs à pile à combustible font concurrence aux chariots fonctionnant avec des batteries électriques car ces dernières sont pénalisées par des temps de recharge importants.
La diminution des coûts d’exploitation grâce à un taux de disponibilité supérieur de la pile à combustible vient désormais compenser les éventuels surcoûts d’investissements pour un coût de possession au final inférieur à celui de la batterie. Les subventions qui étaient versées par le Japon et les Etats-Unis pour impulser cette technologie dans les deux exemples cités vont pouvoir rapidement s’arrêter.
VR&T. En France, le développement de l’hydrogène n’est-il pas fortement concurrencé par les batteries électriques ?
P. S.-C. Il n’y a pas opposition entre les véhicules électriques à batteries et les véhicules fonctionnant à l’hydrogène. Il y a une hybridation possible entre véhicule électrique et hydrogène. Quand vous achetez une Kangoo électrique par exemple, vous pouvez lui associer un kit de prolongation à hydrogène qui vous permet d’augmenter d’un facteur 3 son autonomie.
VR&T. La France n’a-t-elle pas pris trop de retard dans ce domaine ?
P. S.-C. En France, nous bénéficions d’une reconnaissance internationale sur nos capacités d’innovation. Et tous les ingrédients sont réunis pour avoir une véritable offre française. Nos entreprises sont capables de produire des solutions de mobilité. Par exemple : des prolongateurs d’autonomie pour véhicules électriques, une assistance électrique pour vélos, des stations de recharge hydrogène.
Toutefois, nos constructeurs automobiles nationaux ne sont pas encore présents mais ils restent pragmatiques comme le montre le dernier « position paper » de la plate-forme automobile PFA qui réunit les acteurs du monde de l’automobile. Si ces derniers estiment très justement que le développement du marché de la mobilité passe par l’existence d’une infrastructure de distribution de l’hydrogène significative, il existe néanmoins des marchés de niche qu’il ne faut pas négliger. Les équipementiers français, comme Valeo par exemple, doivent également pouvoir répondre à des demandes de leurs clients qui peuvent être des constructeurs étrangers comme Toyota ou Hyundai qui ont déjà mis sur le marché les premiers véhicules à pile à combustible. Techniquement, nous ne sommes donc pas en retard. Et nous avons des PME très dynamiques. Nous pouvons déjà répondre à des marchés spécifiques comme celui des flottes utilitaires électriques équipées de prolongateurs d’autonomie à pile à combustible. La France représente le quatrième marché au monde pour les véhicules utilitaires, qui peut représenter un socle intéressant. Il faut s’accrocher à ce qui marche bien.
VR&T. Quelle stratégie de développement entrevoyez-vous ?
P. S.-C. Les opérateurs ont décidé de mettre en place un modèle pertinent car raisonné en termes d’investissements. Il faut adapter les infrastructures en fonction de l’usage, pour que les stations de recharge ne soient pas surdimensionnées. Nous favorisons la constitution de clusters. Par exemple Hyway est le premier déploiement d’envergure d’une cinquantaine de véhicules électriques utilitaires avec prolongateur d’autonomie à pile à combustible autour de deux stations de distribution d’hydrogène à Grenoble et Lyon.
A Grenoble, une première station Hyway a été installée à proximité d’utilisateurs potentiels. Elle est accueillie par le fournisseur d’énergie grenoblois (gaz et électricité) GEG pour alimenter environ 25 véhicules utilitaires légers exploités par des utilisateurs locaux et constituer un premier socle de déploiement pour la mobilité à un coût raisonné. Une deuxième station, inaugurée au début de l’année au port Edouard Herriot, repose aussi sur un fonctionnement mutualisé. C’est avec cette approche raisonnée que nous espérons déployer cette technologie.
VR&T. Quel est le surcoût de l’hydrogène ?
P. S.-C. Selon la société Symbio FC, quand on intègre la totalité des coûts, notamment ceux liés à l’achat du véhicule et à ceux de la station de recharge, on arrive à un coût de possession annuel supérieur de 1 000 à 2000 euros à celui d’un véhicule diesel. Les stations présentent l’avantage de pouvoir être déplacées et installées ailleurs en fonction du déploiement progressif de flottes de véhicules. Notre objectif est de constituer et de rayonner autour de hubs de stations. Cette approche française originale intéresse vivement d’autres pays comme le Japon. Notre modèle pourrait ainsi s’exporter.
VR&T. Quel est le rôle de l’Etat dans ce dispositif ?
P. S.-C. Le rôle du plan Nouvelle France Industrielle est de structurer la filière et de créer les conditions pour accélérer son émergence. Mais nous avons besoin de mesures d’accompagnement et du soutien de l’Etat pour constituer un premier socle de stations de recharge et de flottes de véhicules multiples. Les investisseurs privés pourront alors prendre le relais dans un contexte de transition énergétique favorable.
Pour disposer de ce premier socle, le budget est d’une centaine de millions d’euros, ce qui permettra d’installer une centaine de stations pour un millier de véhicules d’ici à 2018-2020.
VR&T. Quelles sont les autres pistes de développement ?
P. S.-C. A ce jour, une dizaine de stations sont opérationnelles en France. Elles ont fortement bénéficié des subventions européennes. Bruxelles souhaite en effet développer un corridor de stations de recharge à hydrogène.
Nous projetons aussi travailler sur des territoires représentatifs du monde rural ainsi que sur une zone d’activité portuaire, sur une métropole et sur un territoire insulaire pour expérimenter des écosystèmes où l’hydrogène serait un vecteur-passerelle entre différents usages (mobilité, industriels…) et les gisements d’énergie renouvelable locaux.
Propos recueillis par
Marie-Hélène Poingt